Vous êtes en poste depuis deux mois et vous êtes déjà confrontée à une guerre en Europe. Le début de votre mandat s'annonce plutôt compliqué, non?
Christine Schraner Burgener: J’ai l’habitude des crises. C’était le cas lorsque j’étais ambassadrice en Thaïlande: à peine débarquée, j’ai dû fermer l’ambassade parce qu’on tirait dans les rues, en raison d’affrontements entre les troupes gouvernementales et les Chemises rouges. J’ai ensuite travaillé à Berlin, où des centaines de milliers de Syriens sont arrivés en 2015. Et les trois dernières années, j’étais en Birmanie, une zone de conflit, où j’étais responsable du rapatriement des Rohingyas déplacés.
Y a-t-il des parallèles entre ces conflits?
Comme en Birmanie, nous constatons que la plupart des réfugiés s'enfuient dans les pays voisins et veulent rester près de chez eux. Cela rassure manifestement les gens de savoir que l'on pourrait rentrer rapidement chez soi.
La Suisse se situe à 2000 kilomètres de l’Ukraine et n’est pas un pays voisin. Combien d’Ukrainiens vont venir chercher refuge dans notre pays?
Jusqu’à présent, nous avons enregistré environ 2800 personnes, dont 832 ont trouvé refuge chez des parents ou des amis. Il est difficile de dire combien de réfugiés nous accueillerons en fin de compte. Ce qui est clair, c’est que plus la guerre dure, plus l’espoir d’un retour diminue. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu’il y aura entre dix et quinze millions de personnes déplacées.
Mais la Suisse n’est pas considérée comme un pays de destination prioritaire, du point de vue ukrainien.
En comparaison européenne, la diaspora en Suisse est relativement petite. Environ 11’000 personnes d’origine ukrainienne vivent dans le pays, dont environ 4000 doubles nationaux suisses et ukrainiens.
La Confédération s’attend à accueillir jusqu’à 60’000 réfugiés. Ce chiffre est-il réaliste?
La Confédération met à disposition environ 9000 places pour l’hébergement à court terme. Ensuite, ils pourront aller dans des logements mis à disposition par les cantons ou chez des particuliers. Mais nous pouvons en gérer beaucoup plus, comme l’a montré la guerre au Kosovo. A l’époque, nous avons accueilli 50’000 personnes.
Comment faut-il s’imaginer cela? Les gens devront-ils dormir dans des gymnases?
Ce serait le cas si tous les logements de la Confédération et des cantons étaient occupés, et si nous ne pouvions pas non plus loger les gens chez des particuliers. Les gymnases ne seraient certainement pas idéaux, mais ce serait un toit sur la tête pour une ou deux nuits. Grâce au statut «S», les requérants ne passent que peu de temps dans les centres d’asile fédéraux, s’ils ne sont pas de toute façon hébergés directement par des particuliers.
Le statut de protection «S» que reçoivent les Ukrainiens en fuite n’est pas conçu pour l’intégration. Les réfugiés devront espérer chaque année que ce statut soit prolongé sur ordre du Conseil fédéral...
Le statut «S» est effectivement conçu pour un retour au pays rapide des réfugiés. Mais il est certain que nous ne renverrons personne à la guerre ou dans une zone du pays en ruines... Tant que le conflit se poursuit, ce statut de protection collective est prolongé. Au bout de cinq ans, les personnes qui ont fui leur pays peuvent obtenir un permis de séjour. Et ils pourront travailler dès le premier jour, ce qui aide à l’intégration.
N'est-ce pas illusoire? Ces personnes vont-elles vraiment vouloir retourner dans un pays bombardé?
Selon mon expérience, ce scénario est parfaitement plausible. De nombreux réfugiés veulent retourner dans leur pays. Je crains toutefois que cette guerre ne prenne pas fin de sitôt.
Pour que les gens puissent travailler, ils doivent avoir accès à des cours de français.
Certains arrivent peut-être déjà avec quelques connaissances. Quant aux autres, nous devons les soutenir, c’est évident. Nous sommes en discussion avec les cantons à ce sujet.
Actuellement, aucun soutien financier n’est prévu pour les familles d’accueil. Les cantons ne devraient-ils pas au moins prendre en charge les frais pour la nourriture?
Les cantons peuvent le décider eux-mêmes. Ils reçoivent un forfait de la Confédération qui sert également à financer l’hébergement.
Le nombre élevé de lits annoncés et les nombreux dons montrent que la population est très solidaire. Cela risque-t-il de changer?
C’est possible. C’est pourquoi les familles d’accueil doivent savoir ce qui les attend et que les réfugiés resteront peut-être plus longtemps que quelques semaines. De nombreuses familles discutent intensément pour savoir si elles peuvent et veulent accueillir quelqu’un. C’est ce que nous avons fait dans notre famille.
Et alors?
Nous avons un studio à côté de notre appartement, qui est actuellement libre. Nous avons donc décidé d’y accueillir quelqu’un. C’est justement lorsque la crise dure longtemps qu’il est sans doute préférable que les réfugiés aient leur propre logement.
Que se passe-t-il si des problèmes surviennent lors de l’hébergement privé?
Le service d’aide aux réfugiés est en contact étroit avec les réfugiés et les hôtes. S’il y a des problèmes, on cherchera une autre solution. Il n'est d'ailleurs pas prévu que des personnes traumatisées soient logées dans des hébergements privés. Celles-ci ont besoin d’une aide médicale professionnelle. De plus, de nombreuses femmes arrivent seules ou avec leurs enfants. Ce sont des personnes très vulnérables. L’aide aux réfugiés veillera très attentivement à ce qu’elles ne soient pas menacées ou exploitées.
Et si une famille d’accueil n'est plus à l'aise avec un réfugié hébergé après quelques temps?
Elle peut alors s’adresser à l’aide aux réfugiés. Il faut que cela convienne aux deux parties.
Pourquoi n’a-t-on pas appliqué le statut de protection «S» plus tôt, par exemple dans le cas de la guerre en Syrie?
La guerre en Ukraine est beaucoup plus proche que ne l’ont été d’autres guerres. Nous devons donc nous attendre à ce que de très nombreuses personnes déplacées arrivent chez nous en peu de temps. Ce n’était pas le cas pendant la guerre en Syrie, nous avions au maximum 5000 demandes d’asile de Syriens par an. Notre système d’asile pouvait y faire face. Dans la situation actuelle, nous devons le protéger de la surcharge afin que les réfugiés d’autres régions puissent également bénéficier de notre protection.
(Adaptation par Lliana Doudot)