En pleine pandémie, l’Allemand Torsten Friedrich a pris la tête des opérations de Lidl Suisse. Pour sa première interview, il évoque les projets d’expansion de l’enseigne pour la Suisse. Une voix précieuse car dans l’empire allemand du discount, la discrétion est considérée comme une vertu.
L’homme nous accueille dans un de ses entrepôts à Weinfelden, en Thurgovie, d’une poignée de main franche et enthousiaste.
Blick: Les Suisses ont la réputation d’être réservés. Comment avez-vous été accueilli avec votre style plutôt direct?
Torsten Friedrich: Il n’y a pas eu de difficultés, ni dans l’entreprise ni dans la vie privée. Je suis direct, mais aussi bon observateur et j’écoute d’abord quand j’arrive quelque part. Je n’ai d’ailleurs pas trouvé les Suisses particulièrement réservés. Les équipes sont soudées ici, nous communiquons à hauteur d’homme.
Quels sont les produits suisses que vous appréciez?
Je trouve que les produits locaux des petits fournisseurs suisses de fromage ou de charcuterie sont super. Une bonne alimentation est importante, je fais mes achats en connaissance de cause et je renonce à ce qui n’est pas sain.
La guerre en Ukraine, mais aussi la situation chaotique dans les ports de conteneurs asiatiques ralentissent considérablement les chaînes d’approvisionnement. Comment ressentez-vous cette crise?
C’est terrible de voir une guerre pareille en 2022. Cela nous affecte tous et les conséquences sont palpables. Pratiquement, il y a un manque de matériel d’emballage et les prix d’achat augmentent. Heureusement nous n’avons pas de rupture de stock dans les rayons. Nous avons un bon réseau international, ce qui nous aide à maintenir la disponibilité de tous les produits. Rien qu’en Suisse, nous disposons de plus de 300 fournisseurs. Nous réalisons déjà la moitié de notre chiffre d’affaires avec eux. Nous nous considérons donc comme bien armés, quoi qu’il arrive.
Une vague de renchérissement déferle sur le commerce de détail…
C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui se préparent. Mais nous sommes très efficaces, nos structures sont agiles et notre bureaucratie est bien huilée. Ces avantages en termes de coûts nous aident à amortir la vague de renchérissement. Et grâce à notre franc fort, nous n’avons pas une inflation aussi élevée que dans les pays de la zone euro, par exemple en Allemagne où le renchérissement des denrées alimentaires dépasse actuellement les 11%.
Cela vaut-il encore la peine de traverser la frontière pour faire ses courses?
Pour les produits alimentaires de base, qui bénéficient d’une TVA réduite de 7%, cela ne vaut pas la peine de faire ses courses dans les pays de l’Union européenne (UE) en ce moment. Le rapport qualité-prix en Suisse est bon, et j’estime que c’est aussi une bonne chose de rester faire les courses dans son pays par attachement. C’est mon avis personnel.
Certaines multinationales comme Nestlé ont décidé d’augmenter leurs prix pour les commerces. Comment réagissez-vous?
La pression est là. Mais nous n’acceptons évidemment pas tout, nous négocions avec les producteurs de marques et nous regardons de près quelles adaptations de prix sont justifiées. Des augmentations, il y en aura, c’est sûr. Mais nous voulons rester le numéro 1 en Suisse en termes de rapport qualité-prix.
De nombreuses actions publiques ont été effectuées par Lidl ces derniers temps. Nettoyages de marais avec des associations, dons à Pro Juventute, adhésion à Swisscleantech, développement de systèmes de protection écologiques pour les fruits et légumes avec le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche Empa… Vous ne reculez donc devant rien pour avoir une bonne image.
Cela fait partie de notre culture d’entreprise en Suisse et n’a rien à voir avec notre image. Vous citez ici de très nombreux thèmes de durabilité dont nous nous occupons depuis longtemps. Nous n’avons qu’une seule planète et sommes conscients de notre responsabilité dans ce domaine. Cela vaut d’ailleurs aussi pour l’ensemble du groupe Lidl.
