Un petit scotch sur la boîte aux lettres masque son prénom et atteste de ce que tout le monde sait, à Porrentruy: Émilie Moreau n’habite plus dans cet immeuble résidentiel à la sortie de la ville, avec son mari Christophe et leurs deux filles. Juste en face de la patinoire où le HC Ajoie a terrassé l’ennemi bernois, samedi dernier.
Le lendemain, à la tombée de la nuit, c’est une autre troupe solidement équipée qui a déboulé de l’autre côté de la route: le groupe d’intervention de la police cantonale, venu cueillir Christophe Moreau pendant que d’autres agents mettaient en sécurité Émilie à son domicile du centre-ville. Selon nos informations, c’est l’avocat chargé de gérer la séparation du couple qui aurait appelé la police après avoir été informé des menaces proférées par le père de famille à l’encontre des siens.
La mise en détention de l’ancien maillot jaune, révélée mercredi par Blick, a fait grand bruit en France, jusque dans les colonnes du «Parisien» et de «L’Équipe». Un écho médiatique qui a surpris en Ajoie, où l’on avait presque oublié la notoriété de ce couple formé sur un podium du Tour de France 2000.
«Il fallait que ça sorte»
Ici, ils s’appellent simplement Christophe et Émilie. Et même si l’ancien coureur ne se montrait pas aussi souvent en ville que son épouse élue au Parlement jurassien, tous deux sont appréciés. En ce jeudi où le rare soleil d’hiver dont profite la Suisse romande n’a pas atteint Porrentruy, s’engouffrer dans les cafés permet autant d’échapper au froid mordant que d’assister à l’explosion d’un tabou.
«C’est triste que ça sorte dans les médias. Mais au moins c’est dit, souffle un client attablé dans un bar. Il fallait que ça sorte, ce n'était plus possible ainsi…» Visiblement, les soucis du couple le plus célèbre de la ville alimentaient les discussions depuis un moment. Et si la machine à rumeurs a fait son œuvre, par exemple sur les détails de l’arrestation, le récit commun est très homogène sur le fond: l’ancien cycliste aurait perdu les pédales ces dernières semaines. Tous espèrent qu'un passage par la case prison conduise à le remettre en selle.
En 2020, pourtant, tout allait bien. Émilie, membre de la direction de Jura Tourisme, se lançait en politique, visant même l'un des cinq sièges au gouvernement cantonal. Si elle est restée loin du compte, elle a fait largement mieux que son colistier vert’libéral avec plus de 2700 voix. Suffisant pour accéder au Parlement jurassien. «Avec Christophe comme premier supporter», racontait la juriste de formation dans la presse française. «Il a toujours espéré pouvoir me renvoyer l’ascenseur un jour, me permettre de me réaliser.»
Boire, ce «sport olympique»
Que s’est-il passé depuis? La dégringolade du Franco-Suisse de 51 ans, naturalisé avec toute sa famille depuis 2015, est racontée avec pudeur, par loyauté envers l’ancien cycliste. Mais, là aussi, tous les témoignages concordent: Christophe Moreau est quelqu’un de «génial jusqu’à la première goutte d’alcool». «Et dans ce canton où boire est un sport olympique...», soupire un quidam d'une boulangerie de Porrentruy.
Dans le cas de Christophe Moreau, c’est même un sacré cocktail qui aurait provoqué sa chute. À l’alcool — 2,16‰ au moment d’un retrait de permis écopé en octobre, ce qui lui aurait valu 65 jours amende — s’ajoute une jalousie toxique depuis qu’Émilie a décidé de quitter le domicile conjugal. Le coureur aux 15 participations au Tour de France n’acceptait pas la situation, de l'aveu général, ni de perdre le contrôle sur son épouse. Cela allait de demander à garder un œil protecteur sur Émilie, jusqu’à la harceler activement. Les récits se font plus discrets, car beaucoup de témoins ont souffert de se retrouver ainsi entre deux personnes chères.
