Le professeur d'économie Aymo Brunetti sur l'inflation
«Nous devons laisser le franc suisse se renforcer»

L'inflation est en hausse. Mais que cela signifie-t-il pour la Suisse plus précisément? Tout dépend avant tout de nos attentes, explique le professeur en économie Aymo Brunetti. Interview.
Publié: 29.06.2022 à 20:43 heures
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Dernière mise à jour: 29.06.2022 à 22:33 heures
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«La Banque nationale a bien réagi», affirme le professeur d'économie Aymo Brunetti concernant l'augmentation des taux d'intérêt.
Photo: Peter Mosimann
Danny Schlumpf

En cette période troublée, c'est le refrain du printemps et du début de l'été. L’inflation s’installe, les taux d’intérêt montent. En Suisse aussi, l'inquiétude grandit et l’alerte a été donnée sous la Coupole. Blick a interrogé Aymo Brunetti, professeur d'économie à l'Université de Berne.

Aymo Brunetti, la situation en Suisse est-elle vraiment si grave?
Pas en comparaison internationale. D’autres pays ont des problèmes très différents. Mais l’inflation est en hausse en Suisse. Désormais, certains signes montrent qu’elle s’étend. Nous n’avons pas vu une telle dynamique dans notre pays depuis 30 ans.

Au Palais fédéral, c’est l’effervescence. Les interventions fusent de toutes parts: baisses d’impôts sur les carburants, plafonnement des charges locatives, adaptation des rentes. Qu’est-ce que cela apportera?
Rien du tout. Nous ne pouvons pas lutter contre l’inflation en empêchant la hausse de certains prix. Prenez le prix du pétrole: il est rare en ce moment, c’est donc un bon signe que le prix augmente. Si les politiciens œuvrent pour le faire baisser artificiellement, ils envoient le signal contraire, à savoir qu’une consommation accrue de pétrole est souhaitable. En outre, cela ne va pas dans le bon sens en termes de politique environnementale.

Qu’est-ce qui pourrait vraiment nous aider?
Nous ne pouvons maîtriser le renchérissement qu’avec une politique monétaire restrictive. Dans une telle phase, les anticipations inflationnistes sont importantes. Elles influencent les négociations salariales. Aux États-Unis, elles ont tellement augmenté qu’elles ont déjà déclenché une spirale prix-salaires. Les salaires augmentent, ce qui fait à son tour grimper les prix. Lorsque le processus est bien avancé, le seul moyen de réduire l’inflation est de mener une politique monétaire extrêmement restrictive. Il s’ensuit généralement une grave récession.

La Banque nationale suisse (BNS) a augmenté les taux d’intérêt avant la Banque centrale européenne (BCE). À juste titre?
C’est une tâche difficile que de relever les taux d’intérêt lorsque la situation économique est bonne. Mais la BNS a eu raison de faire ce pas indépendamment de la BCE et d’augmenter les taux d’intérêt de 0,5%. C’est un signe fort.

Mais cela signifie aussi que le franc se renforce. C’est précisément contre cela que la Banque nationale s’est longtemps battue. Cela ne pose-t-il plus un problème?
Au contraire. Le franc suisse n’est plus surévalué. Nous devons le laisser se renforcer, car cela contribue à lutter contre l’inflation.

Le renchérissement est-il pour autant écarté?
D’autres hausses de taux seront nécessaires. Au cours des dix dernières années, nous avons eu une politique monétaire extrêmement expansionniste avec des taux d’intérêt inférieurs à zéro. Aujourd’hui, certains signes indiquent que cette période arrive à sa fin.

La Suisse peut-elle échapper à une telle crise?
C’est précisément pour cette raison que la Banque nationale a réagi relativement tôt. Le relèvement des taux d’intérêt doit étouffer dans l’œuf les attentes inflationnistes qui s’envolent. Notre situation de départ est bonne, car l’inflation en Suisse est encore plutôt modérée. Nous avons une longueur d’avance sur les États-Unis et la zone euro. Aux États-Unis, la spirale prix-salaires est déjà en marche, dans la zone euro, elle a probablement déjà commencé.

Et la Banque centrale européenne n’a même pas encore réagi. Pourquoi est-elle si passive?
La BCE n’a fait qu’annoncer une hausse des taux d’intérêt. Mais elle se trouve aussi dans une situation très particulière. Car si elle ne fait pas attention, une deuxième grave crise de l’euro risque de se produire. Et le scénario extrême d’un éventuel éclatement de la zone euro serait une catastrophe.

