L’heure est grave, la pénurie d’énergie guette. Alors que l’hiver approche, tout le monde doit faire des économies. Le politique martèle ce message et rivalise de symboles plus ou moins loufoques pour le faire entendre.
Les exemples ne manquent pas. Traversons un court instant la frontière. En France, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, entend délaisser ses cravates pour porter des cols roulés durant la saison froide. Objectif? «Faire preuve de sobriété» face à la crise énergétique. De son côté, le député de Paris Gilles Le Gendre confie qu’il n’utilise plus son sèche-linge et étend ses vêtements à la main.
Les femmes sur le côté
Elisabeth Borne, elle, joint déjà les actes (et le dress code) à la parole, avec sa très polémique doudoune portée face aux médias. La Première ministre de l’Hexagone a-t-elle inspiré jusqu’en Suisse romande? Car le Conseil d’Etat fribourgeois a, lui aussi, sorti l’artillerie lourdingue pour marquer les esprits.
Posons les faits. Comme dans d’autres cantons romands, l’Exécutif a dévoilé mardi ses décisions pour éviter que les prochains mois ne se transforment en un mauvais remake de «Game of Thrones». La photo qui illustre le communiqué de presse? Les ministres, superposés les uns à côté des autres (et les femmes sur le côté), devant un fond blanc et… en pull.
Le Conseil d’Etat — tout comme Bruno Le Maire — veut donc prouver par l’exemple qu’une baisse de chauffage est tout à fait supportable avec une petite laine sur le dos. Mais a-t-on vraiment besoin de se mettre pareillement en scène pour faire passer son catalogue de mesures? Ce procédé est-il efficace ou les personnalités politiques risquent-elles avant tout de s’attirer moqueries et quolibets?
«La cohérence est importante»
Interrogé par Blick, Romain Pittet, coprésident de la Société romande de relations publiques, juge la démarche des autorités fribourgeoises intéressante. Sur le fond, du moins. «La cohérence entre la parole et l’apparence est forcément importante, analyse-t-il. Utiliser un décor, une gestuelle ou un habillement qui vient renforcer son message est une technique de communication vieille comme le monde.»
Le spécialiste en relations publiques et communication cite l’exemple du Premier ministre espagnol qui, en juillet dernier, avait suggéré à ses compatriotes de tomber la cravate pour faire des économies d’énergie en ayant moins recours à la climatisation. «S’il avait fait cette déclaration en portant une cravate, vous voyez bien le problème... Et c’est normal. Les décideurs et décideuses doivent veiller à ne pas être en décalage avec ce qu’ils et elles professent.»
«Une bande de papys ringards»
Revenons sur les bords de la Sarine. L’exercice est-il réussi, oui ou non? «Même si j’estime toujours que l’action concrète est plus importante que l’image ou la parole, je trouve l’idée du Conseil d’Etat excellente, assure Romain Pittet. Mais l’exécution est malheureusement ratée. Avec leurs vieux pulls qui semblent ressortir pour la première fois depuis des décennies des armoires, on dirait une bande de papys un peu ringards.»
L’expert en rit: «Ça fait 'Les bronzés font du ski' 40 ans après! Il suffit de comparer leurs tenues avec n’importe quel site de mode. Certains ne sont pas beaucoup plus vieux que moi, mais s’habillent comme mon père. Le gouvernement aurait dû aller jusqu’au bout et se faire conseiller par un ou une coach vestimentaire.»
Ne pas être donneur de leçon
Malgré tout, le Vaudois relativise: ces fautes de goût ne sont pas bien graves et pourraient même rendre les édiles sympathiques car «normaux, simples». «Ce qui serait vraiment embêtant, c’est si on apprenait que tel ou telle roulait avec une voiture excessivement polluante ou se chauffait au mazout alors qu’il ou elle aurait les moyens de faire autrement, considère-t-il. Aujourd’hui, la posture est importante, mais elle ne suffit pas.»
Il faut en outre réussir à être exemplaire sans être donneur de leçon: un équilibre difficile à trouver. Elisabeth Borne et sa doudoune l'ont appris à leurs dépens, au vu de la montagne de réactions négatives de l’autre côté du Jura qui lui reprochent ses vols en jet privé.
Reste un vrai point positif, ironise Romain Pittet: «Si je dirigeais une marque de prêt-à-porter, je m’empresserais d’appeler les chancelleries romandes pour proposer mes services. Il y a visiblement de quoi faire!»