La guerre en Ukraine a redynamisé, dans l’urgence, le débat sur l’avenir énergétique de la Suisse. En échos aux discussions, parfois vives, dans l’hémicycle du Parlement, le Conseil fédéral a décidé de s’affranchir du pétrole et du gaz, et pas seulement s’ils proviennent de Russie. L’objectif: zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050.
L’électricité est la solution la plus en vue. Pour se débarrasser du CO2, la Suisse aura besoin, dans les années et décennies à venir, de beaucoup plus d’électricité. Car la sécurité en approvisionnement pourrait bientôt être menacée si rien n’est fait, prévient la Commission fédérale de l’électricité (Elcom).
Pour ce faire, la ministre de l’Environnement Simonetta Sommaruga veut obliger les centrales hydroélectriques à disposer d’une réserve dès l’hiver prochain. En outre, deux à trois centrales à gaz doivent être construites pour servir de «back-up». Ses projets sont controversés. Tout comme celui de l’UDC de revenir en arrière sur l’arrêt programmé des centrales nucléaires.
Au fait, d’où vient le courant qui sort de la prise, et où va-t-il? Blick fait le point au sujet de l’électricité suisse.
L’électricité suisse est-elle verte?
Des pompes à chaleur à la place des chauffages au mazout, des voitures électriques à la place des voitures à essence… comme la Suisse veut s’éloigner des énergies fossiles, les besoins en électricité vont augmenter massivement dans les années et les décennies à venir.
Deux tiers des 56 térawattheures d’électricité que nous consommons proviennent de l’énergie hydraulique. Les trois quarts sont produits en Suisse, dans les centrales présentes dans les barrages ainsi que dans celles disposées sur les rivières. La majeure partie de l’énergie renouvelable restante est fournie par des panneaux solaires.
En matière de développement des énergies renouvelables, la Suisse est à la traîne par rapport à l’Europe. En 2020, seule 7% de l’électricité était produite à partir d’énergie solaire, éolienne ou de biomasse. Les quatre centrales nucléaires fournissent encore un tiers de l’électricité produite en Suisse. La Suisse ayant décidé de sortir du nucléaire en 2011, la dernière centrale devrait être déconnectée du réseau dans une vingtaine d’années.
Le déficit hivernal accru par les énergies renouvelables
Près de 11% de l’électricité qui sort de la prise provient de l’étranger. Sur l’ensemble de l’année, la Suisse exporte pourtant plus d’électricité qu’elle n’en importe. Mais lorsque les températures tombent, c’est différent: nous dépendons de l’électricité étrangère pour couvrir nos besoins en électricité durant les mois d’hiver. C’est en cas la tendance qui s’est dessinée au cours des 20 dernières années. En moyenne depuis 2010, la Suisse doit importer environ 4 térawattheures d’électricité en hiver.
Comment expliquer cette différence hivernale? La population du pays fait augmenter le besoin en d’électricité en hiver, notamment pour le chauffage, et la Suisse produit parallèlement moins: l’hydroélectricité et le photovoltaïque connaissent de grandes variations saisonnières. Un constat s’impose: plus la part des énergies renouvelables dans le mix électrique est importante, plus ce déficit hivernal s’accroît.
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Pourquoi est-ce un problème?
La dépendance vis-à-vis de l’étranger constitue un risque majeur pour la sécurité d’approvisionnement de la Suisse. L’Elcom prévient que la Suisse pourrait être confrontée à une pénurie d’électricité dès 2025.
L’échec de l’accord-cadre en est une des raisons. Celui ayant été enterré par Guy Parmelin l’année dernière, il pourrait à nouveau arriver, selon la Confédération, que l’Allemagne, la France et d’autres pays voisins exportent temporairement beaucoup moins d’électricité vers la Suisse, voire plus du tout. Et ce à partir de 2025, en raison de nouvelles règles.
De plus, les pays voisins développent eux aussi fortement leur part d’énergies renouvelables, ce qui a une influence sur la sécurité d’approvisionnement en Suisse.
De la centrale à la prise
Environ 250’000 kilomètres de lignes garantissent la disponibilité de l’électricité partout où nous en avons besoin. Si l’on mettait tous les câbles bout à bout, on pourrait faire six fois le tour du monde.
Ce réseau haute tension, d’environ 6700 kilomètres, est presque entièrement constitué de câbles reliés par des pylônes et est utilisé pour le transfert de l’électricité sur de grandes distances.
Avant que le courant n’arrive dans la prise, la tension est réduite en plusieurs étapes. La distribution fine de l’électricité se fait le plus souvent sous terre via des câbles souterrains. L’importation et l’exportation d’électricité se font via 41 lignes électriques transfrontalières.
Les ménages en cause
Un bon tiers de la consommation d’électricité est imputable aux ménages. Entre 2000 et 2020, la consommation des ménages a augmenté en moyenne de 1% par an. La raison: la croissance démographique.
Ces dernières années, la consommation des ménages s’est stabilisée, ce qui s’explique par l’efficacité énergétique croissante des lave-linge, fours, téléviseurs et autres appareils. La consommation par habitant a baissé.
