Ce n'est pas tous les jours que le camp bourgeois s'intéresse au développement de l'État social. Mais lors d'une récente conférence de presse organisée par les partis du centre-droit à Berne, le sort des retraités dans le besoin étaient au cœur des discussions des opposants aux syndicats. Un événement qui intervient à quelques semaines de la votation du 3 mars prochain sur l'AVS.
«Il faut agir sur les rentes basses», a souligné la conseillère nationale vert'libérale Melanie Mettler (BE) à cette occasion. Avec une motion qu'elle a déposée, elle a promis que le Parlement augmenterait les rentes AVS pour les retraités dans le besoin, du double de ce qui est prévu en cas d'acceptation de l'initiative sur la 13e rente AVS.
Lors de son intervention cette semaine, Melanie Mettler était accompagnée de la conseillère aux Etats du Centre Brigitte Häberli-Koller (TG), du conseiller national PLR Olivier Feller (VD) et du président de l'UDC Thomas Aeschi (ZG). Ensemble, ils veulent empêcher l'initiative des syndicats qui, selon un sondage de la SSR, recueille 61% d'opinions favorables.
Un comité du non courageux
Le moment choisi pour ce rassemblement est bien réfléchi. Ces derniers jours les effets de la réforme sociale décidée par les partis de droite en 2019 se sont fait particulièrement ressentir. Au 1er janvier 2024, des dizaines de milliers de retraités ont vu leurs prestations complémentaires (PC) réduites. Plusieurs milliers de personnes à faible revenu ont même perdu complètement ce soutien étatique.
Les PC sont versées aux personnes touchant une rente AVS ou AI lorsque leur revenu ne suffit pas à couvrir les coûts minimaux de la vie. En 2022, 16,4% de tous les retraités y avaient droit. Il n'existe pas encore de données officielles sur les conséquences de la réforme à l'échelle nationale. A la demande de Blick, plusieurs cantons ont toutefois dévoilé leurs données provisoires.
Dans le canton de Berne, 18'500 dossiers ont été réévalués en raison de la réforme. Pour environ 2500 d'entre eux, il n'y a pas eu de changement, pour 4000, le droit a augmenté. 11'000 bénéficiaires de PC ont vu leur soutien réduit, et environ 1000 Bernoises et Bernois n'ont plus du tout droit aux prestations complémentaires depuis le changement d'année.
La situation est similaire dans d'autres cantons. En Argovie, «environ 700 personnes» ne recevront plus de prestations complémentaires à partir de 2024, de nombreux droits sont également complètement supprimés dans les cantons de Fribourg (405 personnes), du Valais (301) et de Bâle-Ville (253).
Les retraités particulièrement touchés
Sur la base de projections, la Conférence suisse des institutions d'action sociale (CSIAS) s'attend à ce qu'environ 8000 bénéficiaires de PC perdent leur droit aux prestations complémentaires dans toute la Suisse, dont deux tiers sont des retraités. Markus Kaufmann, directeur de la CSIAS, précise: «Environ un tiers des retraités qui touchent des PC devraient recevoir moins d'argent à compter de ce mois-ci.»
Dans tout le pays, on estime qu'environ 70'000 personnes ont reçu moins de PC depuis le début de l'année. L'ampleur des réductions pour les différents bénéficiaires de PC est très variable. Pour certains, il s'agit de quelques francs, mais parfois ce sont 200 à 300 francs par mois qui disparaissent.
Selon Markus Kaufmann, l'une des principales raisons de ces réductions et suppressions de PC est le fait que le revenu du conjoint est désormais davantage pris en compte dans le calcul du droit aux prestations, tout comme la fortune personnelle. Certaines des personnes concernées, qui ne reçoivent plus de PC, devraient donc à nouveau faire valoir leur droit aux PC dans quelques mois, dès qu'elles auront épuisé leurs économies et seront ainsi passées sous le seuil de fortune de 100'000 francs.
Avec Brigitte Häberli-Koller (Le Centre), Olivier Feller (PLR) et Thomas Aeschi (UDC), ce sont trois des quatre membres du comité du non qui sont entrés en campagne cette semaine contre la 13e rente AVS qui ont soutenu la réforme des PC. A l'époque, Melanie Mettler ne siégeait pas encore au Parlement.
«Les partis de droite veulent le bien-être de l'ensemble du peuple»
Comment ce vote en faveur de réductions de prestations sociales s'accorde-t-il avec la promesse d'introduire à l'avenir, très probablement après la votation sur l'AVS, un soutien ciblé pour les retraités financièrement faibles? Interrogés à ce sujet, les responsables réfutent catégoriquement l'accusation de démantèlement social. «La réforme des PC mentionnée avait pour but de maintenir le niveau des prestations et d'utiliser davantage les fonds propres», justifie Thomas Aeschi au nom du comité du non. Conformément au mandat constitutionnel, les prestations complémentaires devraient profiter de manière ciblée à ceux qui ne pourraient pas subvenir à leurs besoins sans ce soutien.
«Les partis de droite veulent le bien-être de l'ensemble du peuple», souligne encore le président du groupe UDC. C'est bien la raison pour laquelle ils s'opposent à l'initiative des syndicats qui, en augmentant les taxes et les impôts, nuirait surtout à la classe moyenne et aux groupes à bas revenus.
Le démantèlement social, ou 401 millions d'économies
Il n'existe pas de définition officielle du démantèlement social. L'Office fédéral des assurances sociales constate toutefois sur son site Internet que la réforme des PC représente une économie de 401 millions de francs pour les pouvoirs publics, des fonds qui, jusqu'ici, profitaient aux retraités à faibles revenus.
Le constat de Markus Kaufmann est le suivant: «Ces dernières années, la politique au niveau national et cantonal a augmenté les obstacles à l'obtention de PC et de l'aide sociale dans de nombreux domaines.» De nombreuses personnes n'osent pas faire appel à ces aides. «J'espère que les politiciennes et les politiciens changeront d'attitude et que le soutien aux personnes touchées par la pauvreté avec les PC et l'aide sociale redeviendra un pilier largement soutenu de la sécurité sociale dans notre pays.»
Toujours est-il que la CSIAS ne s'attend pas à ce que la réforme des PC entraîne une forte augmentation du nombre de bénéficiaires de l'aide sociale. La raison? La fortune de nombreux retraités, dont le revenu ne suffit désormais plus pour vivre, est encore trop importante pour qu'ils puissent bénéficier de l'aide sociale.
Mais ce n'est pas vraiment une bonne nouvelle, selon son président. «D'après la loi, il ne devrait absolument pas arriver que des personnes de plus de 65 ans tombent à l'aide sociale», indique Markus Kaufmann. Mais en raison de la réforme des PC, il y aura désormais «nettement plus de personnes» qui devront vivre juste au-dessus du seuil de l'aide sociale.