«Je veux juste retrouver ma vie»
Souscrire à l'AI après un Covid long est un combat

Le Covid long a arraché de nombreuses personnes à leur vie professionnelle. Certaines n'ont d'autre choix que de souscrire à l'AI. Mais tous ceux qui ont besoin d'aide ne la reçoivent pas... Deux Suissesses témoignent pour Blick.
Publié: 16.03.2022 à 16:01 heures
|
Dernière mise à jour: 17.03.2022 à 13:29 heures
1/5
Nora K. tente de reprendre lentement pied dans la vie professionnelle avec l'aide de l'AI.
Photo: STEFAN BOHRER
Lea Hartmann

Travailler une heure complète en étant concentrée? Jusqu’à récemment, c’était impossible pour Nora K.*. Après seulement 20 minutes de travail devant son ordinateur, cette collaboratrice scientifique auprès de la Confédération était déjà tellement à bout de forces qu’elle devait faire une pause de plusieurs heures.

Le Covid long a vidé la Bernoise de son énergie. «Je l’ai attrapé en juin 2020», raconte-t-elle. Quelques semaines après la contamination, elle a soudainement dû faire face à de sérieuses pertes de mémoire. «Un jour, je me suis retrouvée à la Migros et je ne savais tout simplement plus comment peser les légumes», assure la femme de 40 ans. Plus tard, une fatigue de plomb s’est abattue sur elle. Elle ne pouvait plus travailler et a dû se mettre en congé maladie. Aujourd’hui encore, plus d’un an et demi après l’infection, cette sportive est complètement épuisée au moindre effort.

À l'AI à cause du Covid long

«Je n’aurais jamais pensé être un jour à l’AI», soupire Nora K. Mais à l’automne dernier, elle n’a pas vu d’autre solution: elle s’est inscrite à l’assurance-invalidité en raison d'un Covid long.

Nora K. est l’une des quelque 1800 personnes qui souffrent de séquelles à long terme après avoir été infectées par le Covid et qui sont actuellement inscrites auprès des offices cantonaux de l'AI pour cette raison. Selon l’Office fédéral des assurances sociales, les premières rentes pour les patients atteints de la maladie ont pour le moment été accordées de manière très isolée. Il n’est toutefois pas possible de donner des chiffres précis. Une enquête dans ce but est en cours auprès des cantons, explique le porte-parole Harald Sohns.

Les cas de Covid ne représentent certes qu’un peu plus de 2% de toutes les demandes à l’AI, et parmi elles se trouvent en plus des personnes dont le diagnostic du Covid long n'est qu'une possibilité parmi d'autres. Mais il est difficile d’évaluer le nombre de cas qui attendent l’AI dans les mois à venir.

La taskforce appelle l'AI à se préparer

Ce qui est certain, c’est que le Covid long est très répandu et que les symptômes persistent très longtemps dans certains cas. Une étude de l’université de Zurich a montré qu’une personne infectée sur cent est encore gravement atteinte dans sa santé douze mois plus tard. L’avenir nous dira quelle est la proportion qui concerne le variant Omicron.

Comme les personnes concernées ont droit à une rente AI au plus tôt après un an d’incapacité de travail, les conséquences à long terme de la maladie pour les assurances sociales ne sont abordées qu’avec un certain retard. De plus, de nombreuses personnes concernées hésitent à s’inscrire, de peur d’être stigmatisées, explique Chantal Britt de l’organisation Covid Long Suisse. C'est également pour cette raison que Nora K. souhaite rester anonyme dans cet article.

Les conséquences à long terme de la pandémie, y compris pour l’AI, ne sont «pas encore totalement prévisibles», a en effet constaté la taskforce scientifique dans son évaluation de la situation début février. Elle a conseillé aux offices de l'AI de se préparer: «Il faudrait prévoir la charge éventuelle du Covid long sur l’assurance invalidité.»

«Pas pris au sérieux par les autorités»

À l’heure actuelle, Chantal Britt reproche aux autorités le manque de préparation de l'AI. La spécialiste en communication critique le fait que les personnes concernées soient souvent repoussées.

Isabelle B.*, 29 ans, a elle aussi dû faire face à une telle expérience. Cette Suissesse souffre également d’un énorme épuisement, à la suite d'une infection au Covid. S’ajoutent à cela des troubles neurologiques ainsi que des douleurs articulaires et musculaires. Elle est en congé maladie pour cette raison et a perdu son emploi. «Mais l’AI a estimé que j’étais capable de travailler à 100%, raconte-t-elle. Ils m’ont dit de m’inscrire à l’Office régional de placement.»

L’AI n’a certes pas encore rejeté définitivement sa demande de soutien, car il manque encore une expertise. Mais Isabelle B. ne s’attend pas à recevoir de l’aide. «J’ai l’impression de ne pas être prise tout à fait au sérieux par les autorités», déplore-t-elle.

Ce phénomène n'est pas nouveau

Florian Steinbacher, président de la Conférence des offices cantonaux de l'AI, ne comprend pas les critiques des personnes touchées par le Covid long. Le fait de rejeter une personne de l'AI est un «non-sens», selon lui. «Celui qui a droit à une prestation reçoit la prestation», assure-t-il.

Florian Steinbacher s’efforce visiblement de garder la tête froide. Les symptômes du Covid long ne sont pas un nouveau fléau, dit-il. Dans la plupart des cas, il s’agit généralement d’un syndrome de fatigue chronique: «Cela existait déjà avant le Covid.» Mais comme la maladie est difficilement mesurable, les investigations sont compliquées avant que les personnes concernées ne reçoivent éventuellement une prestation de l’AI.

La solution ne passe d'ailleurs pas seulement par une rente. Avant même d’envisager une telle mesure, l’AI tente de remettre les personnes en état de travailler, du moins partiellement, par exemple par un coaching ou une reconversion. Dans le cas de Nora K., l’office de l'AI compétent a autorisé une telle mesure de réadaptation.

«Je veille à ce que mon pouls reste toujours en dessous de cent»

Depuis la mi-janvier, la Bernoise essaie tout doucement de reprendre pied dans la vie professionnelle. Elle peut à nouveau travailler à 20%. Nora K. suppose que ces progrès pourraient être liés au fait qu’elle a appris entre-temps à bien gérer ses réserves d’énergie. «À l’aide d’un appareil qui mesure les fréquences cardiaques, je veille à ce que mon pouls soit toujours inférieur à 100. Depuis que j’en tiens compte, ça va mieux.»

Nora K. explique qu’elle se sent très bien accompagnée par l’AI, mais qu’il est toujours très difficile pour elle d’accepter d’être soudainement limitée. «Je voudrais simplement retrouver ma vie d'avant.»

C’est également le cas d’Isabelle B., dont l’état de santé n’a pas sensiblement évolué au cours des derniers mois. «J’aimerais tellement pouvoir retravailler, dit-elle. J’aimerais être soutenue dans cette démarche.»

* Noms modifiés

(Adaptation par Thibault Gilgen)


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la