Les célébrations du 1er août par la Ville de Lausanne seront le lieu de débats sur le conflit israélo-palestinien. C'est le choix réalisé par les autorités en conviant comme invité d'honneur Philippe Lazzarini. Mais la venue du commissaire général de l'UNRWA (l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) n'est pas du goût de tout le monde.
La section vaudoise de l'Association Suisse-Israël s'est fendue d'une lettre demandant le remplacement de Philippe Lazzarini ou l'installation de 200 chaises vides représentant les otages du Hamas. Dans la droite lausannoise, des voix s'élèvent contre la décision de la Municipalité et sa justification par le syndic socialiste Grégoire Junod.
Et à gauche? Si le soutien au choix de Philippe Lazzarini semble unanime, une personnalité se démarque du côté des Vert-e-s. Dans un article de «24 heures» ce lundi 8 juillet, l'ancienne conseillère communale (législatif) écologiste à Blonay-Saint-Légier (VD) Anne Weill-Lévy — juive de confession et se définissant comme «une sioniste de gauche» auprès du quotidien vaudois — estime que Grégoire Junod «oublie la communauté juive locale, qui s'en prend plein la gueule».
Au vu de leur publication sur X, les Vert-e-s lausannois ne partagent pas la position exprimée par l'ancienne députée au Grand conseil vaudois, magistrate à la Cour des comptes. Ilias Panchard, actuel conseiller communal écologiste et co-président des Vert-e-s à Lausanne, a accepté de répondre aux questions de Blick. Interview.
Ilias Panchard, est-ce que ce n'est pas jeter de l'huile sur le feu que d'inviter une personnalité comme Philippe Lazzarini, clivante par son rôle au sein de l'UNRWA, à une célébration qui se veut festive?
Cette invitation est le symbole de la Suisse humanitaire. Le 1er août, ce n'est pas simplement manger des saucisses et écouter des discours. C'est un moment où on se retrouve pour réfléchir et discuter de sujets qui, parfois, dépassent le cadre de Lausanne ou de la Suisse. Dans bon nombre d'endroits du monde, la population vit une situation horrible, comparée à ce que nous vivons ici. Et Philippe Lazzarini est l'un des diplomates suisses au poste le plus important. C'est plutôt un privilège pour les Lausannois d'entendre ce qu'il a à dire. Évidemment sur Gaza et la Cisjordanie, mais aussi sur la Suisse et sur la marche du monde actuel.
Vous parlez de symbolique. Mais en associant le 1er août à un conflit au Proche-Orient, est-ce qu'on ne s'éloigne pas un peu du propos de la fête nationale suisse?
Du point de vue de la Ville, c'est intéressant d'élargir sa vision. Ces dernières années, les invités d'honneur étaient plutôt des conseillers fédéraux ou des conseillères fédérales. Philippe Lazzarini est une personnalité suisse de très haut rang. Lui aussi a potentiellement beaucoup de choses à dire sur la Suisse et ses valeurs de droits humains et d'intégration, mais aussi sur le soutien aux réfugiés palestiniens. Au-delà de certains cris d'orfraie des milieux proches du lobby israélien et de la droite qui utilisent ce moment pour polémiquer, très peu de Lausannois réagissent négativement.
Vous ne pensez pas — comme votre camarade verte Anne Weill-Lévy l'a déclaré auprès de «24 heures» — que l’invitation du patron de l’UNRWA soit une «fausse bonne idée» qui sert «l’instrumentalisation d’un terrible conflit»?
Non, pas du tout. Chacun parle en son nom. La position des Vert-e-s lausannois, vaudois et suisses est très claire. Notre groupe parlementaire a reçu Philippe Lazzarini à l'Assemblée. On s'est battu en commission et au plénum pour maintenir le financement à l'UNRWA. On se bat évidemment pour un cessez-le-feu permanent, mais aussi pour la libération des otages, qui ne sera possible qu'avec ce cessez-le-feu permanent. L'UNRWA aussi est très claire là-dessus depuis des années.
Donc vous ne seriez pas contre l'idée de l'association Suisse-Israël de «prévoir 120 chaises vides» pour représenter les otages?
J'imagine que dans les discours, il y aura une mention des otages et de l'exigence de leur libération. Mais si on commence à aller sur ce terrain-là, est-ce qu'on devrait aussi demander au moins 40'000 chaises vides sur la place de la navigation pour représenter les Palestiniens décédés à Gaza. Maintenant, on a vraiment besoin de prises de position claires au niveau fédéral: Cesser le commerce d'armes avec Israël et maintenir, voire renforcer notre soutien à l'UNRWA. La gauche s'est battue un peu seule ces derniers temps. J'en appelle aussi au conseiller fédéral Ignazio Cassis, qui n'est pas toujours très soutenant sur ces enjeux. C'est la crédibilité de la Suisse qui est en jeu.
C'est-à-dire?
Notre diplomatie a toujours été centrale dans les discussions au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Tout le monde le reconnait, on a perdu de notre force. Philippe Lazzarini est de ceux qui peuvent rappeler que la force de la Suisse réside dans sa neutralité et sa tradition humanitaire. C'est ainsi qu'on parviendra à une paix durable, à la libération des otages et, sur le long terme, à une solution à deux états. Les personnes qui jettent de l'huile sur le feu ne sont pas toujours celles qu'on imagine.
Mais est-ce le rôle de Lausanne de se positionner sur le conflit israélo-palestinien?
Lausanne reste une grande ville en Suisse, pas juste un petit village de pêcheurs. Mine de rien, nous accueillons beaucoup d'opposants et d'opposantes fuyant leur pays. Comme capitale olympique, nous avons une portée internationale au niveau du sport... mais pas seulement. En mai, nous avons accueilli le congrès des maires francophones du monde entier.
N'y a-t-il pas un risque de débordements en marge de la fête du 1er août?
Je ne vois pas de risque spécifique. Si des personnes veulent manifester et exprimer leur diversité d'opinions, elles peuvent le faire. Ce sera tout à fait bien géré, car ça fait partie de notre façon de débattre en Suisse.
Que vous évoque Philippe Lazzarini dans le travail de diplomate qu'il mène actuellement?
Je le trouve très impressionnant. Dans le monde, je pense que c'est une des personnes qui a eu le plus de pression sur ses épaules, cette dernière année. Avec ses équipes, il a continué à faire tourner l'UNRWA malgré les baisses de financement et les pressions, notamment américaines. Je lui tire un grand coup de chapeau. Lors des accusations israéliennes contre des employés de l'UNRWA qui auraient participé aux attaques atroces et meurtrières du 7 octobre, il a immédiatement viré les personnes accusées.
Vous pouvez développer?
Il a demandé des précisions qui, apparemment, n'ont pas été fournies par le gouvernement israélien. Entre temps, une enquête indépendante menée par Catherine Colonna, ancienne ministre des Affaires étrangères françaises, a contrebalancé l'ensemble des accusations. Cela a souligné l'importance de l'UNRWA pour la vie de millions de Palestiniennes et de Palestiniens. Au sujet du conflit meurtrier qui dure depuis le 7 octobre, c'est l'un des plus solides et des plus stables. Dans un moment aussi grave à Gaza et au Proche-Orient, on peut être vraiment heureux d'avoir une personnalité de ce niveau-là.