Johanna Gapany mène la charge
«Le Nutri-Score est un outil limité et réducteur»

Bénéfique pour les consommateurs ou réducteur? Les avis divergent sur le Nutri-Score, ce fameux classement coloré importé de France par la Suisse en 2019. Alors qu'à Berne, une commission veut encadrer l'usage de l'outil, Johanna Gapany (PLR/FR) en explique les défauts.
Publié: 23.02.2023 à 06:21 heures
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Dernière mise à jour: 23.02.2023 à 08:58 heures
Comme Philippe Nantermod, Johanna Gapany estime que l'État n'a pas à mettre son nez dans nos assiettes.
Photo: keystone-sda.ch
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Qui veut la peau du Nutri-Score? Beaucoup de monde, visiblement. Après Philippe Nantermod, qui taille un costard à cet outil nutritionnel dans sa chronique pour Blick, c’est une autre Romande de la vice-présidence du Parti libéral-radical (PLR), la Fribourgeoise Johanna Gapany, qui s’en prend au système d'étiquetage à cinq niveaux.

C’est en qualité de membre de la commission de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC) du Conseil des États que la trentenaire se réjouit de l’adoption d’une motion. «Notre commission propose à la Confédération de faire preuve de prudence avec cet outil», écrit Johanna Gapany dans un message sur les réseaux sociaux.

Pourquoi la première conseillère aux États de l’histoire de son canton dit-elle se «réjouir» de cet encadrement strict qui se profile pour le Nutri-Score? En quoi cet outil créé en France en 2017 et adopté en 2019 en Suisse sur l’impulsion de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) irrite-t-il autant la droite? Blick est allé interroger la principale concernée.

«Les systèmes d'évaluation sont dans l'air du temps, mais ils sont aussi réducteurs», justifie la motion adoptée par votre commission. Apporter des informations aux consommateurs, est-ce vraiment un souci?
Non. En soi, tout ce qui permet d’amener de la transparence et des informations à ceux que cela intéresse est bienvenu. Notre démarche vise néanmoins deux choses: d’abord mettre en lumière certaines faiblesses de l’outil, puis, plus globalement, interroger le rôle de l’État en matière de recommandation nutritionnelle.

Commençons par le premier volet. Quelles sont les limites du Nutri-Score, pourtant en vigueur dans plusieurs pays européens?
Je tiens d’abord à préciser qu’il y a un comité scientifique compétent à sa tête, qui livre des données intéressantes. Mais il y a, aussi, plusieurs aspects qui invitent à la prudence. D’abord, cet indicateur ne tient pas compte des quantités consommées. Les fromages, par exemple, sont mal notés alors qu’en fonction de la quantité consommée, ils peuvent tout à fait faire partie d’une alimentation saine.

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Et, dit-on, des produits transformés s'en sortent généralement mieux que des produits naturels.
Oui. Par exemple, le Coca zéro est considéré comme très bon aux yeux du Nutri-Score, parce qu'il n'y a pas de sucre, alors que le jus de pomme est bien moins classé puisqu’il en contient.

Donc, à vous suivre, cela pourrait créer des incitations?
Oui, profiter à certains produits et en pénaliser d’autres. Les produits locaux ont beaucoup de peine à rivaliser, l’exemple avec le fromage le montre bien. Certains distributeurs ont demandé aux producteurs de fromage de mettre une étiquette sur leurs produits — tous les fromages sont en queue de peloton, ce qui ne vous donne aucune information valable si vous souhaitez un fromage.

Vous admettrez toutefois que le fromage n’est pas très sain?
C’est à un diététicien qu’il faudrait poser cette question, sans doute. À mon sens, dans une alimentation équilibrée, il a toute sa place. Mais il faut tenir compte des quantités, bien sûr. Et il y a un élément important qu'omet le Nutri-Score, c'est la question du grammage. L’outil prend en compte une quantité uniforme, par exemple 100 grammes. Or, 100 grammes de fromage n’est pas certainement représentatif de la consommation quotidienne. Et, outre cet exemple précis, il faut aborder l’alimentation comme un tout, plutôt que chaque produit individuellement.

Mais les consommateurs peuvent faire eux-mêmes la part des choses, non?
Certes, mais en isolant un produit, l’information donnée par cet outil peut être mal interprétée. Et, d'une manière générale, il faudrait aller plus loin. On peut tout à fait imaginer une application ou un autre outil dynamique qui permettrait d’intégrer tout son repas ou la nourriture d’une journée. Alors on aurait un instrument utile.

Donc vous admettez que l’Etat a un avantage à ce que ses citoyens savent ce qu’ils mangent.
Informer, oui. Mais l’Etat doit rester neutre: il ne doit ni recommander tel ou tel produit, ni encourager quoi que ce soit comme c’est le cas avec un soutien au Nutri-Score. Nous devons continuer de conserver la pyramide alimentaire comme base. Honnêtement, il est naïf de penser que l’on puisse faire changer réellement les choses avec une étiquette.

Pourtant, le temps presse. Toutes les études le montrent: l’obésité gagne du terrain. À l’heure où tout est envisagé pour réduire les coûts de la santé, ce serait une bonne chose que les Suissesses et les Suisses s’alimentent mieux, non?
L’alimentation est une chose, mais le vrai problème est plus global. Le manque de mouvement est aussi l’une des causes principales. La pandémie a accentué le phénomène — il y a tout un pan de la population qui bouge de moins en moins. Le rôle de l’Etat se situe donc plutôt au niveau de l’éducation et tout particulièrement vis-à-vis des enfants et des jeunes.

L’Etat ne peut-il pas aussi influencer l’alimentation, en plus de faire bouger davantage les citoyens?
Sans doute. Mais il y a beaucoup de facteurs qui entrent en ligne de compte, y compris des aspects sociaux. Le porte-monnaie, le temps à disposition et le stress influencent aussi votre alimentation. Par exemple, l’Etat peut agir au niveau des horaires des écoliers, pour être sûr qu’ils s’alimentent correctement et ne se retrouvent pas seuls à midi. C’est un exemple.

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