Dans la population, la fin de l'accord-cadre n'a pas coïncidé avec un psychodrame semblable à celui de 1992 et le refus à l'Espace économique européen (EEE). Tout juste certaines critiques se sont élevées contre le gâchis de sept années de diplomatie avec l'Union européenne pour finir dans l'impasse.
Les choses semblent aujourd'hui claires: se cantonner à une «voie bilatérale» apparaît comme la meilleure des solutions. L'est-elle dans les faits? L'économie suisse est-elle vraiment mieux lotie hors de l'EEE et de l'UE?
Voir aussi notre débat:
Nos niveaux de salaire et notre pouvoir d’achat sont dans les meilleurs du monde. Une comparaison avec l'Italie, la France ou l'Espagne place la Suisse comme grande gagnante. Or, en regardant plutôt les régions qui entourent notre pays, il y a des raisons de douter de la prétendue supériorité de la «voie particulière» de la Suisse, le fameux «Sonderfall» évoqué outre-Sarine.
Une analyse de nos collègues alémaniques le montre: les économies de nos voisins directs se sont mieux développées que celle de la Suisse depuis le début du millénaire. Observons en détail, si vous le voulez bien.
> Augmentation du PIB
Le premier indicateur est l’augmentation du produit intérieur brut (PIB). En Suisse, celui-ci a augmenté de 54% entre 2000 et 2019. Les «Länder» (régions) du sud de l’Allemagne, le Bade-Wurtemberg (+70%) et la Bavière (+77%), ainsi que la région du Tyrol du Sud en Italie (+77%) ont connu une croissance beaucoup plus rapide au cours de la même période. Les régions autrichiennes du Vorarlberg et du Tyrol ont même doublé leur PIB (+100%)!
> Chômage
Le deuxième indicateur est le chômage. Là aussi, l’évolution a été inférieure à la moyenne suisse ces dernières années. En 2000, nous avions un taux de chômage de 2,7%; à l’époque, seul le Sud-Tyrol faisait mieux avec 2,3%. En 2020, le chômage a atteint presque 5% chez nous, soit un glissement net vers la moyenne européenne. Aujourd’hui, la Bavière (2,6%), le Tyrol (3,1%), le Bade-Wurtemberg (3,2%), le Vorarlberg (3,6%) et le Sud-Tyrol (3,8%) affichent tous des chiffres du chômage inférieurs aux taux helvétiques.
> Migration et main d'oeuvre
Seul endroit où la Suisse est leader: la croissance démographique. Sous l’effet de l’immigration, le nombre d’habitants est passé depuis le début du millénaire de 7,2 à 8,6 millions en 2020, soit une augmentation de 20%. Tous nos voisins immédiats, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la France, ont connu une immigration plus faible, malgré leur réussite économique et leur appartenance à l’UE.
Pour Jan Atteslander, responsable du commerce extérieur à Economiesuisse, ces chiffres sont révélateurs: «Les frontières nationales ne sont pas vraiment le facteur qui détermine le succès ou l’échec d’une économie. La capacité des entreprises à se développer au-delà des frontières est déterminante.»
Ainsi, toute «l'espace alpin» est fort sur le plan économique, que ce soit en Allemagne, en Autriche, en Italie ou en France. «Toutes les régions sont caractérisées par des PME et des entreprises familiales solides, spécialisées dans des produits industriels innovants et de haute qualité», analyse Jan Atteslander.
Une comparaison «pas valable» selon Blocher
Pour la figure historique de l’UDC, Christoph Blocher, il est difficile de comparer les régions individuelles à une nation. «On pourrait tout aussi bien conclure que le canton de Zoug s’est mieux porté que le reste de la Suisse ces dernières années», rétorque l'octogénaire.
Christoph Blocher souligne également les différents points de départ: «Pour des régions comme le Vorarlberg, qui se situaient à un niveau bien inférieur à celui de la Suisse en 2000, il était bien évidemment plus facile d’atteindre des taux de croissance plus élevés. Les marchés émergents comme la Chine et l’Inde le montrent également.»
Néanmoins, le Zurichois trouve ces chiffres inquiétants: «En particulier, le fait que le taux de chômage en Suisse soit désormais plus élevé que dans d’autres pays et régions d’Europe devrait nous faire réfléchir.» Il n’en voit pas la cause dans la trajectoire particulière de la Suisse, mais dans le rapprochement trop étroit de la Confédération avec l’UE: «En particulier, la libre circulation des personnes — autrement dit, l’immigration incontrôlée — a été une grosse erreur.»
Les salaires suisses, dit-il, ont un attrait énorme, sans commune mesure avec celui de ses voisins. «Le problème est que l'immigration n’a pas augmenté le produit intérieur brut par habitant, mais dans le même temps, le taux de chômage des étrangers est disproportionnellement élevé.»
Blocher voit comme seule solution dans la réintroduction des quotas. «Ceux dont nous avons vraiment besoin viendront, et s’ils n’ont plus de travail, ils devront repartir.»
Le franc fort en cause
Daniel Lampart, économiste en chef de l’Union syndicale suisse (USS), a une toute autre explication du fait que l’avance de la Suisse sur ses régions voisines a diminué: «La raison n’est ni l’UE ni l’Espace économique européen, mais l’euro ou le franc fort.»
Le taux de change est extrêmement important pour une nation exportatrice comme la Suisse. L’appréciation du franc a été extrêmement préjudiciable à l’économie d’exportation suisse ces dernières années et a notamment entraîné la création de moins d’emplois que dans nos régions voisines.
«Pour stopper cette évolution, la Suisse doit repenser sa politique monétaire», estime Daniel Lampart. La BNS devrait selon lui prendre des mesures plus fermes contre la surévaluation du franc et formuler des objectifs correspondants.