Le dernier voyage
Un village de Soleure sert de repaire pour le suicide assisté, au grand dam des habitants

Des personnes du monde entier viennent recourir au suicide assisté dans un hameau du canton de Soleure. Des habitants s'indignent de la situation, tandis que la commune et le canton cherchent des solutions pragmatiques.
Publié: 16.03.2025 à 20:18 heures
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Dans la nouvelle annexe de l'auberge (à gauche), les personnes souhaitant mourir sont accompagnées.
Photo: Andreas Schmid
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Andreas Schmid

La vue s'étend au loin, sur les champs et les prairies qui entourent le hameau de Nunningen, en pleine campagne soleuroise. Seul le chant des oiseaux vient briser le calme. Les occupants du nouveau bâtiment annexe de l'auberge Landgasthof Roderis viennent du monde entier mais ne restent jamais longtemps. Ils y viennent pour mourir. 

Depuis le printemps 2024, l'association bâloise Pegasos qui travaillait auparavant dans une chambre mortuaire à Liestal, à Bâle, accompagne chaque année environ 220 personnes vers la mort. 

L'arrivée de l'organisation il y a une année a suscité une vive opposition au sein de cette commune de près de 2000 habitants. Les habitants ont signifié leur mécontentement par le biais d'une pétition munie de plus de 400 signatures. Ils tentent d'empêcher le suicide assisté dans leur village, dénonçant des irrégularités au niveau du droit de construction.

Analyses de la légalité

Le centre du village se trouve à 2,5 kilomètres de l'auberge. Sous ses airs paisibles et malgré son cadre champêtre, le hameau regorge de restaurants et d'auberges. Quelques confettis, rescapés du carnaval de Bâle, sont d'ailleurs arrivés jusqu'ici en transports publics. 

Mais si le sujet du suicide assisté semble inexistant dans les conversations des habitants de Nunningen, il est bien au cœur des discussions au sein de l’administration communale: le suicide assisté est un débat quotidien, la commune tentant de clarifier l'admissibilité au niveau du droit de construction. «La procédure est toujours en cours et pourrait prendre plus de temps que prévu», explique le président centriste de la commune, Philipp Muster. Raison pour laquelle il ne peut pas donner d'informations supplémentaires. 

Des habitants voient l'arrivée de l'association d'un mauvais œil, alors que d'autres ont une vision différente. Comme Justine Heusser, directrice de l'exploitation agricole de l'institution Sonnhalde, qui se trouve juste à côté. La structure propose des places d'hébergement et d'occupation pour adultes, adolescents et enfants qui sont sur le spectre autistique. La directrice affirme que le fait que des personnes soient accompagnées vers la mort à côté n'affecte pas le travail de l'institution.

Mourir dans un cadre «magnifique»

Celui qui est à la tête de l'association Pegasos s'appelle Ruedi Habegger. Cet homme de 71 ans a quitté l'organisation d'aide au suicide Eternal Spirit de sa sœur Erika Preisig, célèbre activiste bâloise du suicide assisté, pour fonder sa propre association. 

Lorsque l'association était encore active à Liestal, une grande partie des personnes souhaitant mourir venaient de l'étranger – Australie, Grande-Bretagne, Etats-Unis ou encore Italie. Ruedi Habegger avait récemment fait les gros titres en voulant aider le médecin et militant pro-euthanasie australien Philip Nitschke à importer la capsule de la mort Sarco en Suisse. Mais il s'était ensuite rétracté en raison de doutes juridiques, avant de se brouiller avec le promoteur de Sarco.

A Nunningen, Pegasos tient à offrir un lieu paisible. «Depuis le printemps 2024, nous offrons aux malades incurables ou aux personnes souffrant de maux insupportables un cadre digne pour leur dernier voyage», déclare l'association. Face à l'opposition des voisins, celle-ci met en avant l’emplacement de son bâtiment, situé en zone centrale, où les activités commerciales discrètes sont autorisées. Pegasos ne donne aucune information sur ses chiffres, sur le nombre de ses membres, ni sur l'origine des personnes souhaitant mourir. 

Si Pegasos a transféré ses activités de Liestal à Nunningen, c'est parce que l'ancien site n'était pas adapté. Désormais, les personnes peuvent mourir «dans un cadre naturel magnifique, en dehors d'une zone densément peuplée et en toute discrétion».

Une solution propre à Soleure pour diminuer les coûts

En Suisse, environ 2000 femmes et hommes recourent chaque année au suicide assisté. Environ 15% d'entre eux viennent de l'étranger. La plus grande – et la plus connue – des organisations nationales d'assistance au suicide est Exit.

Sauf que mourir a un coût. Les suicides assistés demandent non seulement beaucoup de travail, mais engendrent surtout des dépenses considérables pour les cantons. En effet, comme il s'agit de décès extraordinaires, ils doivent faire l'objet d'une enquête. La mobilisation de la police, du ministère public et des autopsies coûtent cher. Le canton de Soleure a calculé qu'un accompagnement au suicide lui revenait en moyenne à 3000 francs. 

C'est pourquoi il a élaboré avec l'association Pegasos une solution spécifique pour éviter déplacement de la police. L'organisation documente chaque suicide par vidéo avant de l'envoyer au ministère public. Le but: prouver que chaque personne qui a choisi de mourir déclenche elle-même la perfusion mortelle. De plus, l'organisation se charge elle-même de déposer les corps à la médecine légale à Bâle, et prend en charge les frais d'autopsie.

Cette solution a fait ses preuves, selon Andreas Kaufmann, porte-parole de la chancellerie soleuroise. Mais comme le modèle est récent, ayant été mis en œuvre depuis décembre 2024, il n'est pas encore possible de tirer un bilan définitif.

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