Ce sondage n’était pas censé être diffusé hors des murs de la Maison de la Radio à Lausanne. Mais lorsque la marmite bout, elle déborde. Et lorsque les résultats d’une enquête de satisfaction interne et indépendante sont mauvais, ils fuitent. Et finissent parfois sur la table au centre de l’open space des bureaux de Blick.
Mauvaises, les conclusions de ce sondage — considéré comme significatif et représentatif — mené auprès des journalistes radio couvrant l’actualité pour la RTS et des assistants de production le sont assurément. Un mal-être indéniable existe au sein des équipes.
Par exemple, moins de la moitié des 64 répondants (sur 115, soit 56%) — interrogés en novembre 2021 — apprécient l’ambiance à la rédaction. Et près de deux tiers sont mécontents de la collaboration avec la rédaction en chef. Une nuance toutefois, avant de plonger plus profond dans les données: malgré tout, 80% des sondés disent être assez (60%) ou très satisfaits (20%) de leur travail en général.
La rédaction en chef dans le viseur
Comment comprendre ces chiffres? Y a-t-il le feu à RTS La Première? Contactée, l'autrice externe du rapport, mandatée par la communauté des journalistes de l’info (CDI), ne commente pas. Mais plusieurs actuels et anciens employés ont accepté de se confier à Blick, sous couvert d’anonymat.
«L’analyse relève d’abord notre amour du métier, notre passion et notre engagement, souligne ce premier témoin. Côté points négatifs, un épuisement des collaborateurs ressort aussi: ces dernières années, nous avons perdu 10% de nos effectifs sans que la charge de travail ne baisse réellement. Et puis, nous sortons de deux ans de pandémie.» Mais, pour lui comme pour nos autres interlocuteurs, le point central est ailleurs. «Pour l’enquêtrice, c’est surtout le manque de leadership de la rédaction en chef (ndlr: composée de cinq personnes) et l’absence d’une ligne claire qui sont pointés du doigt. Nous sommes laissés à nous-mêmes.» En d’autres termes, «nous avons perdu notre boussole et il n’y a plus de capitaine derrière le micro de la radio romande».
En clair, selon nos sources, la hiérarchie «s’implique peu dans l’éditorial et le choix des sujets», «est souvent absente physiquement», «ne tranche pas lorsqu’il y a un conflit ou une décision à prendre». Ou encore, «le système de management est trop horizontal aujourd’hui».
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«Nous étions à côté de la plaque»
Résultat: «Il y a des prises de becs entre les émissions (ndlr: «La Matinale» ou «Forum», par exemple) ou les rubriques (ndlr: locales, internationale, etc.) et nous perdons beaucoup d’énergie», déplore ce journaliste du service public. Il se désole aussi de voir le niveau d’exigence baisser par rapport à l’ancienne rédaction en chef, plus directive.
«Même si je souscris à tout ce qu’il y a d’écrit dans ce rapport, tout n’est pas si catastrophique que cela, nuance l’un de ses collègues. Mais c’est vrai, le manque de ligne éditoriale et de leadership de la rédaction en chef crée beaucoup d’insécurité, surtout chez les jeunes.» Un exemple revient souvent: le suivi de l’actualité en Ukraine.
«Au début, Laurent Caspary, notre rédacteur en chef, qui n’est d’ailleurs pas souvent présent lors du briefing, nous a demandé de faire attention à ne pas être trop anxiogène dans notre traitement de cette guerre. Sans davantage de détails.» Conséquence: «Nous nous sommes battus des journées entières pour savoir s’il fallait faire un sujet ou s’il était trop anxiogène, comme les abris de la Protection civile ou les pastilles d’iode».
Il poursuit. «Le matin, nous avions des interviews avec des gens qui venaient parler de tout sauf du conflit. Nous étions à côté de la plaque. Après coup, notre rédacteur en chef nous a dit que les sujets devaient être traités s’ils existaient. Il aurait dû être plus présent et expliciter ce qu’il entendait dès le début!»
«Les chefs ont peur de tout»
D’autres vont plus loin encore. «Ce document révèle un problème de contenus, dénonce cette personne anciennement membre de la rédaction. Avant, la télé était pépère, la radio dynamique. Aujourd’hui c’est l’inverse! On le voit avec la guerre en Ukraine. A l’époque, Pascal Décaillet ou Philippe Revaz (ndlr: ex-producteurs et présentateurs de l’émission 'Forum') auraient exigé de partir sur le terrain dès les premiers jours du conflit.» Avant de charger la hiérarchie: «Aujourd’hui les chefs ont peur de tout, et pensent davantage à l’harmonie qu’à l’actualité. La magie de la radio, c’est sa souplesse, pas le confort du studio. Ça aussi, ça démotive les gens!»
