La fin du moteur à essence
Comment les stations-service préparent l'arrivée de la voiture électrique

Dès 2035, les nouvelles voitures vendues dans l'Union européenne seront toutes électriques. La Suisse va-t-elle suivre la tendance? Les associations et les stations-services se préparent à ce changement.
Publié: 17.10.2021 à 18:43 heures
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Il y aura bientôt plus de stations de recharge électrique. Mais à l'avenir, la plupart des gens rechargeront leur voiture à la maison.
Photo: Thomas Meier
Thomas Schlittler (texte), Alexandre Cudré et Daniella Gorbunova (adaptation)

Les grands gagnants de l'économie fondent parfois leur succès sur les perdants. Sur le site Papieri à Biberist (SO), plus de 500 travailleurs gagnaient leur vie en produisant du papier. L'usine, fondée en 1860, a dû fermer en 2011.

Le scénario de la baisse de la demande en papier pour le numérique se répéterait-il avec la baisse de demande en essence pour les voitures électriques? Jodok Reinhardt aime y croire. «Papieri Biberist est l'endroit idéal pour devenir le centre de l'électromobilité suisse», déclare l'entrepreneur.

Récupération de 90% des matières premières

Toutes les batteries qui ont servi dans les voitures électriques suisses sont collectées dans ce dépôt situé proche de l'A1. Elles seront recyclées et réutilisées. Avec sa société Librec, Jodok Reinhardt veut contribuer à l'ère des voitures électriques.

«Nous avons mis au point un procédé grâce auquel plus de 90% de toutes les matières premières contenues dans une batterie de voiture électrique peuvent être récupérées et utilisées dans de nouvelles batteries.»

Un business qui risque bien d'exploser ces prochaines années. La Commission européenne a récemment prévu que plus aucune voiture à combustion ne pourra être vendue dans l'UE à partir de 2035. La Suisse pourrait bien suivre.

Anthony Patt, professeur de politique climatique à l'ETH Zurich, se félicite de cette avancée, mais ne veut pas la surestimer. «Nos recherches montrent que la transition vers les voitures électriques se fera avec ou sans réglementation européenne», explique-t-il.

De plus en plus de voitures électriques

L'augmentation de la part de marché des véhicules électriques au cours des dernières années correspond à peu près aux tendances observées dans d'autres technologies qui ont depuis longtemps fait une percée, par exemple le smartphone. «Nous supposons donc que la part de marché des voitures électriques dépassera la barre des 50% avant 2025 et atteindra presque 100% en 2030», explique Anthony Patt.

Les premiers véhicules électriques existaient déjà au XIXe siècle et ceux équipés de batteries au lithium depuis le début des années 2000. Pourquoi ce changement n'intervient-il que maintenant?

Conduire devrait devenir moins cher

«Les batteries n'étaient jamais assez bonnes, décortique Anthony Patt. Cela n'a changé qu'avec l'industrie des smartphones, pour laquelle des batteries lithium-ion ont dû être développées. Cette technologie a changé notre façon de communiquer. Elle va transformer les voitures que nous conduisons.»

Le scientifique prédit un avenir radieux. «Nos villes seront plus silencieuses et l'air plus pur. Conduire une voiture sera moins cher qu'aujourd'hui», analyse-t-il.

Tout le monde n'est pas aussi euphorique que le professeur de l'EPFZ. Les projets de la Commission européenne font grincer des dents chez les importateurs de voitures. «Cela va freiner les innovations et les réduire l'amélioration des moteurs à combustion», déclare Christoph Wolnik, porte-parole d'Auto suisse.

Des combustibles neutres pour le climat

Auto suisse bénéficie du soutien de l'Office fédéral des routes (Ofrou). «Une technologie de combustion basée sur les biocarburants ou les carburants synthétiques peut très bien être neutre sur le plan climatique», déclare son porte-parole. «Nous avons tout intérêt à laisser jouer la concurrence entre les technologies.»

L'Ofrou et les importateurs s'accordent pourtant à dire que la marche triomphale des voitures électriques est inarrêtable. «De nombreux constructeurs prévoient de ne plus proposer de nouveaux modèles à essence ou diesel en Europe d'ici à 2035», explique Christoph Wolnik.

Que vont devenir les stations-service?

La fin des voitures à essence signifie une transition vers des importations de votations électriques. No big deal pour les importateurs. Mais qui des exploitants de stations-service?

