Puisqu’il est impossible de l’obtenir par les voies réservées à la presse, nous avons essayé autrement. Il existe, à Bruxelles, un registre d’accès aux documents officiels ouvert au public. Tous les accords internationaux de l’Union européenne (UE) y figurent. N’importe quel citoyen peut demander à les consulter. C’est ce que nous avons fait, à titre personnel. N’est-il pas logique de demander à pouvoir prendre connaissance des textes d’accords conclus le 20 décembre 2025 à Berne, par Ursula von der Leyen et l’ex-présidente de la Confédération, Viola Amherd?
La réponse? Négative. Nous avons buté sur une porte verrouillée, fermée à double tour. Voilà donc ces accords conclus voici bientôt quatre mois conservés au secret, à Berne comme à Bruxelles. Dans les deux capitales, les diplomates affirment que «tout sera bouclé en juin». Pas question d’accélérer et de faire preuve de plus de transparence, alors que la place de la Suisse en Europe et ses relations avec ses voisins sont des sujets rendus brûlants par les convulsions géopolitiques et commerciales venues des Etats-Unis! Les électeurs suisses apprécieront.
Secret d'Etat!
Officiellement, nos interlocuteurs européens justifient ce délai par la nécessité de vérifier juridiquement le contenu de ces textes âprement négociés, puis de les traduire dans les 23 langues de l’Union (qui compte 27 pays membres). Une procédure «normale» sous les cieux nuageux de Bruxelles. D’accord. Mais pourquoi ne pas nous permettre, alors, de prendre au moins connaissance des «mémos», ces synthèses réalisées par les experts de la Commission à l’intention des gouvernements?
Au nom de la transparence sans cesse proclamée urbi et orbi par la bureaucratie bruxelloise, c’est ce que nous avons demandé au titre de l’accès public aux documents. Nous en avons ciblé deux. Le premier sur les questions institutionnelles. Le second sur la libre circulation. Echec. Refus. Circulez, il n’y a rien à voir!
Pas normal, pas souhaitable
Le plus intéressant est la réponse que nous avons reçue du secrétariat général du Conseil de l’Union européenne (l’instance représentant les 27 Etats membres de l’Union). Notre demande était pourtant simple, logique, démocratique. N’est-il pas normal et souhaitable que le public suisse et européen soit informé du contenu de ces textes, dont l’accès est pour l’heure limité à Berne à quelques parlementaires?
La réponse est tombée, avec son lot de formalisme communautaire. «Nous vous remercions de votre demande d’accès aux documents du Conseil de l’Union européenne. Nous avons le regret de vous informer que l’accès ne peut être accordé. Les documents demandés, tous deux émanant de la Commission européenne et soumis au groupe de travail du Conseil sur la politique européenne, ne peuvent être consultés.»
Deux documents invisibles
Ironie des circonstances, le Secrétariat général du Conseil est dirigé depuis octobre 2022 par une juriste franco-suisse, Thérèse Blanchet, qui officia comme avocate à Genève. Ce qui n’a pas empêché ses services de nous renvoyer dans les cordes.
«A la lumière de nos consultations, le Secrétariat général est d’avis que la divulgation de ces deux documents à ce stade est prématurée, étant donné que les négociations susmentionnées, entamées au printemps 2024 après un processus d’analyse interne de deux ans des accords existants et des nouveaux accords possibles, font encore l’objet d’un examen approfondi au sein des organes préparatoires compétents du Conseil et de la Commission européenne.»
Suspense bureaucratique
La suite de la réponse à notre demande est encore plus riche d’enseignements. «Dans ces circonstances, la divulgation du contenu des documents au grand public affaiblirait le processus décisionnel en cours ainsi que la position de l’UE et l’ensemble de sa stratégie de négociation avec les autorités suisses, ce qui porterait préjudice à l’intérêt public.» Pardon? S’agirait-il d’éviter le débat et d’esquiver les questions, alors que le négociateur en chef de ces accords, côté européen, l’actuel Commissaire au Commerce Maros Sefcovic, est affairé à négocier les futurs tarifs douaniers transatlantiques avec l’administration Trump?
Faut-il se féliciter, dans ces conditions, de l’accord formalisé début avril sur la participation de la Suisse aux programmes européens Horizon (recherche) et Erasmus (éducation, universités), présenté comme «la première étape dans le processus d’approbation du paquet d’accords»?
Obscurité et opacité
La Commission européenne l’a en tout cas vendu comme tel: «Il s’agit d’une étape importante dans le renforcement de la coopération entre l’UE et la Suisse», notait le communiqué de Bruxelles. Un renforcement qui s’opère dans l’obscurité et dans l’opacité la plus totale en ce qui concerne les accords définitifs. Lesquels devront être soumis, à Bruxelles, aux représentants permanents des pays membres, puis aux ministres.
Un récent sondage publié par Tamedia montre que 47% des Suisses sont favorables au paquet d’accords avec l’UE. Les électeurs de tous les partis sont pour, à l’exception de ceux de l’Union démocratique du centre (UDC). Est-ce une raison pour différer encore la publication de ces textes? Ce qui, dans les faits, conduit à éluder le débat démocratique indispensable.
A lire sur le contenu des futurs accords, l’intéressante étude de Foraus «Programmes de l’UE: le principal avantage de l’accord n’est pas celui qu’on croit»
Collaboration à Bruxelles: Solenn Paulic