L'ambassadeur de l'Ukraine à Berne
«On ne peut pas faire confiance à Poutine»

La situation à la frontière de l'est de l'Ukraine est tendue. Une invasion russe est-elle imminente? Combien de temps l'Ukraine pourrait-elle tenir? Blick s'est entretenu avec l'ambassadeur ukrainien Artem Rybtschenko.
Publié: 14.01.2022 à 13:51 heures
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L'ambassadeur ukrainien Artem Rybtchenko craint une invasion de son pays par les Russes.
Photo: Screenshot
Guido Felder

Les Russes sont-ils en train d’envahir l’Ukraine ou ne s’agit-il que de menaces? La situation est extrêmement tendue à la frontière orientale de l’Ukraine. Les récentes discussions entre les représentants de l’OTAN, de la Russie et de l’Ukraine – entre autres à Genève – n’ont pas permis de trouver un accord.

Blick s’est entretenu avec l’ambassadeur ukrainien Artem Rybtschenko sur sa peur d’une invasion et sur les désirs d’expansion du président russe Vladimir Poutine.

Monsieur l’ambassadeur, que pensez-vous des négociations de ces derniers jours, qui se sont en partie déroulées à Genève?
Artem Rybtschenko:
Je suis très heureux de la manière dont nos partenaires nous soutiennent. Mais la suite des événements reste ouverte.

L’ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, aujourd’hui maire de la capitale Kiev, a déclaré cette semaine qu’il se préparait à une invasion des Russes. Avez-vous également peur d’une invasion?
Bien sûr, et cette menace est réelle. Rien qu’en 2021, la Russie a mené 2500 exercices militaires à proximité de la frontière. Il y a toutefois une grande différence avec 2014, lorsque les Russes ont occupé des territoires à l’est de l’Ukraine. A l’époque, l’invasion nous avait pris au dépourvu, tout comme le reste du monde.

Klitschko se prépare à l'invasion

Le maire de Kiev, l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, prépare la capitale ukrainienne à une éventuelle invasion des troupes russes. Il a déclaré à CNN: «Si les choses s'aggravent, nous devons être prêts». Il a déjà fait appel à des réservistes, mais espère que la Russie ne fera que «montrer ses muscles» et ne prendra pas les choses au sérieux.

Selon les informations américaines, la Russie a rassemblé plus de 100'000 soldats à la frontière ukrainienne, qui effectuent depuis mardi des exercices avec des munitions réelles et des chars. Moscou nie avoir prévu une invasion.

Le conflit dans l'est de l'Ukraine a éclaté après que la Russie a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014. Moscou soutient les séparatistes qui ont proclamé les soi-disant républiques populaires de Louhansk et de Donetsk dans l'est de l'Ukraine. Le conflit a fait jusqu'à présent plus de 13'000 morts.

Le maire de Kiev, l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, prépare la capitale ukrainienne à une éventuelle invasion des troupes russes. Il a déclaré à CNN: «Si les choses s'aggravent, nous devons être prêts». Il a déjà fait appel à des réservistes, mais espère que la Russie ne fera que «montrer ses muscles» et ne prendra pas les choses au sérieux.

Selon les informations américaines, la Russie a rassemblé plus de 100'000 soldats à la frontière ukrainienne, qui effectuent depuis mardi des exercices avec des munitions réelles et des chars. Moscou nie avoir prévu une invasion.

Le conflit dans l'est de l'Ukraine a éclaté après que la Russie a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014. Moscou soutient les séparatistes qui ont proclamé les soi-disant républiques populaires de Louhansk et de Donetsk dans l'est de l'Ukraine. Le conflit a fait jusqu'à présent plus de 13'000 morts.

On dit que la Russie mène déjà une guerre hybride contre l’Ukraine, c’est-à-dire des attaques à différents niveaux. Comment cela se manifeste-t-il?
La Russie a mis en place tous les mécanismes possibles et imaginables pour empêcher l’Ukraine d’être rattachée à l’Europe. Il s’agit de pressions dans l’approvisionnement énergétique, de fake news et de cybersécurité. Depuis 2014, nous avons enregistré des centaines de cyberattaques contre des sites officiels. Mais de telles attaques nous rendent plus forts: nous disposons désormais d’une grande expérience dans le domaine de l’informatique et de la cyberdéfense, que nous pouvons également exporter.

