La branche automobile suisse est en ébullition. Les importateurs de voitures pourraient se voir infliger jusqu'à un demi-milliard de francs de pénalités. La raison? Les prescriptions en matière de CO2 n'auraient pas été respectées.
Le jour où Donald Trump annonçait ses droits de douane, le ministre des Transports Albert Rösti édictait son ordonnance controversée relative à la loi sur le CO2. Qu'est-ce que cela signifie réellement pour les importateurs? Pourquoi les ventes de voitures électriques ne décollent pas? Les importateurs auraient-ils pu mieux se préparer? Dans cette interview, Peter Grünenfelder, président d'Auto-Suisse, l'association des importateurs d'automobiles en Suisse, s'exprime.
Peter Grünenfelder, le ministre des Transports Albert Rösti était président d'Auto-Suisse avant de devenir conseiller fédéral. Il pourrait maintenant infliger des amendes de plusieurs centaines de millions de francs aux importateurs de voitures. Etes-vous déçu par sa décision?
C'est une décision décevante de la part de l'ensemble du Conseil fédéral, car elle ne tient pas compte de la réalité du marché. Fin mars, nous venions de vivre le pire trimestre du millénaire en termes de ventes. Nous attendons d'un Conseil fédéral à majorité bourgeoise qu'il prenne davantage en considération les besoins de la branche automobile, moteur de l'économie.
Il est reproché au Conseil fédéral de causer la perte de milliers d'emplois...
La vente de voitures est une activité avec des marges plutôt faibles. Si nous devons payer jusqu'à un demi-milliard de francs d'amendes, l'activité ne sera plus rentable. Cela aura des répercussions sur les emplois et les places d'apprentissage. Il y aura également des fermetures d'entreprises. Les consommateurs, les PME et l'artisanat en souffriront aussi, car la mobilité deviendra plus chère.
Le Conseil fédéral prévoit des allègements pour les importateurs qui ont fait leur travail et vendu suffisamment de voitures électriques. Les défenseurs du climat reprochent à Albert Rösti d'être un lobbyiste de l'automobile.
Les pays européens se montrent beaucoup plus pragmatiques sur cette question. Le Conseil fédéral et l'administration auraient eu suffisamment de marge de manœuvre pour tenir compte de la situation du marché lors de l'application de l'ordonnance, surtout face à la crise économique qui menace. Le Conseil fédéral ne veut pas voir à quel point la situation économique est actuellement difficile pour le secteur automobile. Et puis, nous ne pouvons pas obliger les consommateurs suisses à acheter une voiture électrique. La réalité est tout simplement que le marché de l'électrique ne fonctionne pas aussi bien que le souhaiterait le Conseil fédéral.
Pourtant, on sait depuis des années que ces amendes vont arriver. Les importateurs auraient pu se préparer à cette situation.
La gamme de modèles électriques est prête, mais le changement prend plus de temps auprès des consommateurs. L'industrie automobile ne peut pas y arriver seule. Il faut tout un écosystème qui fonctionne pour que davantage de voitures électriques circulent en Suisse. Aujourd'hui, les importateurs sont punis si les Suisses n'achètent pas assez de voitures électriques. C'est comme si vous punissiez Migros de centaines de millions d'amendes parce que les gens n'achètent pas assez de produits bio.
Mais encore une fois, l'industrie ne porte-t-elle pas une grosse part de responsabilités? On a d'abord mis sur le marché des modèles chers comme la Tesla, que le Suisse moyen ne peut pas vraiment s'offrir.
Nous avons aujourd'hui plus de 200 modèles électriques sur le marché, et ce, dans toutes les catégories de prix. Aujourd'hui, le prix ne joue plus un rôle décisif.
Le trafic est responsable d'un tiers des émissions de CO2. Les amendes doivent aider à atteindre l'objectif climatique. Souhaitez- vous repousser cela?
Rien n'est repoussé du tout. L'industrie automobile investit des milliards dans les nouvelles technologies et lance en permanence de nouveaux modèles sans émissions. En tant qu'industrie automobile, nous soutenons l'objectif zéro et la loi sur le CO2. Personne ne la conteste. Mais le peuple suisse a décidé que cet objectif devait être atteint d'ici 2050. Or, l'administration veut que la part des véhicules électriques atteigne 50% en peu de temps. Ce serait comme un sprint de 0 à 100, mais dans les faits, le passage à l'e-mobilité est semblable à un marathon.
Les ventes de voitures électriques ont baissé en 2024. Que faut-il pour que davantage de voitures électriques soient achetées?
Je suis convaincu que la part des voitures électriques va augmenter progressivement. Mais actuellement, les gens sont réticents à faire de gros investissements en raison des sombres perspectives conjoncturelles. Pour que les gens achètent des voitures électriques, il faut que tout un système soit en place, du prix de l'électricité au nombre de stations de recharge, en passant par une baisse de la charge fiscale. Pour faire un pas en avant qui soit décisif, nous devons agir sur de nombreux leviers.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Il y a des pays comme la Norvège, où la part des voitures électriques est très élevée. Là-bas, les conditions cadres sont bonnes. En Suisse, pays de locataires, il faut des possibilités de recharge dans les immeubles collectifs. Nous demandons des déductions fiscales pour encourager cela. Ensuite, nous avons des coûts d'électricité supérieurs à la moyenne. Les fournisseurs d'électricité sont tous des monopoles d'Etat. Et puis, l'année dernière, le Conseil fédéral a introduit, malgré notre opposition, une taxe d'importation de 4% sur les voitures électriques. Nous avons prévenu que ce renchérissement aurait un impact sur le marché. C'est exactement ce qu'il s'est passé.
Allez-vous engager une procédure juridique contre la menace d'amendes de plusieurs millions?
Un des grands avantages de la Suisse est la sécurité juridique. Le Conseil fédéral vient de mettre en vigueur l'ordonnance avec effet rétroactif au début de l'année. De notre point de vue, c'est illégal et contraire au principe de la bonne foi. L'année prochaine, les pénalités seront communiquées aux importateurs. Pour une partie des commerçants, il s'agit de survie. Les entreprises concernées par les amendes envisageront certainement de recourir à la justice.
Les ventes de voitures sont en baisse, il y a eu un non à l'extension des autoroutes, la limitation de vitesse à 30 km/h arrive dans de nombreux endroits. La Suisse est-elle fatiguée des voitures?
Nous avons 6,5 millions de véhicules immatriculés et le parc automobile augmente chaque année. En 2050, la majeure partie des transports de marchandises se fera toujours par la route. Et en Suisse, bien que ce soit un pays de pendulaires, la majorité se rendra toujours au travail en voiture. La voiture reste indispensable. En ce sens, je vois tout sauf une «fatigue» de la voiture.
Quelles sont vos prévisions pour l'année automobile 2025?
En raison de l'incertitude économique et de l'érosion du cadre politique, nous avons commencé avec le pire trimestre depuis le début du millénaire. Nous allons rencontrer d'autres obstacles dans les relations commerciales mondiales en raison des nouvelles politiques de droits de douane mises en place par Donald Trump. Les gens seront prudents en ce qui concerne les gros investissements. Ce ne sera certainement pas une année record. Mais je suis optimiste. Avec un peu de chance, nous atteindrons les chiffres de l'année précédente...