Cet été, le Parlement va crouler sous le plastique! Avec une vingtaine d'objets déposés dans les deux Chambres fédérales, la Verte Céline Vara est déterminée à lutter contre cette pollution. Avec 56 groupes industriels responsables de la moitié de la pollution mondiale, 460 millions de tonnes de plastique produit chaque année dans le monde, des microplastiques présents sur les glaciers, les cours d'eau et même le sang, autant dire qu'il y a du pain sur la planche.
Alors que des pays comme le Costa Rica, le Rwanda, l'Italie ou encore le Bangladesh ont banni le plastique à usage unique, en Suisse, on peut toujours faire ses courses et repartir avec son sachet plastique (taxé)... Interview.
Céline Vara, avec une vingtaine d’objets déposés dans les deux Chambres fédérales, vous lancez une véritable offensive sur le Parlement.
Oui, c'est vraiment l'objectif. On veut faire du plastique — qui est extrêmement problématique d’un point de vue environnemental, mais aussi de la santé — une thématique centrale qui transcende les frontières partisanes et celles des départements du Conseil fédéral.
Et que visez-vous avec ces interventions déposées en bloc?
Le but est d’obtenir la tenue d’une session spéciale durant la session parlementaire de l’été et placer la question au centre des débats. Un peu comme le fait régulièrement l’UDC, sur des questions de migration.
Pourquoi maintenant?
Le timing est idéal. Le quatrième round de négociations en vue d’un traité international contre la pollution plastique vient de s’achever à Ottawa, au Canada. Dans ce contexte, un grand nombre d’études, dont des études suisses, ont été publiées récemment. Ces dernières alertent sur la présence de microplastiques dans l’environnement. C’est vite vu, ces microplastiques sont partout! Dans l’air qu’on respire, sur les glaciers, dans les cours d’eau. On en retrouve dans le sang, le placenta, le cerveau… C’est un gros problème.
Le microplastique est devenu le nouvel ennemi à abattre?
Dans les objets qui ont été déposés aux Chambres fédérales, on attaque le problème sur tous les fronts. Mais il est clair que les microplastiques et nanoplastiques sont particulièrement nocifs. Il est si petit qu'on le retrouve dans les plus petits composants de notre corps. Si on peut lutter contre le littering (ndlr: l'abandon sauvage de déchets dans l'espace public) de manière assez simple — en ramassant les déchets, en faisant de la prévention, ou en encourageant à la réutilisation — lutter contre le microplastique se révèle plus compliqué.
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C’est-à-dire?
Il faut s’attaquer à la source du problème. Et éviter à tout prix que ces microplastiques se propagent dans la nature, car il devient ensuite impossible de les évacuer de notre corps. Et cela a des impacts terribles, notamment sur la fertilité mais aussi les cancers. C’est un véritable perturbateur endocrinien.
En Suisse, deux tiers de ces microplastiques rejetés dans l'environnement proviennent de l'abrasion des pneus sur la route. Comment comptez-vous lutter contre cela?
C’est l’un des objets que nous avons déposés au Parlement. Le but est de savoir ce qu’il est possible de mettre en place pour récupérer ces microplastiques au bord des autoroutes. Il existe des systèmes de glissières qui les récupèrent afin d’éviter que ces microparticules se disséminent dans l’environnement et donc, dans nos assiettes.
Et quid de la responsabilité des producteurs?
Agir à la source, c'est compliqué, car tant qu'il y aura des pneus, il y aura ce type de déchets. En revanche, il faut utiliser toutes ces superficies qui appartiennent à la Confédération, notamment les routes fédérales, pour mettre en place ce système de récupération de microplastiques. Tout le monde y gagne : l’humain, les agricultrices et agriculteurs, la faune, etc. Le coût n’est pas monumental et c’est un vrai investissement.
56 groupes industriels sont à l’origine de la moitié des déchets retrouvés dans la nature, selon une étude publiée par «Sciences Advances». Et Nestlé est dans le top 5… Vous avez des contacts avec les cadres de l’entreprise?
On a des contacts directs, bien sûr. Moi, je dis toujours: «Je travaille avec toutes les personnes qui sont d'accord avec moi, peu importe la sensibilité politique (rires)! À un moment donné, il faut trouver des points de convergence. Ces grandes firmes productrices de déchets plastiques auraient tout intérêt à trouver des alternatives en amont de la production. A un moment donné, l’opinion publique va se retourner contre elles. Et c’est déjà le cas, en partie.
Quelle est la solution? Inciter à des meilleures pratiques ou un cadre légal contraignant?
Les deux. On doit tirer à toutes les cordes. Si ces entreprises ne veulent pas d’un cadre légal trop contraignant, elles auraient tout intérêt à prendre le taureau par les cornes. Sinon, il va falloir le leur imposer. Et ce n’est qu'une question de temps. L'Europe, avec son Green New Deal (pacte vert en français) met déjà en place des mesures. Donc, ça va devenir très contraignant.