Des images montrent des soldats ukrainiens s’entraînant avec des fusils factices en bois. Combien de temps l’armée pourrait-elle résister en cas d’invasion?
En 2014, notre armée était en mauvais état. Entre-temps, elle s’est massivement rééquipée, nous avons acquis des armes et des systèmes ultramodernes, principalement grâce aux États-Unis. De plus, nous avons pu acquérir une expérience concrète de la guerre lors des combats dans l’est du pays. L’armée de 2014 et celle de 2022 sont des forces armées complètement différentes.

Que pensez-vous de Vladimir Poutine?
Que dois-je penser d’un homme qui vole la Crimée, tue des Ukrainiens et occupe mon pays?

Il a dit qu’il n’a aucunement l’intention d’envahir l’Ukraine.
C’est une personne en qui on ne peut pas avoir confiance. Un seul exemple: en 2014, il a promis aux troupes ukrainiennes un sauf-conduit pour quitter les territoires occupés. Lorsque nos troupes ont voulu partir, elles ont été prises sous le feu de tous les côtés. Il ne respecte pas non plus les accords de paix de Minsk.

Vladimir Poutine dit vouloir empêcher un rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN ou l’UE. Quelles sont donc les intentions concrètes de l’Ukraine de se joindre à l’Occident?
En 2019, la Constitution a été modifiée. 334 députés sur un total de 450 ont approuvé une adhésion complète à l’UE et à l’OTAN. C’est un engagement clair en faveur du rattachement à la famille européenne.

Quel est, selon vous, le véritable objectif de Vladimir Poutine? Veut-il créer un grand empire russe?
Très clairement. Il veut réintégrer l’Ukraine et d’autres pays à la Russie, comme à l’époque de l’Union soviétique.

Il est d’ailleurs en contact très étroit avec la Biélorussie et a envoyé des troupes de maintien de la paix dans la poudrière qu’est le Kazakhstan…
La militarisation de la Biélorussie, avec laquelle nous avons entretenu une excellente collaboration il y a des années, est justement un problème pour nous. La longue frontière commune représente une grande menace. On ne peut jamais savoir si des actions militaires seront lancées à partir de là. En ce qui concerne les prétendues forces de maintien de la paix au Kazakhstan, on ne sait pas ce que Poutine a réellement l’intention de faire avec elles.

Comment le conflit entre l’Ukraine et la Russie pourrait-il être réglé?
Pour nous, il n’y a qu’une seule voie: sur le terrain politique et diplomatique. Jamais par la force. Nos soldats ont reçu l’ordre de ne tirer qu’en cas d’attaque. L’Ukraine respecte le droit international.

A quoi pourrait ressembler un compromis qui convienne aux deux parties?
Nous devons en savoir encore plus sur la position de l’adversaire et chercher de nouvelles approches. Il ne doit pas y avoir de décision sur l’Ukraine sans l’Ukraine.

Dans quelle mesure l’Ukraine pourrait-elle accepter un compromis?
Une Crimée volée et des territoires occupés à l’est: quels compromis devrions-nous encore faire? Notre président Volodymyr Selenskyj est prêt à rencontrer Poutine. Mais ce dernier ne cesse d’annuler.

Comment voyez-vous le rôle de la Suisse dans ce conflit?
La Suisse fait de nombreuses démarches utiles. A commencer par les efforts actifs de désescalade lorsqu’elle assurait la présidence de l’OSCE, l’aide humanitaire dans les régions en crise et les visites réciproques de ministres. Pas plus tard que lundi, le président de la Confédération Ignazio Cassis et notre président Volodymyr Selenskyj se sont entretenus au téléphone de la situation menaçante. Les 4 et 5 juillet, la conférence sur l’Ukraine est prévue à Lugano, un mini-WEF en quelque sorte, au cours duquel notre pays sera représenté.

Cette semaine, le Conseil fédéral a annoncé que la Suisse souhaitait collaborer plus étroitement avec la Russie dans le domaine de l’agriculture. Qu’en pensez-vous?
L’Ukraine est un grand pays agricole. En tant qu’ambassadeur, il serait plus agréable pour moi que la Suisse collabore avec l’Ukraine dans le secteur agricole. Mais c’est une décision qui appartient aux deux pays.

Artem Rybtschenko, 38 ans, est ambassadeur d’Ukraine en Suisse et dans la Principauté de Liechtenstein depuis 2018. Il a étudié les relations internationales et le droit. Dans son pays, il a travaillé au contrôle des drogues et au ministère des Affaires étrangères. Avant d’occuper son poste à Berne, il était conseiller d’ambassade à Vienne. Rybtschenko est marié et père de deux filles.

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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