Martin Hirzel, le président de Swissmem, l’Association de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux, ne s’inquiète pas outre mesure de la fusion en urgence de Credit Suisse et d’UBS. Pour lui, le secteur industriel suisse est solide. Et le danger se situerait plutôt au niveau de l’intervention politique chez les entreprises.
Monsieur Hirzel, il y a une semaine, Crédit Suisse (CS) a été racheté par l’UBS – avec la participation active des autorités suisses. Que pensez-vous de cette situation?
Pour nous, en tant qu’industrie, le plus important était de pouvoir travailler normalement cette semaine. Les entreprises n’ont pas perdu d’argent, le trafic des paiements et la couverture des risques de change ont parfaitement fonctionné. Une faillite de CS aurait en revanche eu des conséquences catastrophiques pour la place industrielle suisse. Nous sommes donc heureux et reconnaissants que les autorités responsables, ainsi que les représentants des grandes banques, aient trouvé une solution qui a permis d’éviter le chaos.
Sur la débâcle de Credit Suisse
L’industrie suisse était-elle préparée à ce qui s’est passé?
Swissmem n’a pas été impliqué dans les négociations de reprise. Mais l’industrie s’est très bien préparée à une éventuelle faillite de CS. De nombreuses entreprises ont transféré leurs pools de liquidités vers d’autres banques au cours des six derniers mois, lorsque les points d’interrogation autour de CS se sont multipliés. Mais les directeurs financiers ont fait leurs devoirs bien plus tôt: aucune grande entreprise suisse ne se fie à une seule banque.
Ce sont précisément ces transferts de fonds vers d’autres banques qui ont été fatals à CS.
Du point de vue d’une entreprise industrielle, cette procédure n’avait pas d’alternative. Même pour les entreprises clientes, la garantie des dépôts ne s’applique que jusqu’à 100’000 francs. Pour une entreprise, il aurait donc été impardonnable de s’accrocher à CS en dépit de tous les risques. On aurait ainsi mis en jeu sa propre pérennité.
Que signifie ce rachat pour la place économique suisse?
Nous avons désormais moins de concurrence sur la place financière. Ce n’est pas une bonne nouvelle, en particulier pour les entreprises orientées vers l’exportation. L’industrie pouvait comparer les offres de l’UBS avec celles de CS en demandant une offre aux deux. C’est désormais terminé, et les conditions tendent à se dégrader pour le trafic des paiements, les crédits et le placement d’obligations d’entreprises. De plus, CS était le leader absolu en matière de financement et de garantie des opérations d’exportation. Mais les responsables de l’UBS le savent aussi, et je pars donc du principe qu’ils continueront cette activité et que le savoir-faire sera conservé.
Quel est le poids de ce changement pour une PME?
Avoir deux grandes banques était un avantage par rapport à la concurrence à l’étranger. Cet avantage disparaîtra à l’avenir. C’est regrettable, surtout à une époque où les entreprises sont fortement sollicitées ailleurs: les coûts de l’énergie ont augmenté, il règne une grande incertitude géopolitique et les relations avec l’Union européenne (UE) ne sont toujours pas réglées.
D’autres pays comme la Suède sont également très forts à l’exportation, bien qu’ils n’aient pas de grandes banques actives au niveau international. Même le «champion du monde de l’exportation», l’Allemagne, n’a qu’un seul établissement financier, la Deutsche Bank, qui est considéré comme d’importance systémique au niveau mondial.
C’était effectivement un privilège pour l’industrie suisse de disposer de deux banques universelles actives au niveau international. Cela faisait partie de nos bonnes conditions cadres. Mais nous trouverons des moyens de réussir même sans CS. Je ne vois de toute façon aucun problème pour les petites entreprises. Il existe suffisamment d’alternatives pour leurs besoins avec Raiffeisen, les banques régionales et les banques cantonales. Quant aux grands groupes, ils sont déjà très actifs et présents à l’international et peuvent aussi traiter leurs affaires avec de grandes banques américaines ou britanniques. Ils ne sont pas dépendants de l’UBS. Je vois le plus grand changement pour les entreprises exportatrices de taille moyenne. Elles devront s’habituer au fait qu’elles ne pourront plus réaliser toutes leurs opérations financières dans leur propre village et dans leur langue maternelle.
Quelles sont les alternatives?
BNP Paribas, Deutsche Bank, ING, etc. Ces banques sont déjà actives en Suisse depuis des années et elles vont essayer de profiter de la reprise de CS. Certains de ces établissements ont déjà frappé à la porte des directeurs financiers d’entreprises suisses au cours des dernières semaines et des derniers mois.
Y a-t-il un risque de désindustrialisation à cause de la faillite de CS?
Non, certainement pas. L’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux compte plus de 325’000 employés, et la tendance est à la hausse. Nous sommes très bien implantés, nous contribuons à près de 10% du produit intérieur brut et nous pouvons supporter sans problème la défaillance de CS. Il n’y a pas de danger pour le secteur industriel suisse.
Cela semble extrêmement optimiste.
J’ai parlé cette semaine avec une douzaine de directeurs financiers d’entreprises de différentes tailles. Personne ne s’inquiète du rachat de CS. L’industrie suisse a prouvé par le passé qu’elle était résistante. Nous avons appris à gérer le franc fort et avons également très bien surmonté la crise du Covid-19. Je suis donc convaincu que nous maîtriserons aussi les conséquences de la débâcle de CS.
Dans le monde politique, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander qu’UBS revende les activités suisses de CS afin que ce secteur puisse continuer à fonctionner comme une banque indépendante. Qu’en pensez-vous?
Je préfère toujours me montrer vigilant lorsque les politiques veulent dicter aux entreprises la manière dont elles doivent gérer leurs affaires. En principe, il serait certes souhaitable que CS continue d’exister en Suisse. Mais je ne vois aucune possibilité d’y contraindre l’UBS. Il aurait fallu négocier cela en amont. Mais je ne serais pas surpris si l’UBS arrivait de son propre chef à la conclusion que la vente de certaines parties est la meilleure solution. Après tout, les activités suisses de CS ont été rentables jusqu’à la fin et le regroupement entraîne maintenant de nombreux doublons.
Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez transmettre à la direction de l’UBS?
J’espère que l’UBS ne profitera pas de la situation actuelle pour imposer de moins bonnes conditions à l’industrie. Il est également extrêmement important que le financement des exportations de CS soit maintenu. Mais il n’y a vraiment aucune raison de réduire cette activité qui fonctionne bien.