Qu'est-il arrivé à Gerhard Pfister? Lorsque le Zougois a pris la présidence du Centre en succédant à Christophe Darbellay, en 2016, beaucoup s'attendaient à un virage à droite du parti centriste: le conseiller national est un représentant de l'aile (très) conservatrice de l'ancien PDC.
Cinq ans plus tard, le bientôt sexagénaire étonne son monde avec ses prises de position ces dernières semaines. Sur Twitter, il a d'abord accusé le Conseil fédéral de non-assistance à personne(s) en danger en raison du refus gouvernemental d'exporter des armes en Ukraine. Dans une interview à la radio alémanique, il s'est prononcé en faveur de l'arrêt du commerce de matières premières russes via la Suisse.
Et maintenant, dans la «NZZ am Sonntag», l'homme originaire d'Oberägeri — la même commune que Valérie Dittli — se fend de déclarations qui auraient tout à fait pu provenir de la bouche de la présidente de la Jeunesse socialiste. «Ne taxons-nous pas trop le travail et pas assez le capital?», s'y demande Gerhard Pfister.
«Au plus près de l'économie», vraiment?
La preuve qu'il s'agit d'un changement de cap de la part de l'homme fort du Centre, c'est qu'il remet en question certaines positions passées. Ainsi, il porte un regard «beaucoup plus critique» sur l'accord avec la Chine, qu'il soutenait pourtant en 2013. Il plaide pour que la Suisse ne conclue des accords de libre-échange qu'avec des États démocratiques. Et il explique qu'il veut que son parti prenne ses responsabilités en faveur d'une politique «pour les plus faibles socialement et la démocratie».
Ces déclarations ont de quoi créer des remous dans le camp bourgeois. Surtout provenant d'un élu conservateur de Suisse centrale qui, lors de son accession à la présidence du parti, avait ouvertement déclaré qu'il fallait repositionner le PDC d'alors plus à droite sur l'échiquier politique. «Au plus près de l'économie», martelait alors l'entrepreneur, docteur en philosophie.
Le bilan de Gerhard Pfister à la présidence du Centre montre qu'il a bien réformé le parti, mais en modifiant totalement le sens du gouvernail. Son PDC a abandonné le «C» en 2020, puis le président a déclaré l'année suivante en évoquant la pandémie de Covid qu'il fallait faire émerger une «nouvelle forme de capitalisme». Toujours en 2021, «son» conseiller aux États valaisan Beat Rieder, proposait de combler le trou de l'AVS avec un impôt boursier, une recette de gauche.
Un simple calcul électoraliste?
La guerre en Ukraine a apparemment achevé de donner au parti de centre-droit une nouvelle orientation à gauche. Gerhard Pfister s'en défend: pour lui, il s'agit de prôner «l'économie sociale de marché», sans vouloir en dire plus pour le moment. Il faut d'abord affiner le concept, affirme-t-il.
Vrai changement de cap ou manœuvre politique? À Berne, certains estiment qu'il s'agit simplement d'une manière d'obtenir de l'attention, à moins d'une année et demie des élections fédérales. Ses déclarations seraient ainsi un moyen de se démarquer des autres partis bourgeois et de récolter des voix plus au centre.
Mais il n'y a pas que des voix critiques: Stefan Müller-Altermatt se réjouit de cette nouvelle posture politique. Le conseiller national est depuis avril 2018 le président du Groupement chrétien-social, l'ancien PCS, «avalé» par le groupe du Centre. «Lorsque tout va bien, il y a moins besoin d'une conscience sociale. Il est normal que celle-ci se manifeste davantage en ces temps difficile», analyse le Bernois.
Des déçus à droite
Le président de ce qui s'appelle «Mitte links» (centre-gauche) en allemand ne voit pas de récupération de la part de Gerhard Pfister. Stefan Müller-Altermatt rappelle que l'économie sociale de marché est un acquis de la démocratie chrétienne. «Nous devons y revenir et mettre l'accent sur nos valeurs», insiste-t-il. Même s'il concède que le président du Centre va faire des déçus à droite avec ce changement de cap.
Lors de son entrée en fonction, Gerhard Pfister avait déclaré qu'il ferait «tout pour apporter le succès au PDC». Le rebaptiser n'a pas freiné le Lucernois, et tout porte à croire que de modifier la politique du parti est un pas qu'il est prêt à franchir. Affaire à suivre.