Le Théâtre le Reflet, à Vevey (VD), a pris une décision inédite pour se sortir de la tourmente. Alors qu'il doit accueillir l'artiste français Édouard Baer, accusé par six femmes de harcèlement et d'agression sexuelle entre 2013 et 2021, le théâtre a décidé de maintenir la représentation du 28 mai.
Cependant, les membres du public qui ne souhaitent plus assister au spectacle seront remboursés sur demande. Le personnel de l'institution recevra l'article de Mediapart et Cheek, qui rassemble les témoignages. La décision a été prise par le Conseil de fondation des Arts et Spectacles de Vevey, chargé de la gestion du Reflet. Laurie Willommet, conseillère municipale (exécutif) socialiste (PS), en est membre.
La coprésidente des Femmes socialistes vaudoises, et membre du comité directeur du PS Vaud, a dénoncé un acteur culturel de renommée pour abus sexuels il y a 15 ans. Sa démarche a abouti à une condamnation. Elle évoque la complexité de concilier combat féministe et mandat institutionnel.
Laurie Willommet, la représentation d'Édouard Baer est maintenue. Ça vous évoque quoi?
La situation a été prise au sérieux et analysée par le Conseil de fondation. On a retenu le fait qu'il n'y avait pas eu de plainte déposée à l'encontre d'Édouard Baer, mais des décisions ont été prises.
Compte tenu de votre histoire personnelle, comment prenez-vous la venue d'une personnalité accusée d'agression sexuelle et de harcèlement?
Je comprends la décision institutionnelle et politique, mais je ne peux que regretter cette venue, sur le plan personnel. Je déplore cette ixième dénonciation. C'est tout le temps. On sait que ça va se répéter. C'est inquiétant, alors qu'il y aurait une solution tellement simple.
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Laquelle?
Que la personne accusée prenne la décision de ne pas venir. Cela résoudrait la question, en ne remettant pas la faute sur le théâtre et les équipes, et en ne forçant pas le public à se positionner. La personne concernée prendrait ainsi ses responsabilités. Même dans le cas d'Édouard Baer, qui dit ne pas être coupable, mais s'excuse auprès de ces femmes. Il montrerait qu'il les prend au sérieux en ne venant pas.
Est-ce déjà arrivé?
Non, je ne crois pas. J'évoque ici un monde idéal.
Dans la réalité, les théâtres peuvent-ils annuler la venue de ces artistes phares, dont on découvre qu'ils seraient des agresseurs?
C'est très compliqué tant qu'il n'y a pas de plainte ou d'instruction. Une base légale permet de prendre position en s'appuyant sur la justice. Sans cet élément, institutionnellement, c'est compliqué d'agir.
C'est un problème financier? D'image?
Les deux. Avec ou sans plainte, il y a de toute façon des conséquences financières, c'est certain. En termes d'image, c'est compliqué de prendre des décisions sur la base de témoignages. Combien en faut-il pour tout annuler? Un, trois?
En programmant un artiste masculin aujourd'hui, doit-on s'attendre à ce genre de problèmes?
Ça a toujours existé. Mais les victimes ne se taisent plus, particulièrement dans le milieu culturel. On le voit en ce moment avec le MeToo du Stand-up. Ces mouvements mettent en évidence l'ampleur du phénomène.
Comment faire, du côté des théâtres, pour se protéger?
Un travail doit avoir lieu. Notamment pour créer des clauses. On est très en retard sur l'encadrement de ces cas. Il peut y avoir des créations de chartes avec des conséquences si une affaire sort. Pour ça, bien sûr, il faut une analyse en amont: qu'est-ce qu'on fait du contrat, du public et des équipes?
Comment s'appellerait cette clause? Une «annulation en cas de découverte que vous êtes un agresseur»?
C'est là où un travail doit être fait. C'est plutôt, «si une affaire sort», il n'y a pas que l'agression sexuelle ou le harcèlement. On en parle beaucoup récemment, mais on n'a jamais réussi à résoudre le problème du curseur dans le monde artistique, souvenez-vous de Bertrand Cantat (ndlr: le chanteur, qui a tué à mains nues sa compagne Marie Trintignant en 2003, est revenu à la scène en 2010).
Tout est complexifié par la célébrité des artistes concernés?
C'est bien pour ça qu'il ne faut pas séparer l'homme de l'artiste, la justice doit être la même pour tout le monde, pour moi, c'est essentiel. Mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce point sensible.
Finalement, pour le théâtre, est-ce pire d'annuler ou de maintenir?
Dans les deux cas, il y a de l'incompréhension. Comme pour «séparer l'homme de l'artiste», justement. Mon opinion personnelle est très claire. Comme militante féministe, je pense que c'est un travail de sensibilisation qui doit continuer.
Si l'on choisit d'annuler un spectacle, quid de la présomption d'innocence?
La présomption d'innocence est un principe juridique. C'est un concept qu'en tant qu'individus, nous ne sommes pas obligés d'appliquer. C'est d'ailleurs très critiqué dans le cadre d'affaires d'agressions sexuelles, où l'agresseur est plus souvent blanchi que le contraire. Juridiquement, ça ne pose pas de problème de dire qu'on croit la victime.
Et si les institutions ne franchissent pas ce pas?
Ça n'est pas toujours au milieu institutionnel de trancher. Le levier citoyen est très important. On peut refuser de se rendre à la représentation, dénoncer sur les réseaux, lancer des pétitions. Beaucoup de choses sont possibles.
C'était déjà le cas, il y a 15 ans?
Pas du tout. MeToo a mis en évidence toutes ces problématiques de manière incroyable. Je suis personnellement très heureuse de cette mobilisation, que ce soit aujourd'hui, ou pour Depardieu, ou même lorsque Vincent Perez l'a soutenu. Moi, ça me fait du bien. Maintenant, on ne se tait plus.