Sur la première table de plusieurs salles de classe, il explique avoir vu des flyers rouges incitant à voter «non» à EFAS (la réforme du financement des soins) le 24 novembre prochain. Les élèves du Gymnase de Renens ont-ils fait face à du prosélytisme politique de gauche, juste avant les vacances? C’est du moins l’observation rapportée à Blick par Hugo Benoit, qui est à la fois un simple gymnasien et le plus jeune président de section régionale du Parti libéral-radical (PLR) vaudois.
Le politicien en herbe de 18 ans, à la tête du PLR Romanel-Jouxtens-Cheseaux, assure avoir vécu le vendredi 11 octobre une situation hors-la-loi. «En entrant dans ma classe, après la pause de midi, j’ai vu ces cinq ou six flyers disposés sur les tables», se souvient l’étudiant. Au vu de l’unique photo qu’il nous a fait parvenir, les affichettes proviennent de la division vaudoise du Syndicat des services publics (SSP Vaud).
L'organe y clame haut et fort son opposition à la réforme dite du financement uniforme des prestations — combattue à gauche mais soutenue à droite — sur laquelle les Suisses voteront le 24 novembre prochain. Problème? Les élèves n’auraient clairement pas dû tomber sur ces prospectus politiques. Et ce n'est pas une première: en janvier 2023, la présidente du PLR Vaud Florence Bettschart-Narbel avait déjà dénoncé la «propagande» de profs qui distribuaient des tracts devant le gymnase de la Cité à Lausanne, en marge d'une grève des fonctionnaires.
Pas de propagande à l’école
Car c’est la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) qui le dit: dans les établissements scolaires du canton de Vaud, «toute forme de propagande politique, religieuse et commerciale est interdite auprès des élèves». Une école dépolitisée que défend ardemment le chef du Département de l’enseignement (DEF) Frédéric Borloz — lui-même d’obédience PLR.
Fort de ce support légal, le gymnasien engagé mène l’enquête: «J’en ai vu au moins dans deux autres classes. J’ai appris que chaque professeur en avait reçu dans sa boîte aux lettres du gymnase et que les discussions à ce sujet étaient animées en salles des maîtres.»
Un camarade de volée confirme les propos d’Hugo Benoit. Se qualifiant de «pas encore partisan politique» mais aussi de «plutôt PLR», ce second gymnasien affirme avoir vu les prospectus du SSP dans sa classe le mardi précédant ses vacances. Il voudrait ne pas avoir à «subir l’endoctrinement des profs».
Mais alors, un enseignant ou une enseignante aurait cherché à influencer illégalement les opinions politiques des élèves — à peine en âge de voter pour les «troisièmes»? C’est en tout cas l’hypothèse du jeune président de la section PLR des hauts de Lausanne. «Les portes étaient fermées, donc c’est forcément quelqu’un qui y a accès qui les a laissés là, incrimine Hugo Benoit. Ce qui me choque, peu importe le parti, c’est que des profs donnent leur opinion politique et influencent les élèves alors qu’ils ne sont pas censés le faire.»
Si c'est vrai, Vaud se montre ferme
Blick a soumis ce récit aussi bien à la Direction générale de l’enseignement postobligatoire (DGEP) qu’au syndicat à l’origine du tract. Du côté de l’Etat, le directeur général du DGEP Lionel Eperon s’étonne que rien ne soit remonté jusqu’à lui ou au Département. «La direction du gymnase de Renens, en particulier, n’a pas eu connaissance de tels agissements qui m’auraient alors immédiatement été signalés par le Directeur», explique le haut fonctionnaire mercredi dans un e-mail.
«S’il est avéré que des élèves ont reçu des flyers politiques distribués par un ou des enseignantes ou enseignants, ce serait une première à notre connaissance!», certifie Lionel Eperon. En se référant lui aussi à l’article 11 de la LEO, le «directeur des directeurs» décrit ses services comme «très attachés à l’éducation à la citoyenneté», mais se montre ferme quant à la neutralité de l’enseignement: «Nous sommes très attentifs à l’application stricte de la loi en ce qui concerne la politique, le prosélytisme ou la publicité commerciale.»
Ne pas tolérer et condamner, c’est la position du DGEP sur ce dossier, s'il s'avère fondé. «Nous ne nous expliquons pas comment ces flyers auraient pu être distribués à des élèves du gymnase de Renens», avance Lionel Eperon. Il assure finalement que «la direction du gymnase de Renens reprendra cela à la rentrée pour vérifier ce qui s’est réellement passé».
Le SSP se dédouane de toute responsabilité
Pour ce qui est du SSP, le secrétaire syndical chargé de l’enseignement Raphaël Ramuz assure — après s’être renseigné auprès de leur diffuseur au gymnase de Renens — que «le tract a été diffusé dans les casiers des enseignants». Il nous fait savoir que les consignes sont claires quant à la diffusion des «informations du SSP» dans les établissements scolaires: elles sont distribuées uniquement dans les casiers des profs, et «éventuellement mises à disposition ou affichées en salle des maîtres».
Mais les prospectus ne sont «en aucun cas» diffusés «auprès des usagers», en l’occurrence des élèves, assure Raphaël Ramuz. «Nous ne sommes bien évidemment pas responsables de ce que font les enseignant-e-s (sic) qui reçoivent ces infos dans leur casier», dédouane le secrétaire syndical avant de relever «qu’il y a actuellement une atmosphère peu propice à la liberté d’expression à l’Etat de Vaud et en particulier au DEF».
Le syndicaliste prend pour preuve l’interdiction de l’organisation de débats contradictoires dans les gymnases avant les élections, portée en 2023 par le conseiller d’Etat Frédéric Borloz. Il conclut en signalant à Blick que «certains parlementaires sont à l’affût de la moindre occasion pour stigmatiser le corps enseignant».
Tabou chez les profs de droite?
Pour Hugo Benoit et son camarade de gymnase, tous deux plutôt à droite de l’échiquier politique, le gymnase est un bastion de gauche. Ils évoquent un véritable «tabou» chez les profs orientés à droite. «Je connais quelques enseignants clairement minoritaires dans leurs opinions politiques qui ont peur d’en parler et d’être mis à l’écart», lâche le militant libéral-radical.
Au-delà du cas des flyers, les deux étudiants évoquent «ce côté orienté de l’enseignement» comme un problème plus général, parfois moins visible. «En histoire, on nous dit que soutenir Trump pourrait être problématique ou que l’Union démocratique du Centre (UDC) est un parti raciste», relève l’élève anonyme. «En philo, on lit beaucoup Marx», complète le jeune président de section PLR qui estime que «c’est un peu limite, voire démagogue».
Alors qu’en est-il vraiment? Il se pourrait bien que les opinions politiques des enseignants du gymnase soient orientées à gauche. Mais en toute connaissance de la législation vaudoise, un prof a-t-il pu volontairement laisser des tracts politiques à l’attention des élèves? Est-ce plutôt un oubli malheureux? Le DGEP assure mener l’enquête.