Le Conseil fédéral fait la sourde oreille
La Suisse économise sur le dos des malentendants, et cela nous coûte des milliards

A l'occasion de la Journée mondiale de l'audition du 3 mars, Pro Audito a publié une étude alarmante. En Suisse, l'achat d'appareils auditifs a chuté depuis une réforme du financement des aides auditives. Et les effets financiers sont terribles.
Publié: 04.03.2025 à 18:59 heures
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Léa Duquesne n'entend plus très bien, et a dû s'acheter des appareils auditifs.
Photo: Kim Niederhauser
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Christian Kolbe

Chaque jour était toujours plus pénible. «Je devais de plus en plus souvent demander aux gens de répéter leurs phrases», confie Léa Duquesne, 75 ans. «Avec le temps, c’était épuisant. J’ai commencé à m’isoler, à ne plus aller au cinéma, aux concerts, au théâtre.» Un test auditif lui a révélé une perte de 20%, un déficit important, mais insuffisant pour bénéficier d’une aide financière de l’AVS, dont le seuil est fixé à 35%. «Pourquoi devrais-je entendre encore 15% de moins pour obtenir un coup de pouce?», s’interroge-t-elle.

Léa Duquesne a donc dû financer elle-même ses appareils auditifs, un achat qu’elle compare à «des bijoux invisibles, mais les plus chers que je me sois offerts». Sa paire, de gamme moyenne, lui a coûté 6000 francs, un montant considérable, mais indispensable pour retrouver une vie sociale active. Les modèles les plus bon marché coûtent à 3000 francs, tandis que les plus technologiques peuvent atteindre 9000 francs. En Suisse, 1,3 million de personnes sont concernées par la déficience auditive.

Une réforme lourde de conséquences

L'enseignante à la retraite a pu se permettre de payer ses appareils auditifs de sa propre poche. Mais beaucoup ne le peuvent pas. Et les conséquences financières sur l'ensemble de la société sont importantes.

Jusqu’en 2011, l’AVS et l’AI finançaient plus largement les appareils auditifs. Mais depuis la réforme, le taux de prise en charge a chuté, forçant de nombreuses personnes à renoncer à s’équiper. Ce changement a eu des conséquences dramatiques, selon une étude de Pro Audito Suisse, que Blick a pu consulter en exclusivité «On doit encore moins bien entendre pour être aidé», déplore Heike Zimmermann, co-directrice de Pro Audito Suisse.

«
On a (...) économisé au mauvais endroit, engendrant des coûts consécutifs énormes pour nous tous
Heike Zimmermann, co-directrice de Pro Audito Suisse
»

Mais le problème n’est pas seulement financier. Par honte ou pour éviter de demander de l'aide, beaucoup préfèrent souffrir en silence et renoncer à des appareils – et des années de vie en bonne santé. «Aussi par honte, parce qu'ils ne veulent pas devenir des quémandeurs auprès des autorités», précise la co-directrice.

«Avec la réforme, l'AVS et l'AI ont depuis lors économisé environ un milliard de francs – bien plus que ce qui était prévu à l'origine», critique Heike Zimmermann. «On a toutefois économisé au mauvais endroit, engendrant des coûts consécutifs énormes pour nous tous.» De plus, les prix des appareils auditifs n'ont pas baissé, ce qui était pourtant l'objectif à la base.

Des coûts qui se chiffrent en milliards

La perte auditive peut non seulement conduire à l'isolement ou à la dépression, mais elle peut aussi accélérer la démence liée à l'âge, car l'audition est essentielle pour la forme mentale. Des maladies secondaires qui sont aussi payées par les caisses d'assurance maladie, et donc par les payeurs de primes.

Selon l’Observatoire suisse de la santé (Obsan), la déficience auditive génère 7 milliards de francs de dépenses annuelles, un fardeau dépassé uniquement par les maux de dos. À titre de comparaison, les coûts liés au tabac et à l’alcool s’élèvent respectivement à 3,9 et 2,8 milliards.

Le Conseil fédéral ne veut rien entendre

Les coûts élevés ont mis la puce à l'oreille des politiques. Le conseiller aux Etats libéral-radical (PLR) Josef Dittli porte lui-même des appareils auditifs depuis plus de dix ans. Et il le sait: il n'y a pas que l'âge qui peut faire baisser l'ouïe. Dans une interpellation, le député a demandé au Conseil fédéral ce qu'il comptait faire pour lutter contre l'augmentation des coûts. L'Uranais n'a guère trouvé d'écho à ses inquiétudes auprès du Conseil fédéral qui, dans sa réponse, esquisse surtout l'information et la sensibilisation, mais aucune trace d'un potentiel budget.

«Je ne suis pas satisfait de cette réponse, a lancé Josef Dittli. Le Conseil fédéral reconnaît certes le problème, mais lorsqu'il s'agit de prendre des mesures concrètes, il ne fait rien. Il y a un risque de malaise social pour les personnes particulièrement concernées, les gens risquent de s'isoler davantage.»

Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que chaque dollar investi dans la prise en charge auditive en rapporte 16 en bénéfices sociaux et économiques. Ceci permettant une meilleure qualité de vie et une productivité accrue, ainsi qu'une baisse des coûts de la maladie.

Un calcul qui résonne avec l’expérience de Léa Duquesne. Peu après son achat, elle a retrouvé le plaisir d'écouter un concert de jazz. «C'était fantastique, j'avais l'impression d'être assise au milieu de la musique. C'est là que j'ai réalisé tout ce que je ne percevais plus!» Et de conclure: «On devrait tous pouvoir à nouveau profiter d'une telle expérience auditive.»

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