Le nazisme cible les jeunes?
Dopés à l'IA, les discours d'Adolf Hitler font fureur sur TikTok

Adolf Hitler a la cote sur TikTok, alerte l'ONG états-unienne Media Matters. Depuis septembre, les discours du dictateur traduits par l'IA affolent les vues du réseau social, qui peine à réagir. Résultats en commentaires: nazisme banalisé et admiration pour le Führer.
Publié: 09.10.2024 à 17:23 heures
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Dernière mise à jour: 10.10.2024 à 12:17 heures
Les discours d'Adolf Hitler, une fois traduits en anglais, ont presque autant de succès sur TikTok qu'au temps de l'Allemagne nazie.
Photo: Keystone
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Léo MichoudJournaliste Blick

Sur TikTok, Adolf Hitler harangue la foule… en anglais. Les discours du dictateur allemand — vraisemblablement traduits à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) — foisonnent sur la plateforme chinoise, plébiscitée par les plus jeunes.

La voix et les intonations du fondateur du nazisme, responsable de la mort de millions de personnes lors de la Seconde Guerre mondial, dont des juifs lors de la Shoah, sont recopiées. L’ONG de surveillance des médias américains Media Matters s’est alarmée de cette situation dans un rapport publié à la mi-septembre 2024.

Une dimension épique

Une publication de moins d’une minute, gratifiée de 120’000 likes et de plus d’un million de vues, reprend par exemple un discours de la figure du parti à la croix gammée, daté de novembre 1942. La traduction est légèrement différente des versions officielles, précise Media Matters. Le texte laisse entendre que Hitler n’aurait pas voulu se montrer offensif à Paris et à Varsovie durant la guerre de 39-45, qu'il aurait «essayé de sauver femmes et enfants» et qu’il aurait attendu de ne plus avoir le choix avant d’attaquer.

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De la musique électro, sans parole, est généralement associée aux discours. De quoi leur donner une dimension épique bien malvenue. Ce tapis sonore accompagne des vidéos, des photos d’archive ou des images générées — là encore — par l’IA, qui représentent l’ex-chancelier nazi ou le sujet de sa prise de parole.

«Tu me manques, tonton A»

En anglais, les textes descriptifs se réduisent à «juste, écoutez» ou «et s’il avait gagné». Ainsi banalisées et décontextualisées, les idées, la rhétorique et la personne de Hitler sont régulièrement encensées dans les commentaires.

«Tu me manques, tonton A», lâche sous la vidéo citée en exemple un utilisateur avec le visage de Donald Trump en photo de profil. «Les gagnants écrivent l’histoire», commente un second. «Peut-être qu’il n’est PAS le méchant de l’histoire», relativise encore un autre. Tous ces commentaires, à la limite entre la vanne et le sérieux, obtiennent des dizaines, voire des centaines de likes.

Le fonctionnement de TikTok est particulièrement propice à la diffusion en boucle de ces discours. En effet, les utilisateurs peuvent récupérer le son d’une vidéo, en l’occurrence les discours mis en musique, pour leurs propres publications. La pratique est commune et favorise la diffusion des vidéos les plus tendance. Elle devient problématique quand le contenu viral est fait des idées du nazisme.

Filer entre les doigts de la modération

Selon les «directives communautaires» de TikTok, la «promotion de la violence» ou de «toute idéologie haineuse» n’est pas autorisée sur la plateforme. De quoi, a priori, concerner les discours viraux de Hitler. Toute violation du règlement peut entraîner la suppression des contenus ou des comptes concernés. Mais la modération de TikTok n’est pas connue pour être la plus efficace.

Mais pour cibler les contenus à éradiquer, le réseau social fait face à plusieurs écueils. Les passages choisis ne sont pas les phrases les plus problématiques et discriminatoires d’Adolf Hitler. Et le Führer n’est généralement désigné que par «le grand peintre» ou «le peintre autrichien», en référence à sa carrière artistique ratée.

L'avocat genevois Nicolas Capt, spécialisé en droit des médias et en intelligence artificielle, se dit préoccupé par la situation.
Photo: DR

Contacté par Blick, l’avocat genevois Nicolas Capt, spécialisé en droit des médias et en intelligence artificielle, se dit préoccupé par la situation: «C’est inquiétant. Ce qui me surprend, c’est que les contenus et les discours sont soigneusement choisis pour éviter les éléments ouvertement racistes, antisémites ou qui soient de nature à violer la loi.»

Du contenu légal en Suisse?

Pour lui, si elle était jugée en Suisse, cette «promotion indirecte d’un discours de haine» et «d’une idéologie nauséabonde par la bande» ne tomberait pas sous le coup de la norme antiraciste. «Il n’y a pas de caractère illégal à prendre l’intonation de Hitler pour un discours, affirme l’homme de loi. Ce serait une interprétation très extensive de la loi.»

«
En l’état de la jurisprudence, je suis d’avis que ces vidéos ne sont pas illégales
Nicolas Capt, avocat genevois spécialisé en droit des médias et en intelligence artificielle
»

L’avocat spécialisé se questionne sur les motivations des auteurs de ces publications: «On ne peut s’empêcher de penser à une forme de prosélytisme: une volonté de remettre sur le devant de la scène des discours nauséabonds, de diffuser une voix qui incarne ces propos. Il y a tout sauf un objectif de contextualisation.»

Nicolas Capt conclut, non sans apporter une nuance: «En l’état de la jurisprudence, je suis d’avis que ces vidéos ne sont pas illégales. Pour autant que les discours ne comprennent pas d’incitation à la haine, de négationnisme ou d’autres propos racistes ou illégaux.»

Depuis l’enquête de Media Matters, TikTok a supprimé «au moins un» des contenus signalés par l’ONG. Mais de tels contenus continuent de tourner, et vont jusqu’à des utilisateurs qui effectuent un lip sync (ndlr: une synchronisation labiale) de discours hitlériens, pour faire semblant de prononcer les discours du Führer.

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