Document secret du DFAE révélé
De nombreux parlementaires s'opposent à Cassis sur l'aide aux réfugiés palestiniens

Ignazio Cassis préférerait couper les vivres à l'UNRWA. Mais en interne, son ministère sait que l'œuvre d'entraide de l'ONU n'a pratiquement pas d'alternative. Et à Berne, nombreux sont ceux qui veulent soutenir les réfugiés palestiniens.
Publié: 05.05.2024 à 19:00 heures
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Dernière mise à jour: 06.05.2024 à 10:43 heures
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Les habitants de la bande de Gaza ont besoin d'une aide urgente.
Photo: Anadolu via Getty Images
Raphael Rauch

Pendant 207 jours, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a fait patienter le principal diplomate suisse auprès de l'ONU. Ce n'est que 207 jours après l'attaque du Hamas contre Israël que Cassis a pris le temps de recevoir Philippe Lazzarini, le chef de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). La Suisse comptait autrefois parmi les dix plus grands donateurs de l'organisation. Il était prévu de soutenir l'organisation de l'ONU cette année avec 20 millions de francs – mais tout a changé depuis l'offensive du Hamas du 7 octobre.

Ignazio Cassis a commenté la rencontre du 1er mai sur X avec un maximum de froideur: «Entretiens à Berne avec le commissaire général de l'UNRWA sur la situation à Gaza». Philippe Lazzarini a immédiatement réagi: «L'agence et les réfugiés en Palestine comptent sur l'engagement et la tradition humanitaire de la Suisse pour répondre à la crise sans précédent à Gaza.»

Le conseiller fédéral PLR et le diplomate de haut rang de l'ONU n'ont guère fait d'efforts pour dissimuler leur aversion mutuelle. En 2018 déjà, Ignazio Cassis avait déclaré que l'UNRWA faisait «partie du problème» au Proche-Orient. Et en octobre 2023, il a coupé les vivres à l'organisation humanitaire. Motif: des collaborateurs de l'UNRWA auraient été impliqués dans les attentats du Hamas, selon Israël. Mais quelques semaines plus tard, un rapport indépendant indiquait qu'il n'existait aucune preuve d’un lien de l'UNRWA avec des «organisations terroristes» comme le Hamas.

Les deux visages d'un conseiller fédéral

Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) appuie toutefois l'importance de l'organisation. «A Gaza, l'UNRWA est l'acteur humanitaire le plus grand et le plus important», peut-on lire dans un rapport confidentiel du DFAE que Blick a pu consulter. «En raison de la situation de crise actuelle, aucune organisation n'aurait à court terme la capacité de reprendre l'ensemble de ses activités.» Une suspension des prestations de l'UNRWA – par exemple dans les domaines de la santé, du social ou de l'éducation - aurait «probablement des conséquences déstabilisantes supplémentaires».

Mais bien que le Département des affaires étrangères atteste de l'importance systémique de l'UNWRA, celle-ci ne devrait pas recevoir d'argent de la Suisse pour le moment. Cassis veut attendre un autre rapport d'enquête.

Les Nations unies ont réagi aux accusations portées contre leur organisation humanitaire, d'abord par le gouvernement israélien, par deux enquêtes. L'ex-ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna a publié la première le 22 avril; le rapport disculpe l'UNRWA, du moins en partie, et recommande des améliorations. La deuxième enquête est toujours en cours.

Des conseillers nationaux font front contre Cassis

Le blocage des versements d'aide aux Palestiniens fait grincer des dents dans le monde politique: La région du Proche-Orient, qui subit actuellement la plus grande catastrophe humanitaire, reçoit comparativement peu d'argent. C'est pourquoi la Commission de politique extérieure (CPE) du Conseil national s'est opposée lundi au ministre des Affaires étrangères: par 13 voix contre 11, la CPE a demandé au Conseil fédéral de débloquer les fonds de l'UNRWA pour Gaza «dans l'esprit de la tradition humanitaire de la Suisse». Lundi, le Conseil des Etats débattra de la même question.

Parmi les opposants les plus virulents à l'organisation humanitaire de l'ONU figure Hillel Neuer, de l'organisation non gouvernementale UN Watch, qui demande sa suppression. Il a été invité au Palais fédéral et a tenté de donner bonne conscience aux parlementaires.

Au sein du DFAE, son ONG est en revanche vue d'un œil critique. Dans un document confidentiel que Blick s'est procuré, l'ambassade de Suisse à Tel-Aviv écrit en 2020: «Israël a développé une stratégie sophistiquée pour exercer une influence au niveau international et promouvoir le narratif israélien, notamment en ce qui concerne la question palestinienne et l'Iran». Le travail d'UN Watch en fait également partie.

Selon l'analyse interne du DFAE, Israël «préférerait supprimer l'UNRWA afin de priver les Palestiniens d'un de leurs rares leviers dans d'éventuelles négociations de paix, à savoir le droit au retour des réfugiés palestiniens».

«Pas d'alternative réaliste à l'UNRWA»

La nouvelle directrice de l'Entraide protestante suisse (EPER), Karolina Frischkopf, a apporté un contre-argument au bashing de l'UNRWA. L'ancienne vice-directrice de la Croix-Rouge a été claire devant le Parlement: «La situation à Gaza est catastrophique.» L'œuvre d'entraide n'a actuellement aucune alternative dans la région: «Seule l'UNRWA dispose de l'infrastructure nécessaire pour atteindre tous les groupes de population et pour prendre en charge également les familles, les femmes et les enfants. A moyen terme, il n'y a pas d'alternative réaliste à l'UNRWA pour éviter une catastrophe humanitaire encore plus grande dans la bande de Gaza.»

Il semblerait que le Conseil fédéral veuille prendre une décision sur les fonds gelés de l'UNRWA dès mercredi.

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