C’est dans la cuisine qu’un ménage moyen consomme le plus d’électricité. Une famille avec deux enfants vivant dans une maison individuelle utilise environ 450 kWh par an pour la cuisinière, le four ainsi que la machine à café et d’autres appareils de cuisine. Selon les estimations de l’OFEN, le réfrigérateur consomme environ 330 kWh et le lave-vaisselle 250 kWh.
L’éclairage consomme également beaucoup d’électricité: environ 420 kWh. Presque autant est utilisé pour la télévision et les autres appareils électroniques de divertissement. Les ordinateurs, imprimantes, modems et autres consomment environ 330 kWh pour un ménage moyen de quatre personnes.
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Les CFF produisent aussi de l’électricité
Les CFF sont le plus gros consommateur d’électricité en Suisse. Près de 8% de l’électricité est imputable aux transports publics, une grande partie étant nécessaire à l’exploitation du réseau ferroviaire.
Mais les CFF ne sont pas seulement des consommateurs d’électricité, ils en produisent aussi. Une grande partie de l’électricité utilisée provient de leurs propres centrales hydroélectriques. Près de 10% sont issus de l’énergie nucléaire, qui doit être entièrement remplacée par des énergies renouvelables d’ici 2025.
kWh, TWh… qu’est-ce que cela signifie?
La Suisse a consommé 56 TWh d’électricité en 2020, un ménage suisse moyen de quatre personnes a besoin d’environ 5000 kWh par an et une lampe LED de 5 watts par heure. Des mesures que beaucoup ne peuvent pas s’imaginer.
Un térawattheure (TWh) correspond à mille gigawattheures (MWh) ou à un milliard de kilowattheures (kWh). Les mesures indiquent la quantité d’énergie qu’un appareil consomme ou produit par heure. Par exemple, si l’on se sèche les cheveux pendant deux heures, on consomme 1 kilowattheure. Par ailleurs, 1 kWh d’électricité coûte en moyenne 20 centimes en Suisse.
La Suisse gagne-t-elle de l’argent en vendant de l’électricité?
Le business lucratif de l’électricité, c’est du passé. En 2008, les exportations énergétiques de la Suisse ont rapporté plus de 2 milliards de francs, en 2020, ce n’était plus que 300 millions. Et ce, même si l’excédent d’exportations était nettement plus important il y a deux ans qu’en 2008.
Selon l’Office fédéral de l’énergie, cela est expliqué par les énormes fluctuations de prix sur le marché de l’électricité. Et celles-ci augmentent encore en raison de la guerre en Ukraine. Pour contrer cela, le Conseil fédéral prévoit un plan de sauvetage pour le secteur de l’électricité.
L’électricité suisse est-elle propre en comparaison internationale?
Dans l’UE, la part des énergies renouvelables a doublé au cours des dix dernières années, en particulier avec le développement de l’énergie éolienne et solaire. En Allemagne, la part est passée de 7% en 2000 à plus de 40% aujourd’hui. Toutefois, près d’un cinquième de la production d’électricité de notre voisin du nord repose encore sur le charbon.
La France, en revanche, mise beaucoup sur le nucléaire, tandis que l’Italie base sa consommation avant tout sur le gaz naturel. En Autriche, plus de 80% de l’électricité produite est verte, mais si l’on tient compte de l’électricité importée, la part de ses énergies renouvelables dans la consommation d’électricité est seulement d’un tiers.
De 1 à 7% pour le renouvelable
Le développement des énergies vertes a été encouragé pour la première fois par l’État dans les années 90. Le «oui» des citoyens en 2017 à la Stratégie énergétique 2050 a ensuite constitué une étape importante. La Suisse ayant décidé d’interdire la construction de nouvelles centrales nucléaires et de promouvoir davantage les énergies renouvelables, la part de l’électricité verte dans la production nationale n’a cessé d’augmenter ces dernières années. En 2000, l’éolien, le solaire et la biomasse ne produisaient qu’1% de l’électricité en Suisse. Aujourd’hui, cette part est de 7%.
L’objectif de la Confédération est de faire passer la production d’électricité issue d’énergies renouvelables, sauf énergie hydraulique, de 4700 GWh aujourd’hui à 17’000 GWh d’ici 2035. L’énergie hydraulique doit, elle, passer à 37 400 GWh d’ici 2035 et à 38 600 GWh d’ici 2050.
À terme, un tiers de la production d’électricité issue du nucléaire disparaîtra et devra être remplacée. Cela entraînera une augmentation des importations jusqu’à ce que les énergies renouvelables soient suffisamment développées pour combler le manque.
D’énormes défis à venir
Même si le développement des énergies renouvelables se poursuit comme prévu, la politique énergétique suisse devra faire face à d’énormes défis au cours des prochaines décennies.
Selon le Conseil fédéral, il se pourrait que la Suisse doive importer à l’avenir jusqu’à 15 TWh d’électricité en hiver, soit presque quatre fois plus qu’aujourd’hui. Et sur l’ensemble de l’année, la Suisse devrait avoir besoin de 38 à 59% d’électricité en plus d’ici 2050, selon les scénarios, comme l’a montré une étude commandée par la Confédération.
(Adaptation par Alexandre Cudré)