A 24 ans, Baptiste Mabillard est déjà un «serial entrepreneur» accompli. «Mon âge, je n’en parle pas», confie-t-il à L'illustré sinon personne ne me prend au sérieux. Et mon jour de naissance, le 20 avril, je ne l’évoque pas non plus, puisque c’est le même qu'Hitler», plaisante le jeune homme, regard déterminé, chemise à carreaux et hachimaki (bandeau porté au Japon comme symbole de détermination, de courage et de travail) noué sur son front.
A l’évidence, sa tactique fonctionne. Et même plutôt bien. Ce natif de Grimisuat (VS) a ainsi gagné le pari d’approcher une poignée de capitaines d’industrie et de patrons de multinationale quasiment inaccessibles pour le commun des mortels. Mieux, il arrive à les convaincre de le suivre et de le financer.
«Je leur écris des lettres manuscrites, expliquant mon projet et mes buts. Et je me propose d’aller à leur rencontre. Le résultat n’est pas toujours immédiat, mais j’ai ainsi obtenu des rendez-vous avec des patrons de Samsung à Monaco, de Sony à la Défense à Paris, d’une grande maison de champagne, d’une marque horlogère de la vallée de Joux et d’une entreprise pharmaceutique de pointe. C’est l’un d’eux qui m’a encouragé à foncer pour lancer le dernier de mes projets en date.» Le dernier et aussi le plus ambitieux.
Apprenti pâtissier-confiseur
Nous l’avons dit, Baptiste est du genre déterminé. Et il n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà lancé trois sociétés. Là, il vient d’officialiser la création d’une fondation, World Archiver Foundation, soutenue par plusieurs marques de grand luxe, dont un horloger de prestige et un constructeur de voitures, parmi les plus exclusives du marché. Des marques dont le nom sera révélé à l’automne. Grâce à son projet, Baptiste ambitionne de récolter plusieurs millions de francs. Objectif: faire de sa fondation l’une des principales sources de financement du patrimoine mondial de l’Unesco. Rien que ça!
Pourtant, il y a encore dix ans, Baptiste suivait le cursus normal d’un jeune Helvète, en l’occurrence un apprentissage de pâtissier-confiseur en Valais. En dépit d’horaires de travail lourds, de jour comme de nuit, cet hyperactif avait déjà lancé, en parallèle à sa formation, la première de ses entreprises. A 15 ans, alors qu’il n’avait pas atteint l’âge légal pour le faire, il a ainsi créé Shelduck Production (un nom d’oiseau) pour réaliser des vidéos par drone. «Les drones étaient une nouveauté, ils intriguaient et c’était dix fois moins cher qu’affréter un hélicoptère pour réaliser des films.»
L’affaire a cartonné. Elle lui a permis de filmer pour divers offices du tourisme en Valais, puis dans d’autres cantons. Même Présence Suisse fait appel à lui. Vous ne le savez sans doute pas, les magnifiques images de paysages diffusées en attendant le téléjournal sur la RTS sont souvent signées Shelduck Production. Ces images, on les retrouve dans le livre que Baptiste Mabillard publie ces jours pour célébrer les 10 ans de son entreprise: un recueil de 200 photos qui reflètent les beautés de la Suisse, doublées d’un code QR permettant, en un clic, d’accéder à des films sur les mêmes paysages.
Talent et passion obligent, Baptiste Mabillard ne s’est pas arrêté aux frontières helvétiques. Il est allé de plus en plus loin, engagé par des voyagistes internationaux, avec l’intention de révéler la beauté du monde, mais aussi d’inciter à la préserver. A peine sorti de l’adolescence, il filme le Japon, la Birmanie, le Laos, le Vietnam... et se sent pousser des ailes: «Je faisais le plus beau métier du monde.»
Baptiste Mabillard, jeune entrepreneur
La vie n’est pas un long fleuve tranquille. En 2020, le jeune entrepreneur est coupé dans son élan quand on lui diagnostique deux graves maladies auto-immunes dont il ne se débarrassera plus: adieu voyages lointains, Baptiste passe d’un hôpital à l’autre pour des traitements lourds, douloureux et contraignants, qui continuent aujourd’hui. «J’ai le système immunitaire d’une personne âgée, je fais donc beaucoup de sport pour prendre soin de mon corps et de ma vie.»
