Avec la pandémie, de nombreux consommateurs ont l’estomac noué à cause des prix élevés. L’économie souffre-t-elle aussi du Covid long?
Marc Brütsch: Certains secteurs souffriront plus à long terme. Je pense notamment à la gastronomie ou au tourisme. En ce sens, oui, l’économie souffre d’un genre de Covid long. Mais au moins, nous savons où se trouve l’ennemi. Lors de la crise financière, quand nous devions retourner chaque pierre de notre modèle économique pour tenter de comprendre la source du problème, c’était plus compliqué.
Quel danger représente la hausse des taux d’inflation?
Pour la Suisse, je ne vois pas de problème majeur. Le taux d’inflation y est actuellement de 1,2%, bien plus bas qu’en Allemagne. A long terme, nous prévoyons un taux d’inflation moyen de 0,6%. C’est une augmentation par rapport à la décennie précédant la pandémie, mais en chiffres absolus, nous sommes toujours dans une situation acceptable. Même la Banque nationale estime que la stabilité des prix est garantie.
Aux États-Unis, le renchérissement a atteint son plus haut niveau depuis plus de 30 ans. Comment expliquer cette exception suisse?
La hausse des prix de l’énergie et des loyers ainsi que l’augmentation de la consommation ont alimenté l’inflation aux Etats-Unis. L’essence y est beaucoup moins taxée et les mouvements sur le marché des matières premières se répercutent beaucoup plus rapidement sur le prix à la pompe. En Suisse, les dépenses en essence et en mazout ont un poids plus faible dans le panier de l’indice des prix à la consommation que dans les pays voisins.
Pourquoi les prix de l’énergie augmentent-ils si rapidement?
D’une part, en raison des effets de rattrapage de la récession de l’année dernière. Parallèlement, la décarbonation pousse les prix à la hausse.
Dans quelle mesure?
Le monde veut devenir climatiquement neutre, cela coûte de l’argent. L’énergie issue de la fracturation et du charbon n’est plus soutenue dans la même mesure. La décarbonation de l’industrie a un prix. En Suisse, nous enregistrons un renchérissement annuel de 1,2%, dont la moitié est due aux prix de l’énergie. C’est en particulier le cas de l’essence. Nous devrons nous habituer à des prix plus élevés.
Cela nous amène à la Banque nationale. Une hausse des taux d’intérêt est-elle prévisible?
Nous ne prévoyons pas de première hausse des taux avant 2024. Mais la BNS ne renoncera pas aux taux d’intérêt négatifs avant un certain temps.
Cela contribue à faire gonfler la bulle immobilière. Est-ce encore le bon moment pour acheter une maison?
Je continuerais à miser sur l’immobilier. Nous ne voyons aucun signe de spéculation ou de suroffre. Je serais toutefois sélectif quant à l’emplacement. L’expérience montre que les immeubles situés en centre-ville ont des prix très stables.
La Banque nationale met pourtant de plus en plus en garde contre un crash…
Elle vise surtout la pratique de nantissement des banques, qui se régulent elles-mêmes dans ce domaine. La BNS veut manifestement inciter les banques à devenir plus restrictives en matière de crédits hypothécaires.
Pourtant, sa politique des taux d’intérêt est le principal moteur de la bulle immobilière. Pour la BNS, seul le franc compte.
Avec un seul instrument de politique économique, on ne peut poursuivre qu’un seul objectif. Mais pour le marché de l’immobilier, cela signifie aussi que les taux d’intérêt ne vont pas bondir, en tout cas pas dans un avenir proche. Cela réduit considérablement le risque de krach.
Il n’y a pas que le marché de l’immobilier qui dépend des taux d’intérêt. Le rôle des banques centrales est devenu prépondérant. Ces institutions agissent-elles encore de manière indépendante?
Je me pose de plus en plus de questions à ce sujet. La politique monétaire ne cesse de s’entremêler à la politique fiscale. Le Covid a renforcé une tendance qui s’accentuait déjà. Les banques centrales auraient dû faire baisser les taux d’intérêt au début de la crise et l’Etat se serait endetté aux conditions du marché pour faire face à la crise par le biais de la politique fiscale. Ça aurait été la solution dans les règles de l’art, si l’on peut dire. Mais en réalité, les banques centrales ne pouvaient plus baisser les taux d’intérêt.
Et que font-elles à la place?
Elles maintiennent les taux d’intérêt à un bas niveau et achètent en masse des obligations d’État afin que ceux-ci, parfois très endettés, puissent refinancer leurs dettes. C’est tout simplement de la répression financière. Cela met le marché partiellement hors service et pousse les investisseurs vers les marchés des actions et de l’immobilier.
Marc Brütsch occupe le poste d'économiste en chef de Swiss Life Asset Managers depuis mars 2000. Il travaille pour le groupe d'assurance depuis 1993. Il a étudié l'économie et le journalisme à l'université de Zurich. Au cours des six dernières années, lui et son équipe ont été récompensés à quatre reprises par le Forecast Accuracy Award pour avoir fourni les meilleures prévisions de PIB et d'inflation pour la Suisse.
Marc Brütsch occupe le poste d'économiste en chef de Swiss Life Asset Managers depuis mars 2000. Il travaille pour le groupe d'assurance depuis 1993. Il a étudié l'économie et le journalisme à l'université de Zurich. Au cours des six dernières années, lui et son équipe ont été récompensés à quatre reprises par le Forecast Accuracy Award pour avoir fourni les meilleures prévisions de PIB et d'inflation pour la Suisse.
Et la Confédération? En fait-elle trop ou pas assez?
En ce qui concerne les aides financières Covid, la Suisse a joué un rôle de modèle au niveau mondial. Mais la pandémie a aussi révélé des points faibles, par exemple dans le système du fédéralisme. Un vide politique s’est parfois créé, qui a paralysé la lutte contre la pandémie.
L’obligation et l’extension du certificat Covid sont à nouveau sur le devant de la scène. Quel est l’impact de cette mesure d’un point de vue économique?
Le certificat permet à l’économie de rester ouverte. Et notre économie a prouvé qu’elle pouvait gérer de telles situations et trouver le chemin vers les clients malgré la pandémie. Il s’agit donc avant tout d’un problème de société. Mais l’alternative au certificat serait un taux de vaccination très élevé, que nous ne n’atteindrons manifestement pas.
Au début de la pandémie, des voix s’élevaient pour s’opposer aux mesures politiques, qu’elles jugeaient nuisibles à l’économie. Où est le consensus aujourd’hui?
Au tout début de la crise, la plupart des économistes étaient de grands partisans d’un traçage efficace des contacts. Actuellement, ils plébiscitent majoritairement des mesures comme le certificat, pour éviter à tout prix un confinement total.
La notion de confinement joue-t-elle encore un rôle dans vos réflexions?
Dans nos prévisions, nous partons du principe que nous réussirons à éviter un autre confinement à grande échelle.
Qu’est-ce qui nous occupera l’année prochaine, en dehors du Covid?
Les élections de mi-mandat aux États-Unis. Et le conflit commercial entre la Chine et les USA, qui n’est pas résolu.
(Adaptation par Alexandre Cudré)