Vladimir Poutine ferme le robinet du gaz et l’Union européenne met en place un embargo sur le pétrole. La situation devient tendue – surtout pour la Suisse. «Nous sommes totalement dépendants des importations de pétrole et de gaz», a souligné ce lundi le conseiller fédéral Guy Parmelin.
Deux jours plus tard, la Confédération a ordonné la mise en place d’une organisation d’intervention en cas de crise pour se préparer à une éventuelle pénurie. Il faut agir vite. Les Suisses consomment près de 50% de l’énergie disponible pour se chauffer – dont deux tiers sous forme de pétrole et de gaz.
Tournant énergétique raté
«Nous aurions pu faire autrement», estime Josef Jenni, chef de la société Energietechnik AG à Oberburg (BE). Son entreprise construit depuis 20 ans des système de chauffage qui reposent sur les énergies renouvelables. Des capteurs solaires installés sur les toits chauffent des réservoirs d’eau au rez-de-chaussée. Plus de 25’000 d’installations issues de l’usine suisse ont déjà été installées en Europe.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les demandes affluent en quantité. Josef Jenni doit toutes les refuser. «Nous sommes à bout», confie le pionnier de l’énergie, qui travaille sept jours sur sept dans son atelier. Il n’est pas possible de trouver du personnel supplémentaire rapidement. «Notre entreprise est soumise à beaucoup de pression, car le marché est complètement asséché. D’autres entreprises débauchent nos collaborateurs sur les chantiers.»
Selon l’entrepreneur, cette pénurie de personnel devient le problème central du tournant énergétique. «Il faudrait des dizaines de milliers d’artisans expérimentés. En réalité, ils sont moins nombreux chaque jour», se désole-t-il. Et ce, alors que la demande augmente exponentiellement. Les fournisseurs d’installations solaires et de pompes à chaleur sont aujourd’hui déjà à bout de souffle.
Des perspectives peu réjouissantes
Des difficultés qui ne vont rien arranger. Les perspectives énergétiques 2050+ prévoient un besoin supplémentaire en électricité de dix térawattheures (TWh) pendant le semestre d’hiver, qui ne pourra pas être couvert par les énergies renouvelables. Cela correspond à un sixième de la consommation totale d’électricité actuelle de la Suisse.
Ce déficit devra être comblé par des importations d’électricité ou de gaz. Vu la guerre de l’énergie qui fait rage en Europe, ce n’est pas une idée réjouissante. Le Conseil fédéral travaille donc à un plan de sauvetage sans précédent pour les entreprises du secteur. Ce mercredi, il a mis en place un nouveau système de surveillance pour identifier précocement un risque de pénurie d’électricité. Josef Jenni n’est pas surpris: «Bien sûr, la Suisse se dirige vers un problème. En hiver, nous serons pauvres en électricité.»
Il existe toutefois une alternative qui permettrait de réduire le manque à venir: des accumulateurs de chaleur saisonniers qui absorbent l’énergie sous forme de chaleur en été et la restituent en hiver.
Des accumulateurs de chaleur saisonniers
De tels accumulateurs peuvent réduire les besoins supplémentaires en électricité en hiver de dix TWh à six TWh, comme le soulignent Gianfranco Guidati de l’Energy Science Center de l’ETH Zurich et Jörg Worlitschek, directeur du centre de compétence des accumulateurs d’énergie thermique de la Haute école de Lucerne. Ils s’appuient sur des calculs effectués dans le cadre du Forum suisse sur le stockage de l’énergie, une initiative de l’organisation faîtière de l’économie des énergies renouvelables AEE Suisse. Mercredi prochain, les chercheurs présenteront leurs travaux lors d’une table ronde publique.
Les scientifiques font référence à trois formes centrales de stockage qui permettraient d’économiser beaucoup d’électricité en hiver. «Nous pouvons faire fonctionner des pompes à chaleur en été et stocker la chaleur jusqu’en hiver, détaille le professeur Jörg Worlitschek. Ensuite, les usines d’incinération des ordures ménagères produisent beaucoup de chaleur excédentaire en été, que nous pouvons également stocker. Enfin, les sondes géothermiques ne permettent pas seulement d’extraire de la chaleur. Nous pouvons aussi renvoyer cette chaleur dans le sol en été, et l’utiliser pendant la saison froide.»
La Scandinavie, élève modèle
Pour Gianfranco Guidati et Jörg Worlitschek, il est clair que «les accumulateurs de chaleur saisonniers peuvent contribuer de manière significative à l’indépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz». Mais jusqu’à présent, il n’existe en Suisse qu’une poignée de projets isolés, comme l’accumulateur souterrain du site de Suurstoffi à Rotkreuz (LU) ou l’accumulateur géothermique prévu à Berne. Le stockage saisonnier de la chaleur ne figure pas dans les perspectives énergétiques de la Confédération.
Pourtant, un coup d’œil vers le nord montre le potentiel de ces installations. Le Danemark et la Norvège misent depuis des années sur de grands accumulateurs thermiques pour se libérer des énergies fossiles. En Allemagne, on parle déjà d’un «tournant thermique».
«Les technologies existent, explique Gianfranco Guidati. C’est pourquoi elles peuvent être mises en pratique rapidement.» Et cela serait également avantageux pour nos finances: «Avec une stratégie énergétique qui repose sur le stockage de la chaleur, nous économiserions chaque année plusieurs centaines de millions de francs.»
Priska Wismer-Felder, élue du Centre, membre de la commission de l’environnement du Conseil national, fait pression: «Les accumulateurs de chaleur saisonniers pourraient être une bonne solution pour couvrir nos besoins en chaleur en hiver et réduire notre dépendance vis-à-vis des importations de gaz.» Cela permettrait également de réduire significativement les besoins en électricité en hiver et d’éviter ainsi les pénuries. Pour la politicienne, «l’administration et le gouvernement doivent étudier le potentiel concret des accumulateurs de chaleur et rendre les conclusions disponibles comme base pour les décisions politiques.»
Othmar Reichmuth (Le Centre), membre de la commission de l’environnement du Conseil des États, exige lui aussi des mesures concrètes, et vite. «Il faut déterminer où et comment ces accumulateurs de chaleur saisonniers pourraient être installés et exploités en Suisse.» L’élu et président de l’Association suisse du chauffage à distance en est convaincu: «À l’avenir, les accumulateurs thermiques joueront un rôle central dans la stratégie énergétique.»
(Adaptation par Jessica Chautems)