D’autres reproches figurent aussi dans ces neuf pages. Les répondants se plaignent également d’un manque de reconnaissance de la rédaction en chef et regrettent le manque de débats de fond, notamment lors des séances. Côté RH, la mise au concours de certains postes n’est pas assez claire et transparente, notent-ils.
Directement visé par ces critiques, Laurent Caspary répond point par point. «Ces discussions, nous les avons toujours eues. Les résultats de cette enquête, menée en pleine cinquième vague de Covid, nous ont été présentés début mars. Nous reviendrons vers le comité de la CDI, commanditaire de cet état des lieux, avec nos propositions début avril.» Le rédacteur en chef de l’actu radio n’est pas surpris de voir ses équipes fatiguées. «Nous venons de traverser deux ans de pandémie, la crise au sein de la RTS et avons subi deux trains de mesures d’économies. Ce n’est pas rien!»
Le rédacteur en chef «étonné» par certains reproches
Selon lui, l’impact de la pandémie sur la rédaction a été immense. «Les briefings et débriefings à distance ont laissé des traces. Le débat s’était un peu éteint avec les visioconférences, mais il reprend avec les séances en présentiel.» Tout de même: les remarques sur l’absence de la rédaction en chef ou la ligne éditoriale sont-elles imputables au coronavirus? «Je m’étonne quand j’entends dire que la rédaction en chef est absente; parce que nous sommes toujours là et ce n’est pas compliqué de nous trouver. Et lorsqu’il faut trancher, nous tranchons. Nous l’avons encore fait récemment entre 'La Matinale' et 'Forum'.»
Laurent Caspary ne se laisse pas non plus démonter par le reste des doléances exprimées par une partie de ses subalternes et anciens collègues. «Concernant la ligne éditoriale, nous avons présenté une charte en fin d’année dernière. Il nous reste encore à l’implémenter. C’est un travail que nous allons reprendre.» Il y a parfois des malentendus, concède-t-il. «Mes mots ont mal été interprétés lorsque j’ai dit qu’il ne fallait pas être trop anxiogène dans le traitement de la guerre en Ukraine. Nous avons corrigé cela très rapidement. Nous avons aussi eu des discussions sur le volume de sujets à y consacrer. Encore une fois, ce sont des échanges normaux au sein d’une rédaction.»
Des réformes sont en vue. «J’entends le besoin de davantage de reconnaissance. Même si j’ai l’impression de remercier les gens pour leur travail très souvent, nous allons faire un effort.» Le rédacteur en chef promet aussi de mettre tous les postes au concours, mais réserve le détail de ces réponses.
«Qu’ils aillent faire un stage dans la presse écrite!»
Dans le rapport figure toute une liste de pistes d’amélioration. Entre autres: «Si elle n’a pas les moyens d’embaucher, l’actu radio devrait réadapter l’offre en fonction des effectifs et de la charge de travail des employés», note le texte, qui invite la rédaction en chef à être plus présente dans les locaux. Un mot revient tel un mantra: «plus». Il en faut plus. Exemple: lors des séances — autre point à réformer — il faut «plus de débat», «plus de critiques constructives», ou encore «plus d’impulsion de la rédaction en chef […], plus de ligne éditoriale, plus de vision, plus de leadership».
Dans les hautes sphères de la RTS, financée — rappelons-le — par le public via la redevance, certains sont amers. «Parfois, je souhaiterais qu’une partie non négligeable de nos journalistes fasse un stage de six mois dans une rédaction romande de la presse privée. Chez Tamedia (ndlr: société éditrice de '24 heures' ou de la 'Tribune de Genève') par exemple, et se confronter à des confrères qui ont vécu des mesures d’économie parfois violentes. A la RTS, ils sont nombreux à se souvenir d’une époque où tout était plus confortable et j’ai parfois l’impression qu’ils ne réalisent pas la chance qu’ils ont car nos conditions générales restent appréciables, croyez-moi.»
Voilà pour la mise en perspective. Reste la question centrale, d’avenir: l’enquête de satisfaction aura-t-elle les effets escomptés? Selon nos sources, du changement est attendu depuis plus de deux ans — avant la pandémie, donc. «A l’époque, un document listant des problèmes avait été transmis à la rédaction en chef, raconte cet informateur. Depuis, nous n’avons pas réellement vu de différence…»