Mais ce qui importe, en fin de compte, c’est le prix du panier, non? Celui de Lidl est-il moins élevé que celui des grands distributeurs qui proposent des produits au premier prix dans leurs rayons?
Notre devise est la suivante: chez nous, pour 50 francs, vous avez le panier le plus complet possible. C’est ainsi et cela le restera.
Migros pourrait bientôt vendre de la bière, des spiritueux et du vin. Craignez-vous de perdre des clients?
Pas vraiment. Nos clients ne viennent pas chez nous pour acheter de l'alcool, nous nous concentrons sur le secteur des produits frais, notamment les fruits et légumes.
Les détaillants suisses font pourtant plus de chiffre d’affaires avec les boissons alcoolisées qu’avec les fruits et légumes…
En tout cas, ce n’est pas ce qu'on observe chez nous.
Vous refusez de parler des performances commerciales en détail. Plusieurs études de marché font pourtant état de taux de croissance à deux chiffres et d’un chiffre d’affaires annuel de 2 à 2,5 milliards de francs pour Lidl…
… Ce qui est à peu près exact. Nous continuons à avoir une forte croissance. Voilà ce que je peux dire. (rires)
Vous exploitez désormais 161 magasins en Suisse. Votre soif d’expansion est-elle assouvie?
Nous voyons encore du potentiel en Suisse, en particulier dans les villes. Cette année encore, nous ouvrons dix à douze nouvelles filiales. Et nous sommes prêts à déployer notre concept de mini-surfaces si nous pouvons trouver des sites appropriés avec une forte fréquentation de clients.
À quoi ressemblent ces mini-succursales?
Elles n’ont souvent pas de places de parking, ont une surface de vente d’environ 500 mètres carrés au lieu des 1100 habituels et des caisses automatiques en self-check-out. C’est surtout intéressant pour ceux qui veulent se procurer rapidement un sandwich, des boissons ou d’autres produits à consommer sur le pouce en allant au travail.
Vous avez équipé plus de 90 magasins avec des self-check-out. Ne craignez-vous pas les vols?
Nous misons sur un système de barrières situées après les distributeurs, qui ne s’ouvrent que lorsque l’on passe le ticket de caisse devant un scanner. Nous misons sur ces portillons de sortie, contrairement à la concurrence. Et leur utilisation reste simple.
La fidélisation de la clientèle est essentielle. Il y a un an, vous avez lancé l’application Lidl Plus, qui distribue des réductions ciblées. Est-ce qu'elle est vraiment utilisée?
Si je regarde les chiffres des téléchargements de l’application, oui, absolument. Au cours des douze prochains mois, nous franchirons la barre du million de clients enregistrés qui, pour la plupart, utilisent activement et régulièrement les tickets de caisse numériques, les actions collectives et autres contenus.
Ce qui manque, c’est une boutique en ligne pour les produits alimentaires. Votre concurrent Aldi livre des produits en 24 heures, dans certaines régions de Suisse alémanique notamment.
La boutique en ligne fait partie d’un concept international chez Lidl. Elle arrivera en Suisse dans un certain temps. Mais, pour l'instant, nous ne nous laissons pas mettre sous pression sur ce projet.
Vos enfants iront bientôt à l’école en Thurgovie. Vous avez financé une crèche sur le site de l’entreprise, à Weinfelden, pouvez-vous nous en dire plus?
Nous faisons en sorte d’être un employeur attractif. Nous venons de faire savoir en interne que tous les membres de l’administration qui le peuvent et le souhaitent peuvent travailler à 100% en télétravail sur une base de confiance. Nous payons les mêmes salaires aux femmes et aux hommes. Cela inclut également le fait que nous proposerons une crèche à partir du 1er juin. Nous avons investi 450’000 francs à cet effet et considérons cela comme un engagement en faveur du site de Weinfelden.
(Adaptation par Alexandre Cudré)