Oui, Baptiste est un battant. Moins que jamais il ne veut perdre son temps. Mais le sort s’acharne. Il perd sa mère. Le jeune homme se retrouve doublement confronté à la fragilité de nos vies. «Cela m’a fait réfléchir. D’abord à tous ces patients qui, comme moi, passent des heures, des jours, parfois des mois dans des salles blanches éclairées au néon, sans presque aucun lien avec l’extérieur. Puis au fait que je veux aider les autres pendant le temps qui m’est imparti.»
Jamais à court d’idées, ni d’énergie pour les réaliser, il développe donc Shelduck TV, un système de diffusion de films en circuit fermé, destiné aux hôpitaux. «L’idée est de transformer chaque écran en fenêtre sur le monde extérieur, d’assurer une programmation 24 heures sur 24, tout en évitant la publicité. Et de se prémunir contre tout risque de piratage lié à des technologies en lien avec l’extérieur, hantise de tout système hospitalier.» Mais les hôpitaux n’ont pas de budget pour de telles installations.
Non à la grande distribution
Alors Baptiste se souvient de sa formation de pâtissier-confiseur. Gourmand, il invente les Ownies, des choux à la crème 100% suisses, onctueux, craquants, qui se conservent facilement plus d’un mois. Là aussi, il voit grand. Il s’adresse à des chaînes de café internationales qui envisagent de diffuser ses produits en accompagnement de leurs boissons: un juteux marché. Mais Baptiste est idéaliste: «Mes choux auraient servi à enrichir des sociétés sans autre ambition que le profit immédiat.» Et lui aurait perdu la maîtrise du projet. Pas du genre à se laisser avoir, il préfère renoncer à la grande distribution. Il sait qu’il veut lancer autre chose.
Cette fois, il passe à la vitesse supérieure. L’idée n’est pas que de gagner de l’argent: grâce aux films de paysages réalisés par sa société – ils sont à présent cinq à parcourir le monde et à filmer – il veut constituer des archives du monde en images, en faire des objets de collection, puis les diffuser en exclusivité à des mécènes prêts à s’engager pour préserver les beautés de la Terre. Il ambitionne de devenir le principal soutien financier du patrimoine mondial de l’Unesco.
Vignerons du monde
Là, on se dit qu’il rêve un peu trop fort. Mais c’est compter sans ses... lanternes magiques! Il s’agit d’une version extrapolée du système élaboré pour les hôpitaux. Cette fois, les boîtiers sont des flacons au design hyper-léché, en forme de globe terrestre gravé et fermés par un bouchon en cristal de roche. Chacun de ces flacons recèle une technologie permettant de diffuser les images de la collection sur tout écran à proximité. «Au fil des ans, on a constitué des archives exceptionnelles sur la totalité du globe. Cela nous permet de réaliser un état du monde à une date donnée, explique Baptiste Mabillard. On aimerait se profiler en vignerons du monde et mettre en bouteilles les paysages sous forme d’images millésimées.»
Dès cet automne, le premier millésime d’images doit être mis en vente. Coût du flacon merveilleux? Un montant à six chiffres; 100 000, 200 000 francs? «Trop tôt pour le dire, tous les paramètres ne sont pas encore définis», avance le jeune homme, prudent. Pour passionner les collectionneurs fortunés, chaque millésime sera produit en édition limitée.
Cette année, seulement 20 exemplaires numérotés seront mis sur le marché. Le tout lors d’un événement exclusif réservé à des invités triés sur le volet. En attendant, le commun des mortels peut commander le livre, plus abordable mais exclusif: imprimé en Suisse, il ne sera mis en vente que pendant un mois. Chaque commanditaire trouvera son nom imprimé à la dernière page. On reconnaît bien là la signature d’un jeune entrepreneur plus que déterminé.
Lien vers le kickstarter de Baptiste Mabillard
Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.