Nous sommes à Brienz dans le canton des Grisons. Pietro Lazzara est assis sur la terrasse de son restaurant, le Regzia Viglia, l'unique établissement situé sur la commune. Les places autour de lui sont vides. Les clients ne viennent plus depuis longtemps. La raison est visible en jetant un coup d'œil plus haut derrière lui: l'énorme éboulement qui a épargné de justesse le village de montagne il y a un an. Depuis, l'une des deux routes principales qui mènent à Brienz est interdite aux visiteurs. Seuls les riverains et le car postal peuvent encore y circuler.
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Aujourd'hui encore, de petits rochers dévalent régulièrement la montagne, laissant ici ou là des nuages de poussière. Pietro ne semble pas impressionné. «Cela dure depuis ce matin», souffle l'homme de 46 ans. Et pourtant, il reconnaît que la situation n'a jamais été aussi précaire qu'aujourd'hui.
Il faut dire que le village continue de glisser, à raison d'environ deux mètres par an, à une vitesse jamais atteinte depuis le début des mesures. En cause, l'abondance de pluie et la neige de ces derniers mois. Les conséquences sont directement visibles avec fissures dans les murs des maisons, des routes éclatées, ou encore des bâtiments penchés.
Pietro habite non loin de son restaurant: «Ma maison est tellement penchée que je marche comme un ivrogne», nous explique-t-il. Tant que la montagne glisse de plus de dix centimètres par an, il n'a pas le droit de démolir sa maison endommagée pour la reconstruire.
Incertitude et crainte
Daniel Albertin, président de la commune d'Albula/Alvra, dont fait partie Brienz, relativise: «Les habitants de Brienz sont habitués à ce que leur village glisse d'environ quatre à huit centimètres par an. C'est certes beaucoup par rapport à d'autres régions, mais c'est supportable.» Au cours des 94 dernières années, le village s'est déplacé de 17 mètres.
En se rendant auprès des habitants du village, on comprend très vite qu'ils ne quitteraient leur maison pour rien au monde. «Même si on me proposait une villa ailleurs, je ne partirais pas. C'est chez moi, c'est ici que sont mes racines», affirme à Blick un habitant qui préfère rester anonyme.
Un jeune homme nous confie: «Le jour, je vois au moins ce qui se passe. La nuit, c'est beaucoup plus difficile pour moi.» Il a donc acheté une lumière spéciale pour sa caméra afin de pouvoir filmer la montagne de nuit.
Un autre habitant raconte: «La montagne ne nous fait pas peur, mais l'incertitude est sacrément difficile à supporter. Nous glissons vers le bas de ce fichu trou et nous ne savons pas si nous allons devoir refaire nos sacs et partir tout de suite.»
Tout l'espoir repose sur la galerie de drainage
Pour tenter d'atténuer le glissement, les habitants de Brienz placent tous leurs espoirs dans la galerie dite de drainage, qui doit être mise en place sur la paroi rocheuse. Tel un toboggan aquatique, plus la montagne est mouillée, plus elle glisse vite. Et inversement. La montagne doit donc être séchée via la galerie de drainage.
C'est pourquoi une galerie d'essai déjà existante sera triplée en longueur. Elle devrait être terminée en 2027 et coûter 40 millions de francs au total. La Confédération et le canton des Grisons en financent la majeure partie. Les Chemins de fer rhétiques, l'Office des travaux publics des Grisons, l'exploitant du réseau de transport Swissgrid et la commune d'Albula se partageront quatre millions.
40 millions pour 84 habitants, soit environ un demi-million par personne. Est-ce trop? Le président de la commune répond par la négative: ce n'est pas seulement Brienz, mais toute la vallée qui est menacée, et même le canton des Grisons, explique-t-il. En cas de glissement, la ligne de chemin de fer et le réseau de fibres optiques pourraient être détruits. Les dommages seraient immenses et coûteraient près de 170 millions de francs, comme l'a montré une analyse des risques.
Daniel Albertin se montre optimiste: «Tout notre espoir repose sur la galerie de drainage. Nous sommes presque sûrs que ça va marcher.» Dans le cas contraire, une éventuelle relocalisation a été planifiée, précise le président de la commune: «Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas avoir de plan B. Mais tant qu'il n'y a pas de danger à Brienz, chacun doit décider lui-même s'il veut partir ou rester.»
Pietro Lazzara fermera définitivement son restaurant fin juillet, faute de clients. Mais il n'est pas non plus question pour lui et sa famille de déménager: «Il faudrait qu'on vienne nous chercher en hélicoptère pour cela.»