Au départ, même les économistes chevronnés ont eu du mal à cerner les raisons de l'appréciation actuelle du franc suisse. En février 2021 encore, un euro valait bien 1,11 franc. Depuis, la monnaie unique s'est affaiblie sans raison apparente, et le franc suisse s'est apprécié par rapport à l'euro pour atteindre un taux de change de 1,05 franc.
Mais pourquoi le franc monte-t-il alors que l'économie mondiale est en plein essor, que les producteurs et les consommateurs font de leur mieux pour laisser la crise du Covid derrière eux et dépensent à pleines mains l'argent qu'ils ont économisé l'année dernière?
Un point de départ différent
L'une des raisons est qu'en période de reprise, une monnaie qui serve de refuge aux investisseurs n'est pas nécessaire. Au printemps 2020, juste avant que le pessimisme face à la crise ne se répande dans l'économie mondiale, le franc valait même un peu plus qu'aujourd'hui.
Après 20 mois de crise et une reprise au quart de tour, l'inflation entre en jeu. Elle reste nettement plus faible en Suisse que dans la zone euro ou aux États-Unis. Le franc s'est donc considérablement apprécié par rapport au dollar.
Daniel Kalt, économiste en chef d'UBS Suisse, calcule: «Aux Etats-Unis, l'inflation est de 6%, en Suisse de 1%. Cela signifie que le franc peut facilement s'apprécier de 5% par rapport au dollar». Si les prix augmentent, c'est-à-dire si les biens et les services deviennent plus chers, on peut acheter moins de biens pour un dollar ou un euro, la monnaie perd donc de sa valeur.
La BNS intervient
Pour Daniel Kalt, nulle raison d'être nerveux pour autant: «Ce serait tout autre chose si l'euro tombait à un franc. Mais nous ne nous attendons pas à ce que cela se produise».
En effet, la chute de l'euro a mis la Banque nationale suisse (BNS) en garde: «La BNS est intervenue à hauteur d'un milliard de francs par semaine au cours de chacune des trois à quatre dernières semaines», précise Daniel Kalt. Le but est de ne pas laisser l'euro descendre sous la barre des 1,05 franc.
Le franc fort est une malédiction pour les uns, une bénédiction pour les autres, comme nous l'explique Adriel Jost, économiste en chef et directeur général de la société de conseil WPuls: «Avec le franc fort, nous pouvons acheter davantage avec notre argent». Cela signifie que la Suisse ressent beaucoup moins la hausse des prix de l'énergie que d'autres pays. Les vacances ou les achats à l'étranger deviendront également moins chers. Adriel Jost part du principe que le franc suisse n'est plus du tout surévalué: «Tout récemment, la parité dite de pouvoir d'achat était de 1,06 franc - c'est beaucoup moins qu'il y a un an».
Il y a aussi des perdants
Mais il y a aussi des perdants. Il s'agit notamment de l'industrie d'exportation, à savoir l'industrie des machines. «L'appréciation rapide de ces derniers mois comprime les marges, on n'a pas le temps de s'adapter à la situation», déclare Ivo Zimmermann, porte-parole de Swissmem, l'association de l'industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux. Cela n'a pas encore trop ému la branche: les goulets d'étranglement au niveau de l'offre donnent encore plus de fil à retordre aux entreprises que la situation monétaire.
Il en va de même pour le tourisme suisse, qui doit faire face à une saison hivernale comportant de nombreux impondérables. «L'ensemble du système est si fragile que toutes les influences extérieures menacent la reprise», explique le porte-parole de Suisse Tourisme, Markus Berger. Le problème: le franc fort rend le séjour en Suisse plus cher pour les hôtes étrangers.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)