Le 15 novembre est une date prestigieuse dans l'histoire récente de la Confédération. Ce mercredi-là, les drapeaux à croix suisse et tricolores flottaient dans la ville fédérale.
Cette date historique marque la première visite d'État officielle en Suisse du président français Emmanuel Macron. Les sept conseillers fédéraux étaient sur les 31. Au Bernerhof, le couple de l'Élysée s'est vu servir un médaillon de filet de bœuf avec du beurre aux herbes et bien sûr, des röstis. Le président de la Confédération Alain Berset a ensuite parlé de Voltaire et de Rousseau et de l'excellente relation entre les deux pays. L'épouse d'Alain Berset, l'artiste Muriel Zeender, a fait visiter le Centre Paul Klee à son homologue.
Les Français ont répondu à l'offensive de charme helvétique par des gentillesses tout aussi tonitruantes. Mais dans l'ombre, Macron poursuivait secrètement un tout autre plan.
La grande promesse de Macron
A cet instant, la France et la Suisse se disputaient encore l'organisation des Jeux olympiques d'hiver de 2030. Ce qui est sûr, c'est que l'entourage français n'a pas manqué l'occasion de faire du lobbying à Lausanne, chef-lieu du siège du Comité international olympique (CIO). A cette occasion, Macron a rencontré le président du CIO, Thomas Bach, pour discuter des préparatifs pour les Jeux d'été de 2024 à Paris.
Le chef d'État a adressé un message clair au patron olympique: «L'État, c'est moi.» Macron a fait une promesse: «Si vous nous donnez les Jeux d'hiver de 2030, les Jeux auront lieu. Point final. La Grande Nation couvrira tous les aspects financiers.»
Les Suisses n'ont pas pu rivaliser, eux qui, un an auparavant, avaient été priés par le CIO d'élaborer un projet, faute d'intéressés pour une organisation en 2030. Bien que la ministre des Sports Viola Amherd ait rendu visite au président du CIO Bach ces jours-là, comme le montrent les recherches de Blick, elle n'a pas été en mesure d'obtenir des informations sur le projet.
Mais le nouveau concept fédéraliste de la Suisse, avec un événement financé uniquement par le secteur privé, comportait un risque important, contrairement au projet de Macron: le peuple suisse risquait bien de voir ses espoirs balayés par les urnes. Compte tenu de la nécessité de respecter les délais, les garanties de Macron sont tombées à pic.
Victoire pour la France, dialogue privilégié pour la Suisse
Le powerplay français a porté ses fruits. Deux semaines après la visite d'Etat de Macron, le 29 novembre, la «Future Host Commission» du CIO a rendu son jugement de Salomon. La France se voit attribuer les Jeux de 2030. Les Suisses sont mis sur la touche et peuvent se préparer sans concurrence aux Jeux de 2038 dans le cadre d'un «Privileged Dialogue» (en français: un dialogue privilégié).
En coulisses, la commission s'est efforcée de peaufiner la communication, d'entente avec la cheffe du DDPS, Viola Amherd, forcée de se réjouir de l'engagement pour 2038 comme d'un grand succès.
Mais une fois de plus, les Français ont fait preuve de mauvaise volonté: en réalité, il avait été convenu que la communication de la décision aurait lieu à 18 heures pile, pas avant. Mais le comité français a pris les devants à 16h30 et a annoncé qu'il avait remporté la compétition. En brisant l'embargo d'une heure et demie, la grande gagnante a pris les devants et a ainsi pu annoncer sa victoire au monde entier: Nous avons gagné, ils ont perdu.
C'est à la Suisse de jouer
La Suisse s'est soudainement retrouvée perdante. Le vieux traumatisme de 1999, lorsque les Jeux de Sion avaient été perdus au profit de Turin, a été ravivé. Une «gifle au visage», selon l'ancien conseiller fédéral Dölf Ogi. Quant au président de Swiss-Ski, Urs Lehmann, son téléphone s'est mis à sonner à la chaîne. «J'ai expliqué partout la même chose: cette décision n'est pas une défaite, mais elle est devenue un projet intergénérationnel, un objectif vers lequel nous pouvons travailler ensemble, avec la génération de demain.» On avait déjà plus d'assurances du CIO que Salt Lake City en 2034, «mais une dynamique s'est créée et on ne pouvait pas la contrer».