Comment ne pas décourager la population qui trie scrupuleusement ses déchets et qui se dit que finalement ces petites actions sont une goutte dans l’océan?
C’est terrible. Énormément de pressions et de responsabilités sont mises sur les épaules des consommateurs Alors qu'on pourrait agir de manière plus efficace sur les producteurs et les distributeurs qui ont de la peine à bouger… Je suis favorable à une législation contraignante. On dit que la contrainte permet l’innovation. C’est juste. Je suis persuadée que si on dit que dans cinq ans, le plastique, c’est fini, ils trouveront une solution.
Le monde produit 460 millions de tonnes de plastique par an. Un nombre qui pourrait triper d'ici à 2060. Est-ce que le recyclage, qui a été largement promu ces dernières années, atteint ses limites?
Le plastique, on ne le recycle pas vraiment et ça consomme une énergie folle. Quand on l’incinère, même s’il produit de l’énergie, sa combustion libère du CO2. Bref, c’est du grand n’importe quoi. Avec les objets parlementaires que nous avons déposés, on demande un état des lieux; notamment une évaluation de l’impact du recyclage. Est-ce que les petits gestes individuels face à des montagnes de déchets ont encore du sens? Ce sont des questions fondamentales, sinon on risque de perdre des gens en route.
Le Rwanda, le Costa Rica, l’Italie ou encore le Bangladesh ont banni le plastique à usage unique. Et nous, en Suisse, on repart toujours avec notre petit sachet plastique de la Migros ou de la Coop. Pourquoi, on n’arrive pas à l’interdire? ça ne semble pas si compliqué, non?
Non, et vous avez totalement raison. Vous savez, j'ai commencé la politique il y a 23 ans. Et à l’époque déjà, interdire le plastique à usage unique faisait partie de mes premières interventions. Effectivement, ça n’est pas compliqué du tout, mais face à nous, il y a toujours eu cette majorité politique libérale, un bloc bourgeois probablement lié à certains lobbys, qui ne veut pas de cette interdiction. C’est incompréhensible. En plus, je suis persuadée que si on sondait la population, celle-ci y serait favorable. Cette mesure serait efficace, rapide et peu coûteuse.
Qu’est-ce qui coince alors?
Nous sommes un pays riche et les effets de la pollution plastique ne sont pas encore trop visibles. Or, la Suisse est déjà très polluée par les PFAS et les pesticides de synthèse. Mais ici aussi, ça ne se «voit» pas. Et il ne faut pas sous-estimer la force des lobbies qui est phénoménale. On n'interdit pas ces lobbies au Parlement et on n'interdit pas aux parlementaires de travailler pour ces lobbies. Il n'y a pratiquement aucun contrôle et très peu de transparence.
Comment rendre le discours sur l’écologie plus sexy, plus percutant en Suisse? Les affiches des Vert-e-s ne faisaient franchement pas rêver lors des dernières élections fédérales en 2023.
Je trouve nos affiches géniales! Et je me méfie toujours des gens qui ont des réponses simples à des problèmes compliqués. Avec des discours populistes, il est facile de faire des raccourcis et de prendre des libertés avec la vérité. L’écologie, c’est la vie. C’est avant tout préserver notre santé et ce qui nous nourrit. Nous devons revenir à plus de simplicité, plus d’amour de la nature et moins de consommation. C’est ça le discours écologiste. Et dans un monde où la consommation est quasiment élevée au rang divin, c'est difficile. Ce sont les conséquences du capitalisme et de l'ultra-productivisme. De nos jours, beaucoup de gens pensent qu’être heureux, c’est consommer.
On a l'impression qu'il y a cinq ans, l'écologie était davantage porteuse d'espoir, avec des jeunes qui manifestaient en nombre dans la rue. C'est retombé comme un soufflé?
C’est juste. Mais il ne faut pas oublier qu’après notre progression record lors des fédérales de 2019, il y a eu un énorme travail de sape de la part de nos opposants. Avec une volonté de détruire tout ce qui a été fait, notamment au Parlement et en commissions, afin que les Vert-e-s ne gagnent pas à nouveau en 2023. J’ai vraiment senti ce mouvement de fond.
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Pour terminer, quelles seraient vos trois mesures choc pour venir à bout du plastique en Suisse?
La première serait que dans un délai de maximum cinq ans, on n’utilise plus de plastique, sauf pour des objets d’extrême nécessité, comme dans le domaine médical. La deuxième? Qu’on mette en place des filières de réutilisation. Des filières étatiques, que la Confédération et les cantons réfléchissent ensemble à des solutions et créent ainsi tout un pan de l’économie. Et enfin, il faut financer plus de recherches sur l’impact du plastique sur la santé: le plastique a d’abord été dépeint comme un problème écologique et on se rend compte aujourd’hui que c’est surtout la pollution plastique invisible qui est la plus dangereuse, celle des micro et nano plastiques qui est devenue une bombe en termes de santé publique. Ces trois axes seraient extraordinaires.