«Êtes-vous une handicapée mentale?» Ce sont les premiers mots d'une lettre que Gabi Schürch, a reçue il y a quelques semaines. Elle devrait garder sa «bouche de menteuse fermée», peut-on lire encore sur la lettre manuscrite. Son auteur anonyme finit par la menacer: «Votre ferme est dans le viseur.»
Mme Schürch est agricultrice biologique à Kirchberg (BE) et vice-présidente de l'Association suisse des paysannes et des femmes rurales. Elle fait campagne pour le non à l'initiative sur l'eau potable et les pesticides. Des lettres comme celle que Mme Schürch a reçue atterrissent depuis quelques temps dans la boîte aux lettres de nombreux agriculteurs. Ces derniers doivent actuellement faire face au vandalisme, à de l'hostilité, de l'intimidation et même des menaces de mort. La campagne référendaire sur les deux initiatives a pris de nouvelles proportions.
«Les lettres m'ont déstabilisée»
Même si cela ne la décourage pas, l'agricultrice Schürch affirme: «Les lettres m'ont déstabilisée et m'ont aussi fait peur.» Si elle a participé aux émissions télévisées «Arena» et «Club», d'autres agriculteurs n'osent plus le faire au vu de l'ambiance devenue électrique. Natalie Favre, du comité d'initiative sur les pesticides, déclare qu'il a été très difficile de trouver un paysan prêt à apparaître dans «Arena». Beaucoup sont intimidés et n'osent plus exprimer leurs opinions en public.
Nathalie G.* n'a accepté de parler à Blick que sous couvert d'anonymat. Après avoir affiché son soutien à l'initiative sur les pesticides sur les réseaux sociaux, une apicultrice romande s'est vue demander par un agriculteur de retirer le rucher de sa propriété. «Il m'a dit que je devais soit la fermer, soit partir. Après mûre réflexion, j'ai décidé de partir.» Quelques jours plus tard, lorsqu'elle a de nouveau exprimé son opinion sur Facebook et Instagram, quelqu'un d'autre lui a dit qu'ils ne vendraient plus son miel.
Des caméras installées par crainte des pulvérisations de pesticides
Bien qu'elle n'ait jamais craint pour sa propre sécurité, elle dit que l'atmosphère est tendue et difficile à supporter. «J'ai surtout peur pour mes abeilles», dit-elle. Elle n'oserait pas accrocher un drapeau en faveur du «oui» sur l'un de ses ruchers. «Je ne veux pas qu'il soit détruit», dit-elle.
Blick connaît également un agriculteur qui a installé des caméras dans sa ferme, car il craint que les opposants à l'initiative ne pulvérisent secrètement des pesticides dans ses champs et qu'il ne soit plus autorisé à vendre ses produits comme étant biologiques.
Menaces de mort contre un membre du Conseil des États
Même les politiciens habitués aux apparitions publiques et aux réactions qu'elles suscitent font marche arrière. Le conseiller national des Verts Kilian Baumann a décommandé toutes ses apparitions publiques en raison de menaces - qui allaient jusqu'à viser sa famille. Sa collègue neuchâteloise de parti et membre du Conseil des États, Céline Vara, a également reçu des menaces de mort et est depuis sous protection policière. Par souci pour sa sécurité et celle de sa famille, elle ne souhaite plus s'exprimer publiquement sur le sujet, a-t-elle déclaré lorsqu'on lui a posé la question.
Alors que les agriculteurs qui soutiennent ces initiatives sont principalement visés par leur propre profession, le camp adverse se heurte généralement à l'hostilité des consommateurs.
«Je n'ai jamais vécu quelque chose comme ça auparavant.»
La semaine dernière, Stefan Krähenbühl, agriculteur à Greng (FR), s'est fait faire un doigt d'honneur par un joggeur alors qu'il épandait des pesticides dans son champ de pommes de terre. Quelques jours plus tard, un automobiliste a klaxonné et fait le même geste - alors que Krähenbühl s'apprêtait à pulvériser des remèdes homéopathiques. «Beaucoup de gens ont des préjugés. Ce serait bien qu'ils me parlent pour une fois», dit l'agriculteur biologique. Lui aussi a reçu des lettres haineuses ainsi que des appels téléphoniques anonymes. «Quelqu'un m'a dit que ma raison d'être était terminée», dit-il.
M. Krähenbühl affirme que ce qu'il a vécu ces dernières semaines en termes d'agressions à son égard en tant qu'agriculteur est sans précédent. Walter Maurer de Kölliken (AG) - également agriculteur biologique, mais favorable aux initiatives - fait le même constat. «Les nerfs sont à vif», dit-il. «Quand on discute avec les agriculteurs, ils deviennent très vite agressifs». Il explique cela en disant que de nombreux agriculteurs ont très peur pour leur existence et celle de leur exploitation. «Il y a eu d'autres initiatives où les choses ont été difficiles. Mais je n'ai jamais vécu quelque chose comme ça.»
Vivement que le 13 juin soit passé
Les deux parties se considèrent comme des victimes. Et les coupables existent dans les deux camps. Mais les hommes et les femmes auxquels Blick a parlé sont également moins préoccupés par la recherche d'un coupable que par la condamnation de la surenchère - quelle qu'en soit l'origine. «Vous devez être en mesure de profiter de la liberté d'expression sans crainte. Si nous ne pouvons plus le faire en Suisse, alors rien ne va plus», déclare l'agriculteur biologique Maurer.
De nombreux agriculteurs attendent avec impatience que le 13 juin soit derrière eux. Mais ils s'inquiètent aussi de ce qui va suivre. «J'aimerais qu'il soit possible de s'asseoir ensemble autour de la table malgré la période de stress émotionnel», déclare l'agricultrice Schürch. «Parce que pour moi, la seule façon d'avancer, c'est ensemble.»
*nom d'emprunt