Sacs en plastique taxés cinq centimes, pailles en carton molles et fourchettes en bois: la lutte contre le plastique prend, pour le Romand flegmatique, des formes plutôt inoffensives. Pourtant, à en croire le directeur d'une ONG contre la pollution plastique, on en mange toutes les semaines!
Interrogé lors du «19h30» de la RTS dimanche 28 avril, le patron de The SeaCleaners sort un chiffre qui fait mouche: on mange l'équivalent d'une carte de crédit en microplastiques, tous les sept jours.
Une quantité éxagérée
Vous, moi, nous tous. Cinq grammes de plastoc finissent hebdomadairement dans nos organismes, c'est le WWF qui le dit. Enfin, qui cite une étude de l'Université de Newcastle datée de 2019. Je mange donc une carte de crédit par semaine? Comment? Il ne me semble pas mâchouiller des gobelets, ou croquer dans mes tupperwares. Alors, comment est-ce possible?
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Eh bien, ça ne l'est pas, parce que c'est largement exagéré. Le Docteur Serge Stoll est maître d'enseignement et de recherche en physico-chimie de l'environnement au Département F.-A. Forel des sciences de l'environnement et de l'eau de l'Université de Genève. Il nous éclaire sur les méthodes de calcul de ce polluant, et sur la situation chez nous.
De 5 à 0,001 millimètres
«L'article scientifique (ndlr: cité par le WWF) a ses limites, explique-t-il. Il présente en réalité une fourchette allant de 0,1 à 5 grammes de plastique par semaine, la limite inférieure étant donc 50 fois plus petite que ces fameux cinq grammes.» La publication a ainsi suscité de nombreux commentaires ayant remis en cause les méthodes de calcul, soulignant d'importantes incertitudes.
«On regarde ce qu'on peut trouver dans l'eau potable, par exemple, et l'on exprime ces résultats plutôt en nombre de particules pour une certaine quantité, développe le scientifique de l'institut F.-A. Forel. La gamme de tailles est également pertinente pour comprendre ce qu'on analyse, car elle est très variable. Lorsqu'on parle de microplastique, on entend une taille allant de 5 à 0,001 mm.»
Quelle quantité de plastique mangeons-nous?
Ainsi, il est plus judicieux de connaître la forme géométrique des microplastiques, qui peuvent être une bille, un fragment ou une fibre, par exemple. Mais aussi, leur composition chimique et les additifs qu'ils contiennent. «Le plastique est à la base une résine, comme le polystyrène ou le PVC, à laquelle on ajoute des additifs comme des composés chimiques à l'image des retardateurs de flamme, des pigments colorés, ou des charges pour la rendre plus résistante», nous apprend Serge Stoll.
Il y a donc, d'une part, le plastique lui-même, mais aussi tout ce dont il est couvert ou imprégné qui ne font pas bon ménage avec l'environnement, la faune et nos organismes. Mais alors, combien de grammes de ces microparticules polluantes ingérons-nous?
Deux microplastiques pour mille litres
«Notre étude en collaboration avec les Services industriels de Genève montre que dans l'eau potabilisée, le taux est de deux microplastiques pour 1000 litres. Soit 0,002 microplastique par litre», éclaire le maître de conférence et de recherche. L'eau potabilisée a donc été filtrée et s'apprête à être distribuée pour finir dans les robinets genevois.
Deux microplastiques pour 1000 litres: on est loin des cinq grammes par semaine et par personne. Cependant, l'eau potable est filtrée par quatre procédés pour se débarrasser de ces polluants. Et lors de la distribution, il n'est pas exclu qu'elle soit recontaminée par le plastique des tuyaux.
Le Léman aussi pollué que les océans
Par ailleurs, l'eau brute du Léman, dont est extraite notre eau de table, contient 40 microplastiques pour 1000 litres. «Le lac est tout aussi contaminé que les océans, déplore Serge Stoll. L'Association de sauvegarde du Léman a mené une étude. Cinquante tonnes de plastique rentrent dans le plan d'eau par année, seulement 10% est évacué par le Rhône. Une partie coule et sédimente, et une autre échoue sur les plages.»
Si l'on ne mange pas de cartes de crédit à la pelle, la pollution plastique reste néanmoins omniprésente, même lorsqu'on ne la voit pas. Les microplastiques décomposés en nanoplastiques se retrouvent dans certains cosmétiques.
Tupperware, sel, fruits de mer
En chauffant certains contenant comme les tupperwares, certains additifs peuvent se libérer dans la nourriture. «Les polymères forment des chaînes comme des tas de spaghettis, détaille le maître d'enseignement et de recherche. Une fois chauffées, il peut arriver que certaines chaînes se cassent, ou quittent la structure. De l'espace se crée entre les chaînes, et donc laisse de la place aux additifs pour se libérer.»
Et si certains nanoplastiques peuvent se libérer dans les fruits et les légumes, Serge Stoll met plutôt en garde contre le sel. «De la même manière que les fruits de mer, le sel est une source de contamination.»