Le oui massif à la 13e rente AVS est «un moment historique», «un changement d'époque», «une sensation sociopolitique», disent les médias. Pour la première fois depuis longtemps, les électeurs ont approuvé une initiative visant à développer l'Etat social. Le Saint-Gallois Paul Rechsteiner est le grand architecte de cette 13e rente AVS. Dimanche, il a été salué à Berne comme le «véritable père» de l'initiative victorieuse. Au lendemain de cette victoire, l'ex-président de l'Union syndicale suisse et ancien conseiller aux Etats socialiste s'est exprimé auprès de «Beobachter». Il y a évoqué un plan de financement de cette 13e rente qui en surprendra plus d'un.
Sur la 13e rente AVS
Paul Rechsteiner, vous êtes l'architecte de la 13e rente AVS. Comment avez-vous vécu ce dimanche de votation?
Les personnes à bas et à moyens revenus ont longtemps attendu ce jour. C'était un grand jour pour la Suisse et pour son œuvre sociale la plus importante: l'AVS. Cette votation victorieuse montre que la population fonctionne différemment que les élus au Palais fédéral.
Certains attribuent ce «oui» aux boomers soi-disant égoïstes et déplorent que les vieux aient mis les jeunes en difficulté dans les urnes.
Il est tout à fait clair que la décision dépend de la classe sociale. C'est ce que montrent les sondages. Les bas et moyens revenus étaient fortement en faveur du «oui», tandis qu'à partir de 13'000 francs de revenu mensuel, il y avait des majorités contre le texte. Les villes ont parfois voté «oui» moins nettement que les communes rurales. En effet, beaucoup de personnes à hauts revenus habitent dans les villes. Et ceux qui opposent les générations entre elles jouent un jeu malsain. Les jeunes vieillissent aussi et dépendent d'une AVS forte.
Vos adversaires disent que l'AVS manque d'argent. Comment financer la 13e rente?
De bonnes prestations AVS, c'est important aux yeux de la population. Un financement immédiat n'est pas nécessaire, car l'AVS se porte très bien grâce aux financements supplémentaires de ces dernières années. Mais à moyen terme, l'AVS a besoin de plus de moyens. Un financement supplémentaire pourrait être mis en place au cours des prochaines années sans que cela pèse davantage sur les gens.
Comment cela pourrait-il se faire?
Si le nombre de chômeurs n'augmente pas soudainement, on peut réduire les cotisations salariales pour l'assurance chômage de 0,3 point. Les salariés et les employeurs devraient alors payer chacun 0,15% de moins. Car l'assurance-chômage encaisse beaucoup plus qu'elle ne dépense. La Confédération pourrait réaffecter ce 0,3 point à l'AVS. Il en résulterait d'un coup des recettes supplémentaires de 1,3 milliard de francs. Ce serait une belle histoire pour tous, puisque personne ne devrait payer plus qu'aujourd'hui.
Est-ce suffisant?
Les primes de l'assurance-accidents diminuent parce qu'il y a moins d'accidents. Les cotisations salariales pour l'assurance-accidents devraient donc également diminuer. Et comme nous avons moins d'enfants, les allocations familiales vont, elles aussi, être revues à la baisse. L'Union syndicale suisse a calculé que les cotisations salariales aux assurances sociales vont baisser si fortement que les gens ne remarqueront même pas la hausse des cotisations AVS dans leur porte-monnaie.
En 2016, vous aviez échoué avec une initiative similaire. Pourquoi les électeurs ont-ils cette fois dit «oui»?
La situation financière de nombreuses personnes s'est aggravée en raison de la hausse des loyers et de l'augmentation des primes d'assurance maladie. Parallèlement, l'état des caisses de pension s'est détérioré et les rentes avec. Et puis notre revendication était mieux formulée: la 13e rente est aussi évidente que le 13e mois de salaire. Tout le monde sait de quoi il s'agit.
Le oui massif a été une surprise. Comment le Parlement a-t-il pu se tromper à ce point sur l'état d'esprit?
Le développement économique et l'évolution des salaires sont positifs en Suisse. Il est incompréhensible que les retraites se détériorent à ce point, alors que le coût de la vie augmente. La promesse de la Constitution selon laquelle on peut vivre décemment à la retraite grâce aux revenus de l'AVS et de la caisse de pension est de moins en moins respectée. Le résultat de la votation en est la preuve.
L'assurance-chômage est assise sur des milliards: un frein à la fortune va-t-il être mis en place?
Un frein à la fortune est déjà en vigueur au niveau de l'assurance-chômage. Dès que l'assurance a trop d'argent de côté, elle doit impérativement réduire les cotisations salariales. Le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) l'a confirmé. En 2022, l'assurance-chômage a encaissé 2,3 milliards de francs de plus qu'elle n'en a dépensés. C'est ce que montre le rapport annuel. Selon une estimation du Seco, le capital propre du fonds de compensation de l'assurance-chômage s'élevait à 6,8 milliards de francs à la fin de l'année 2023. En l'espace d'un an, les fonds propres ont donc augmenté de 2,8 milliards de francs. L'année dernière, le plafond des fonds propres de l'assurance-chômage était fixé à 11 milliards de francs, selon le Seco. Cela signifie que dans environ deux ans, le Conseil fédéral devra probablement réduire les cotisations salariales pour l'assurance-chômage si l'économie reste stable. En 2011, la Confédération avait augmenté ces mêmes cotisations de 2 à 2,25%. Les salariés et les employeurs en paient chacun la moitié.