Cela a failli se produire en 2012.
À l’époque, la Grèce et d’autres pays de la zone euro étaient au bord de la faillite. Pour éviter cela, la BCE est allée beaucoup plus loin que ne l’autorise son mandat. Elle a acheté en masse des obligations d’États en danger et n’a pas cessé de le faire jusqu’à aujourd’hui. Cela fait baisser les taux d’intérêt de ces pays et leur facilite le financement public.

Si la banque centrale augmente maintenant les taux d’intérêt, cela deviendra inconfortable pour ces pays.
C’est un dilemme. Pour lutter contre l’inflation, la Banque centrale doit maintenant vendre des obligations d’État et augmenter les taux d’intérêt. Mais cela conduira rapidement à de l’instabilité dans la zone euro. L’écart des taux entre les obligations d’État italiennes et allemandes augmente déjà.

C’est pourquoi la BCE a même convoqué une réunion d’urgence au milieu du mois de juin.
Elle est bien entendu consciente du problème. Mais elle est prise dans un dilemme. Si elle devient nettement plus restrictive, les taux d’intérêt en Grèce et en Italie vont grimper. La question se posera alors de savoir si ces pays peuvent se permettre de rester dans la zone euro. Mais pour lutter contre l’inflation, la BCE doit augmenter les taux d’intérêt.

Comment pourra-t-elle résoudre ce problème?
Ce conflit d’objectifs est difficile. Elle continuera probablement à tout faire pour que la zone euro ne se disloque pas. C’est pourquoi l’inflation en Europe, qui est déjà à un niveau inacceptable, devrait rester élevée encore longtemps.

La Banque centrale européenne protège donc les États au détriment des consommateurs et des entreprises.
On peut le voir ainsi à court terme. Mais si l’Italie, par exemple, sort vraiment de la zone euro, il s’ensuivra une grave récession qui nuira à tous. L’inflation pourrait donc tout simplement être un moindre mal.

Cela ressemble à devoir choisir entre la peste et le choléra. Qu’est-ce que cela signifiera pour la Suisse?
De graves turbulences dans la zone euro pourraient conduire à une réévaluation forte du franc, ce qui serait économiquement dommageable. Cela n’aurait alors rien à voir avec la réévaluation modérée qui nous aide aujourd’hui à lutter contre l’inflation.

Les États ne sont pas les seuls à s’être massivement endettés ces dernières années. En Suisse, les dettes hypothécaires ont atteint un billion, encouragées par la politique fiscale de l’État.
La déductibilité des intérêts de la dette au niveau des impôts est un problème. On n’est guère incité à rembourser son hypothèque. Si les taux d’intérêt augmentaient très fortement, cela pourrait entraîner des risques pour la stabilité.

En Suisse, une crise immobilière au début des années 1990 a entraîné une grave récession. Le krach immobilier aux États-Unis a marqué le début de la crise financière mondiale de 2008. Pourquoi est-ce toujours le marché immobilier qui est touché en premier lieu?
C’est là que se trouve la plus grande partie de l’endettement privé. Les propriétaires investissent une grande partie de leur fortune dans leurs maisons. Les dettes qu’ils contractent pour cela sont très importantes. Ce sont des sommes énormes. S’il y a aujourd’hui un risque pour la stabilité financière, il émane à nouveau de ce secteur. Mais nous avons entre-temps une bien meilleure capitalisation des banques et les critères de solvabilité n’ont pas été assouplis pour de bonnes raisons.

Grâce au frein à l’endettement, les caisses de l’État suisse semblent solides à première vue. Mais si l’on regarde l’endettement implicite, le tableau est tout autre. Les promesses de rentes en suspens s’élèvent à 125% du produit intérieur brut.
Il ne s’agit bien sûr pas de dettes directes de l’État, mais elles pourraient bien finir par lui revenir. Si nous ne résolvons pas le problème de financement non résolu pour le premier et le deuxième pilier, l’État devra faire face à d’importantes obligations.

Le problème ne cesse de s’aggraver. Il y a de plus en plus de retraités qui vivent toujours plus longtemps. Mais les parlementaires ne font que manipuler le taux de conversion derrière la virgule. Ils ont peur de dire la vérité aux électeurs âgés: les rentes sont trop élevées.
C’est effectivement la vérité. En fait, le taux de conversion est une question purement technique. Il dépend de l’espérance de vie et du capital vieillesse épargné. Ce n’est pas une question politique. C’est pourquoi l’adaptation du taux de conversion devrait être automatique. Mais comme ce n’est pas le cas, les milliards des jeunes sont redistribués chaque année de manière peu transparente vers les personnes âgées. C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles nous devons relever l’âge de la retraite. C’est la seule solution.

(Adaptation par Jessica Chautems)

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