Cette industrie ne s'inquiète pas non plus de son existence. «Nous sommes en train de construire un réseau national d'installations de recharge rapide», explique Simon Jossi, responsable de la mobilité chez Migrol. «Tout le monde ne pourra pas recharger sa batterie à la maison», observe-t-il.

Par ailleurs, les exploitants de stations-service supposent les pompes à essence seront encore nécessaire un moment. «Les véhicules à hydrogène seront probablement utilisés pour les longues distances et les besoins du trafic de poids lourd», déclare Thomas Osterwalder, patron du groupe du même nom, qui exploite une centaine de stations-service Avia en Suisse.

Perte des ventes

Et pourtant: les exploitants de stations-service sont menacés de pertes de ventes massives. «Nous nous attendons à vendre environ 50 % de carburant en moins dans les stations-service d'ici 2035», déclare Ramon Werner, directeur d'Oel-Pool AG, qui exploite environ 700 stations-service en Suisse, dont BP et Rudi Rüssel.

Pour cette raison, dit-il, il y aura également moins de stations-service en Suisse. «Nous nous attendons à une baisse d'environ 35 %», a déclaré Werner. Il estime que les petites stations-service automatiques sont particulièrement menacées. L'offre de commerces sera donc élargie aux endroits appropriés: «Peut-être qu'à l'avenir, la station-service deviendra un petit centre de mobilité où l'on pourra se procurer des e-scooters, des e-bikes et d'autres services liés à la mobilité.»

Une infrastructure fonctionnelle est la clé de voûte de la révolution de la voiture électrique. Les locataires, par exemple, dépendent du fait que leur propriétaire propose une borne de recharge dans le parking souterrain. Et comment vont faire les conducteurs de voitures électriques dont le véhicule doit passer la nuit en zone bleue parce qu'ils n'ont pas de garage? Il existe des solutions: par exemple se brancher sur les lampadaires. Mais le plus gros reste encore à faire.

Il faudra davantage d'électricité

Une autre tâche herculéenne consiste à répondre à la demande supplémentaire d'électricité qu'engendrerait cette transition. Les véhicules électriques sont beaucoup plus efficaces que les moteurs à combustion, et consomment environ trois fois moins d'énergie. Les milliards et les milliards de francs dépensés pour les importations de pétrole, que nous puisons dans les sols du monde entier depuis des décennies, pourront ainsi être économisés à l'avenir. Mais en contrepartie, nous avons besoin de plus d'électricité.

En effet, la demande est susceptible d'augmenter de 10 à 30 %. Est-il réaliste d'imaginer couvrir cela uniquement avec des énergies propres? L'Office fédéral de l'environnement déclare: «La demande supplémentaire sera couverte par l'ajout d'énergies renouvelables, en partie avec des importations et aussi avec des gains d'efficacité dans tous les secteurs.»

L'avenir de la voiture électrique est donc bel et bien en marche. Même si de nombreux points d'interrogation demeurent encore.

Le plus gros reste à faire

Cela vaut également pour l'usine de recyclage de Jodok Reinhardt à Biberist. L'écologiste est totalement convaincu que sa société Librec AG dispose de la meilleure technologie et du meilleur concept pour devenir le centre de réutilisation des batteries des voitures électriques suisses. Mais même là, les dés ne sont pas encore jetés.

L'Office fédéral de l'environnement, qui soutient le projet de Reinhardt à hauteur de 400'000 francs suisses, se montre prudent: «L'installation est encore en phase de planification pour le moment. Le rôle que Librec AG jouera un jour est donc encore ouvert et dépend de la manière dont l'entreprise pourra se maintenir sur le marché.»

L'entrepreneur ne se laisse pas décourager pour autant: «Nous sommes très bien positionnés et voulons gagner des parts de marché. Non seulement en Suisse, mais aussi dans d'autres pays européens.»

Les investisseurs ne manquent pas

Il y a quelques semaines, Jodok Reinhardt a même reçu un coup de main supplémentaire: "Un fonds pour le changement climatique initié par Bill Gates a exprimé son intérêt à investir dans Librec AG.»

Le visionnaire rayonne en disant cela. Derrière lui, la grande cheminée en briques rouges de l'ancienne papeterie s'élève dans les airs; vestige d'une époque industrielle révolue. Peut-être que le cœur d'une nouvelle ère battra bientôt ici même...

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