On savait les bailleurs trop curieux avec les candidats à la location, mais la socialiste (PS) Jessica Jaccoud n’en revient toujours pas. L’été dernier, la conseillère nationale vaudoise a reçu le coup de fil d’une gérance immobilière. Non pas de la sienne, mais celle auprès de laquelle une personne qu’elle emploie venait de postuler.
Problème? Les questions «très intrusives» qu’on lui pose alors la laissent «extrêmement surprise»: «Cette personne est bien employée chez vous? Est-elle encore en temps d’essai? Son contrat est-il de durée déterminée? Une procédure de licenciement est-elle ouverte? Quel est son salaire brut mensuel? Pouvez-vous nous la recommander?»
Une démarche «choquante» que la membre du comité de l’Association de défense des locataires (Asloca), a découverte être contraire à la Loi sur la protection des données. «Savoir si une procédure de licenciement est en cours ne concerne personne, assène la politicienne au téléphone. De même, comme employeuse, je n’ai pas à être mise au courant des démarches de mon employé pour un déménagement. Cela ne me regarde absolument pas.»
Un consentement pas vraiment libre?
Elle apprend que son employé, très motivé à obtenir ce bail, a donné son accord à cet appel. Mais «contre son gré», relate-t-elle. Pas de quoi calmer sa colère: «La question se pose de savoir si un consentement donné par un candidat à la location est tout à fait libre. Si un aspirant locataire refuse de donner ces informations, est-ce que les gérances peuvent garantir que cela ne prétérite pas son dossier?»
La réalité du terrain pousserait les candidats locataires à abandonner leurs données personnelles à la régie. «Quand vous avez passé 6 mois à visiter 3 appartements par semaine pour vous retrouver en concurrence avec 15 dossiers, parfois plus, il est normal de mettre toutes les chances de votre côté», soupire Jessica Jaccoud.
Il n’en fallait pas plus pour l’avocate socialiste pour mener sa petite enquête. Le 9 septembre, au début de la session parlementaire actuelle, la conseillère nationale pose deux questions au Conseil national sur «ce qu’une gérance ne devrait pas demander». Le Conseil fédéral lui répond quelques jours plus tard.
Des questions illégales
Les sept sages reconnaissent aux bailleurs «un intérêt légitime à connaître leurs futurs locataires» et préconisent une évaluation «au cas par cas». Pour toutes ces règles, le Conseil fédéral renvoie à la fiche d’information publiée par le préposé fédéral à la protection des données et à la Loi sur la protection des données.
«Les questions relatives à la période d’essai, à la limitation de la durée du contrat de travail ou même au licenciement ne sont pas admissibles», détaille la réponse du Conseil fédéral. De même, un bailleur peut poser des questions à l’employeur «uniquement avec l’accord préalable» du futur locataire. «Demander des frais de dossier ou des frais forfaitaires liés à la conclusion d’un dossier, c’est aussi illégal», ajoute Jessica Jaccoud.
En outre, l’Exécutif admet que demander «l’ordre de grandeur du revenu est recevable», mais pas le revenu mensuel exact. Enfin, «les questions relatives à l’état civil, à la nationalité, au lieu d’origine ou à la confession ne sont en principe pas autorisées pour la phase de recherche de locataire» et il n’est possible d’exiger une copie de la carte d’identité «que lorsque le candidat est définitivement désigné».
Les régies romandes pas aux normes
Forte de cette réponse, Jessica Jaccoud fait le tour des régies romandes. «Quand on consulte les formulaires disponibles, la totalité des régies demandent l’état civil et la nationalité, souffle sans s’étonner l’élue socialiste. Souvent, ils exigent aussi une copie de la carte d’identité et des fiches de salaire, alors que cela ne doit se faire qu’une fois le logement attribué.»
Les pratiques non conformes à la loi constituent la norme dans le milieu, selon la conseillère nationale. «Les informations qui mènent à ce constat sont très transparentes. Et pourtant ça continue! Il n’y a pas de gendarmes pour leur taper sur les doigts.» Elle s'étonne à moitié que de telles pratiques «non conformes» touchent ce milieu qui «n’est pas un marché de niche» et dans lequel «les plus grandes gérances ont pignon sur rue et des vitrines dans les plus grandes villes de Suisse».
Pour la Vaudoise, la pénurie en cours pousse les locataires à ne pas contester les souhaits de la régie. «Les locataires ont peu de moyens de s’opposer à ces pratiques illégales, de peur de ne pas se voir attribuer un logement, déplore la politicienne. Face à la gérance, ils sont systématiquement la partie faible et n’ont pas de moyen de négocier leur contrat. C’est David contre Goliath.»
Faire appliquer la loi
Au cours de la session parlementaire en cours, Jessica Jaccoud compte déposer une interpellation pour demander au Conseil fédéral «ce qu’il compte faire afin que les gérances respectent la loi sur la protection des données». Pour elle, la situation est simple: «Une loi existe, elle n’est pas appliquée. J’espère que mes collègues politiques seront choqués au même titre que moi du fait qu’une branche économique qui a pignon sur rue ne respecte pas le cadre légal.»
Avec l’Asloca, la membre du comité affirme qu’elle continuera «à travailler à la sensibilisation des locataires», en plus d’autres actions: «On ne peut donc pas faire reposer sur les seuls locataires la charge du respect de la loi. L’Asloca a un rôle dans la défense collective, elle va continuer ses démarches en ce sens.»