La direction du groupe Axpo, avec le CEO Christoph Brand à sa tête, subit actuellement de nombreuses critiques de la part des politiques. En effet, Blick avait rapporté il y a deux semaines que ce comité de six personnes avait gagné environ 80% de plus que l'année précédente au cours des années 2023-2024. Des interventions politiques ont donc été déposées dans plusieurs cantons afin d'endiguer les salaires des dirigeants de l'entreprise d'électricité contrôlée par l'Etat.
Le Conseil d'Etat argovien veut même proposer une modification des statuts lors de l'assemblée générale d'Axpo, afin que les rémunérations de la direction du groupe ne soient plus fixées par le conseil d'administration, mais par l'assemblée générale. Autrement dit: directement par les cantons propriétaires.
L'indignation suscitée par le bond salarial de Christoph Brand et ses collègues est d'autant plus grande que leur contribution aux récents succès commerciaux est controversée. Il est reproché au secteur énergétique dominé par l'Etat d'avoir réalisé des bénéfices records en raison de prix de l'électricité trop élevés.
Des dividendes de plusieurs millions
L'exemple de Swissgrid montre que ces reproches sont loin d'être tirés par les cheveux. La société nationale chargée d'exploiter le réseau est responsable de la sécurité et de l'extension du réseau haute tension de 6700 kilomètres en Suisse.
Elle dispose d'un monopole garanti par l'Etat, qui lui permet de prélever des taxes pour l'utilisation du réseau. Mais grâce à cette position monopolistique, Swissgrid enregistre année après année des millions de bénéfices. Depuis 2014, cela représente un total de 788 millions de francs.
Seule une partie de cette somme a été réinvestie dans le système. 319 millions ont été versés aux actionnaires sous forme de dividendes. Axpo et BKW, qui détiennent plus des deux tiers de Swissgrid, ont reçu à eux seuls environ 200 millions de francs.
Ils ont ainsi pu gonfler leurs bénéfices, ce qui a profité aux actionnaires (en partie privés) et aux membres de la direction des deux entreprises. Les premiers sous forme de dividendes, les seconds sous forme de salaires liés aux résultats.
«Le bénéfice est imposé»
Swissgrid justifie tout cela par le fait qu'Axpo, BKW et consorts ont dû céder à partir de 2013 «la propriété et la responsabilité» du réseau de transport d'électricité en Suisse. En contrepartie, les groupes électriques auraient reçu des actions Swissgrid d'une valeur équivalente aux actifs apportés. «Depuis lors, le bénéfice régulé du réseau de transport ne revient plus aux actionnaires, mais à Swissgrid», a déclaré un porte-parole de l'entreprise.
La société d'exploitation du réseau ne se considère pas responsable du montant de ces bénéfices: «Notre modèle commercial, et donc notre bénéfice, est entièrement réglementé et donc imposé par le législateur.»
C'est peut-être vrai pour le bénéfice. Mais pas pour l'utilisation de ces gains. La loi ne prévoit aucune restriction quant au montant des dividendes versés aux actionnaires. C'est l'assemblée générale de Swissgrid – donc Axpo et FMB en tant qu'actionnaires principaux – qui en décide.
Personne n'est responsable
Interrogées par Blick, les deux entreprises marchent sur des œufs. Axpo fait remarquer qu'elle est «entièrement détenue publiquement». «Le bailleur de fonds est le secteur public, qui bénéficie en fin de compte aussi des dividendes de Swissgrid», explique un porte-parole. L'entreprise n'aborde pas les bonus de la direction du groupe.
Quant au groupe FMB, détenu à 48% par des intérêts privés, il renvoie la patate chaude à la société de réseau: «En ce qui concerne la politique de dividendes, nous nous tournons directement vers Swissgrid, car la responsabilité opérationnelle et la stratégie financière sont déterminées par ses organes», explique une porte-parole.
Les cantons d'Argovie, de Berne et de Zurich, qui possèdent la grande majorité d'Axpo et de FMB, ne veulent surtout rien avoir à faire avec les dividendes de Swissgrid. «Nous n'avons aucune participation dans Swissgrid et n'avons donc aucune influence sur sa politique de dividendes», affirment-ils.
Toujours est-il que la Commission fédérale de l'électricité Elcom, qui supervise Swissgrid, a reconnu la nécessité d'agir. L'autorité est manifestement d'avis qu'Axpo, FMB et compagnie font rémunérer leur capital de manière trop généreuse.
Concrètement, le WACC (Weighted Average Cost of Capital), qui détermine le taux auquel le capital du réseau électrique est rémunéré, est trop élevé depuis des années.
Le Conseil fédéral intervient
En juillet 2024, l'autorité de surveillance a déclaré sans équivoque: «C'est précisément pendant la phase de taux d'intérêt bas persistante de ces dernières années que la limite inférieure technique a conduit à ce que le WACC soit systématiquement trop élevé et qu'il s'accompagne d'une charge supplémentaire injustifiée pour les consommateurs, ou qu'il procure aux gestionnaires de réseau des revenus excessifs ou des effets d'aubaine.»
Le Conseil fédéral est du même avis et propose donc d'adapter la méthodologie utilisée pour calculer le WACC. Les coûts d'utilisation du réseau pour les ménages et les entreprises devraient ainsi être réduits de 127 millions de francs par an à partir de 2026. Le gouvernement national veut ainsi empêcher «des rendements élevés injustifiés pour les bailleurs de fonds».
On ne sait pas quand le Conseil fédéral décidera définitivement de l'augmentation du WACC. Mais les bénéfices et les dividendes de Swissgrid des années précédentes ne sont en tout cas pas à l'ordre du jour. Pas plus que les rémunérations versées jusqu'ici aux membres de la direction du groupe Axpo et FMB.
Le pronostic est toutefois risqué: les groupes électriques contrôlés par l'Etat ne devraient plus connaître de sauts salariaux de 80% dans un avenir proche.