Pour quelqu'un qui pourrait bientôt ne plus retrouver sa maison, Arno Cresta est étonnamment de bonne humeur. Le restaurateur d'art accueille les journalistes de Blick dans sa belle maison de Surava, dans les Grisons. Quand on note son enthousiasme contagieux, il hausse les épaules. «Je suis quelqu’un de positif, on ne m’enlèvera pas ça, sourit-il. Je comprends parfaitement les mesures prises. Les autorités ont fait un excellent travail jusqu’à présent, elles ont toute ma confiance.» Mais il doit aussi penser à ses affaires: «J’espère que le glissement se fera rapidement. Je veux reprendre le travail le plus tôt possible.»
Cet artiste a fait d’une ancienne maison située à l’entrée du village de Surava un petit paradis. Cette bâtisse a été construite en 1618. Il a aménagé le rez-de-chaussée en salle d’exposition pour ses antiquités restaurées. À l’intérieur, on se sent transporté dans un passé lointain. À l’arrière se trouve un grand atelier de bois. Et à l’étage supérieur, il a créé un magnifique espace de vie: un mélange de décoration moderne et de poutres en bois centenaires, surmonté d’un plafond voûté en pierres imposantes.
Par la fenêtre en amont, Arno Cresta regarde la ligne de chemin de fer de l’Albula et la zone critique située au-dessus de Brienz. On voit bien le versant menacé d’effondrement. Le villageois tente une prédiction. «J’estime que nous serons épargnés à 99% par l’éboulement.»
Nous sommes surpris. Comment peut-il le savoir? «J’ai des dons de voyance, répond-il. J’espère que ma prémonition se vérifiera. Car cet endroit est toute ma vie, il contient toute ma passion.» À l’évocation d’une issue funeste, son regard se charge d’émotion: «Si le glissement devait malgré tout parvenir jusqu’ici, je perdrais ma maison. Or, ma famille vit ici depuis des générations. Ces huit hectares de terrain seraient détruits.»
Les murs sont très bien construits
Il trouve en revanche rassurant que sa maison soit solidement construite. «Ces murs sont plus solides que n’importe quelle construction en béton, avance-t-il avec assurance. Ils sont inébranlables. Ou, en tout cas, ils résistent à beaucoup de choses.» N’est-il pas angoissé par la situation? Il balaie cette idée d’un revers de main. Pour lui, le grondement sur la pente voisine fait partie du quotidien: «Nous vivons avec ce bruit depuis aussi longtemps que je me souvienne. Je suis un homme de la nature. Cela ne me dérange aucunement.»
Mais lorsque les autorités ont annoncé la phase bleue, le villageois a dû se rendre à l’évidence: sa maison s’est soudain trouvée dans la zone de danger. Lui et sa sœur, qui vit dans l’aile ouest, ont dû faire leurs valises et les transférer chez des parents au village. Qu’est-ce qui a été le plus difficile? Arno Cresta est formel: ne plus pouvoir se rendre dans son atelier. «Je reçois encore quelques commandes à l’extérieur. Mais sans atelier, je ne peux pas aller bien loin. Et ce travail est ma passion.»
Un lien émotionnel avec Brienz
L’artiste connaît bien les habitants de Brienz, le village qui a été évacué. Il souffre avec eux. «Certains pourraient tout perdre, se désole-t-il. Les paysans notamment. Ils doivent déjà lutter contre les sols qui bougent. Et quand les gravats arriveront, ils devront tout recommencer.» Il révèle également avoir des attaches particulières à ce village: «Mes ancêtres et ma famille actuelle sont originaires de Brienz. J’ai un lien émotionnel avec le village.»
Toujours est-il que les vaches de Brienz ont déjà été mises en sécurité. Blick a rendu visite aux animaux, qui se trouvent désormais à Cazis. Les paysans assurent que les bêtes se portent bien. Elles vivent dans une salle de spectacle, la Bündner Arena, transformée en un hôtel à vaches improvisé.
Le jeune chef d’étable Adrian Raschle, 29 ans, a déclaré à Blick: «Les vaches sont des animaux très faciles à contenter. Les efforts pour nous en occuper sont limités.» Il faut néanmoins les loger. N'est-ce pas compliqué de s'assurer que l'espace soit suffisant? Notre interlocuteur se montre lui aussi très optimiste. Il assure qu'ils ont de la chance dans leur malheur. «Comme c’est la pause estivale en ce moment, nous avons suffisamment de place à disposition, sourit-il. Nous avons seulement dû mobiliser du personnel pour l’étable et trouver assez de nourriture.»