Dimanche, Christophe Moreau a franchi une sacrée ligne rouge. Chez un homme qui aurait «l’alcool très mauvais» et qui peut piquer des colères farouches, comme contre ce chauffeur de car qui l’a dépassé d'un peu trop près à son goût il y a quelques années, les menaces ont été prises très au sérieux par la justice jurassienne. Sans doute également en raison des nombreuses armes présentes au domicile de ce chasseur passionné.
Éviter Courfaivre et Courgenay
Les stigmates de Courfaivre devraient également peser sur la suite du dossier. C’est là, à une vingtaine de kilomètres de Porrentruy qu’un homme a tué sa femme, en octobre 2019. Celle-ci avait porté plainte pour violences conjugales. L’un des trois enfants du couple avait fait la macabre découverte. Le féminicide perpétré par le fauconnier de 47 ans avant de se suicider a fait l’objet d’un long documentaire de «Temps Présent».
La sœur de la victime n’avait cessé d’alerter la police la semaine précédant le drame. D'où une forte colère dans le Jura. Et ce n'est pas un cas isolé: il y a moins d’un an, c’est à Courgenay qu’une femme était agressée au couteau à la sortie de son travail par son ex-compagnon qui «ne digérait pas une séparation difficile». Elle avait heureusement pu s’enfuir, blessée. En Suisse, une femme décède sous les coups de son (ex-)conjoint chaque mois depuis 10 ans.
Le Château, son «repère»
Le Ministère public se mure dans le silence, tout comme la Procureure générale suppléante Laurie Roth — également en charge de l'affaire de Courfaivre, remontée jusqu'au Tribunal fédéral. Il y a fort à parier que la justice jurassienne fera tout pour s’assurer que Christophe Moreau ne représente plus une menace avant de le laisser recouvrer la liberté. Et qu’il sera largement encouragé à lutter contre sa consommation d’alcool.
L’ancien coureur se trouve toujours en détention à Porrentruy, selon les informations de Blick. Comble de l’ironie, il dort à quelques dizaines de mètres à peine du nouveau domicile de son épouse Émilie, qui s’est installée en contrebas. «Le Château, c’est mon repère», témoignait l’ancienne hôtesse du Tour de France dans un portrait qui lui a été consacré il y a quelques jours dans un magazine spécialisé.
«Figure incontournable du tourisme jurassien», la mère de famille y raconte ses regrets de ne pas avoir pu devenir avocate et dévoile un changement de poste prévu pour février 2023, du public au privé: «C’était le bon moment pour moi de me mettre en danger.» Une référence à sa séparation? Émilie Moreau ne l’évoque pas, se contentant de mentionner le fait d’avoir «raté certains projets privés».
Licencié par un de ses employeurs
Elle souligne en revanche l’importance qu’a endossée cette relation dans son parcours: «Bien sûr que cela m'a aidée de m'appeler Moreau. Nous n'étions pas tout à fait M. et Mme Lambda», témoigne l’élégante «femme caméléon» de 42 ans. La députée vert’libérale («pour une écologie en phase avec l’évolution de la société») s’était illustrée en septembre 2021 en revêtant du violet en guise de protestation contre un règlement vestimentaire qu’elle jugeait sexiste au collège Thurmann de Porrentruy.
Victime dans cette affaire où son époux est toujours présumé innocent, Émilie Moreau est, on le comprend sans peine, très affectée par la situation. Ni elle ni son mari n'ont donné suite à nos appels. Christophe Moreau bénéficie de la défense d'un avocat commis d'office.
Selon nos informations, l'équipe Wagner, dont il était manager depuis quelques mois, a déjà rompu la collaboration avec le Belfortin. Le profil de l'ancien coureur de Festina a disparu de la page «Staff» sur le site internet de la formation appelée à jouer un rôle dans le cyclisme professionnel. Ce sera sans lui.