Urs Lehmann a alors tenté de faire contrepoids – en vain. «C'est une bonne journée pour le sport suisse», a-t-il déclaré peu après à Blick, qui titrait: «La Suisse est soudain favorite pour les Jeux olympiques de 2038.» Mais Urs Lehmann & CO étaient déjà sur la défensive. Le verdict fut d'autant plus amer que le lobby olympique suisse s'était battu avec beaucoup d'élan pour le projet, malgré le scepticisme de Swiss Olympic. Les partisans avaient d'abord été ridiculisés comme une «troupe de guérilla», selon l'expression de Urs Lehmann. Mais en coulisses, les plus courageux n'ont rien lâché.
Aujourd'hui, l'Alliance olympique suisse est plus solide que jamais – le président de Swiss Olympic, Jürg Stahl, est aujourd'hui l'un des principaux défenseurs du projet. L'opposition des disciplines d'été, tant redoutée initialement, a disparu. Le conseiller aux Etats radical lucernois Damian Müller, préside la fédération équestre Swiss Equestrian. Au début, la crainte circulait qu'avec des Jeux olympiques d'hiver, les fonds de soutien seraient supprimés et que les chances d'organiser les European Championships (EC), une sorte de multi-championnat d'Europe de sports olympiques d'été, diminueraient. Les représentants des sports d'été militent pour une organisation en 2030 en Suisse. Des Jeux olympiques la même année auraient probablement enterré ces projets.
«Travail de pionnier»
Malgré tout, Damian Müller respire l'enthousiasme en pensant à 2038 et se réjouit, tout comme le président de Swiss Olympic Stahl, du «travail de pionnier» dont le pays a urgemment besoin. «C'est ce qui nous manque aujourd'hui», estime le président, d'où le fait que «les actifs actuels s'engagent aussi pour les générations suivantes» est un signal si important. L'engagement de Damian Müller ne doit pas être sous-estimé.
Mais à quel point la promesse du CIO pour 2038 est-elle fiable? Matthias Remund, directeur de l'Office fédéral du sport, est l'un des architectes de la candidature. Il se montre confiant auprès de Blick. Il se déclare même «un peu étonné» par le scepticisme qui règne actuellement.
Le président de Swiss-Ski, Urs Lehmann, parle d'un «engagement lié». En d'autres termes, c'est à la Suisse de décider. Si elle le souhaite, elle obtiendra le contrat. Mais est-ce qu'elle le veut vraiment? Parallèlement à son engagement pour 2038, le CIO a critiqué la candidature suisse pour tout ce que les turbo-olympiens locaux avaient célébré comme un pas vers l'avenir: l'organisation décentralisée, l'absence de villages olympiques et le manque de garanties politiques. La fédération internationale réclame donc tout ce que Swiss Olympic voulait éviter tout en sachant que de gros investissements dans de nouvelles infrastructures ou des garanties financières ont été rejetés par la population lors de votations olympiques par le passé.
Les lobbyistes nationaux travaillent à plein régime
L'Alliance olympique suisse dispose d'environ quatre ans pour se mettre au travail avec Lausanne. La candidature révisée doit être prête pour 2027 au plus tard. Les fonctionnaires du CIO souhaiteraient que l'attribution se fasse directement l'année suivante, c'est-à-dire par la signature d'un contrat lors du congrès du CIO en mai 2025 à Athènes ou au plus tard en 2026 à Milan.
Le département de la conseillère fédérale Viola Amherd a indiqué à Blick que sa cheffe saluait la décision du CIO d'instaurer un «dialogue privilégié». Le CIO offre ainsi «une perspective à long terme en matière de promotion du sport, de durabilité et d'héritage». Des «échanges réguliers» ont lieu avec Lausanne.
Les lobbyistes nationaux travaillent désormais à ce que l'ensemble du Conseil fédéral fasse une déclaration commune à l'adresse de Thomas Bach au printemps prochain. En arrière-plan, des efforts sont déjà déployés pour que Viola Amherd rencontre à nouveau le chef du CIO. Si elle obtenait l'organisation des Jeux olympiques en Suisse, elle pourrait se retirer avec fierté en 2025... et sa série de pépins au DDPS serait oubliée.
En janvier, les cadres du CIO se réuniront pour la prochaine fois. Et les partisans des Jeux olympiques ont tout intérêt à transmettre leur engouement à leur propre population. Au moins, avec Emmanuel Macron, ils auront un adversaire en moins.