Il manque des milliards pour rénover les centrales hydroélectriques
Des milliers de poissons suisses pourraient bientôt mourir

D'ici 2030, des centaines de centrales hydroélectriques devront être rénovées en Suisse pour des raisons écologiques. Mais les exploitants sont à la traîne, et la Confédération n'a pas assez d'argent. Cela provoque la colère de la gauche à la droite.
Publié: 30.09.2024 à 06:15 heures
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Dernière mise à jour: 30.09.2024 à 08:46 heures
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Les ascenseurs pour poissons permettent de limiter les dégâts sur la biodiversité mais il y en a trop peu.
Photo: Siggi Bucher
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Lea Hartmann et Tobias Bruggmann
Des mesures doivent être prises pour atténuer les conséquences négatives des centrales hydroélectriques sur la nature et la faune aquatique.

A Mühleberg (BE), les truites prennent l'ascenseur depuis 2021. Une installation a en effet été mise en place près de la centrale hydroélectrique pour permettre aux saumons, truites et autres poissons de remonter le fleuve malgré le barrage.

L'ascenseur à poissons a été financé par la Confédération: il s'agit d'une mesure destinée à atténuer les conséquences négatives des installations hydrauliques sur la nature et la faune aquatique. En effet, la biodiversité dans les cours d'eau se porte mal. D'ici 2030, 1000 obstacles à la remontée des cours d'eau par les poissons devront être supprimés dans toute la Suisse, avec la mise en place d'autres ascenseurs. C'est en tout cas ce que prévoit la loi.

Les rénovations sont à la traîne

Mais la mise en œuvre est loin d'être satisfaisante. L'ascenseur à poissons de Mühleberg est l'un des rares projets qui a été mené à bien jusqu'à présent. Sur les quelque 1000 installations prévues, seuls 111, soit environ 10%, étaient en cours ou déjà terminés fin 2022. C'est ce que montre un nouveau rapport de l'Office fédéral de l'environnement (OFEV). Comme l'ont rapporté les journaux de «CH Media», le rapport aurait été disponible plusieurs mois avant la votation sur l'initiative biodiversité. Mais il n'a été publié que le 25 septembre, soit trois jours après la votation.

La conseillère nationale PS Martina Munz s'agace que les rénovations ne soient pas réalisées plus rapidement. Elle jette d'importants soupçons sur les exploitants de la centrale: «En raison des assainissements des débits résiduels, la centrale hydroélectrique produit éventuellement moins d'électricité, ce qui fait que les exploitants gagnent moins d'argent.» Le débit résiduel est la quantité d’eau minimale qui doit demeurer dans le lit des cours d'eau après tout prélèvement d’eau, ceci afin que les rivières puissent continuer à remplir leurs fonctions naturelles malgré leur exploitation.

Les critiques viennent aussi des partis bourgeois. Le conseiller national UDC Lukas Reimann est déçu. «La rénovation écologique des centrales hydroélectriques faisait partie du contre-projet à une initiative populaire. Si la Confédération prend les droits populaires au sérieux, elle doit aussi prendre la rénovation au sérieux.»

L'Office fédéral de l'environnement souligne les progrès réalisés

Pendant ce temps, l'Office fédéral de l'environnement, compétent en la matière, souligne les progrès qui ont déjà été réalisés. Ainsi, les travaux auraient commencé pour 45% des projets de rénovation et la vitesse de leur mise en œuvre aurait globalement doublé par rapport au dernier rapport. Au début des travaux, il a fallu prendre le temps de développer un savoir-faire et établir les processus à suivre, selon l'Office. «De plus, la planification des mesures d'assainissement est complexe et prend du temps.»

Les autorités se retrouvent également sous le feu des critiques. «Les exploitants de centrales sont dérangés par le fait que l'OFEV vérifie chaque détail, bien qu'auparavant les cantons aient déjà examiné les demandes», explique la conseillère nationale PLR Susanne Vincenz-Stauffacher, présidente de l'Association suisse pour l'aménagement des eaux. Elle se dit toutefois satisfaite des progrès réalisés en matière de rénovation.

Il manque plusieurs milliards

Mais même si les choses s'accélèrent: l'argent manque. La Confédération finance entièrement les rénovations. Une partie du prix de l'électricité – 0,1 centime par kilowattheure – est versée à un fonds à cet effet. Cela rapporte environ 50 millions de francs par an. Mais depuis des années, il est clair que cet argent ne suffira pas pour payer toutes les rénovations nécessaires. Il manque même plusieurs milliards.

Mobiliser plus d'argent alors que les caisses de l'Etat ne sont pas vraiment pleines? Cela ne sera pas facile. Le WWF souhaite une combinaison de mesures: le supplément réseau, payé par tous les consommateurs d'électricité, est dans leur viseur Sur demande et moyennant le respect de certaines exigences, les entreprises à forte consommation d'électricité peuvent se faire rembourser, en partie ou en totalité, le supplément perçu sur le réseau afin de promouvoir l'électricité issue des énergies renouvelables.

Gabriel Cisarovsky, expert en énergie hydraulique du WWF, propose d'augmenter ce supplément et d'en consacrer une plus grande partie à la rénovation des centrales hydrauliques. Il souhaite en outre qu'une table ronde soit organisée afin de clarifier la question du budget. Et le temps presse: «Les trois quarts des poissons indigènes sont déjà éteints ou menacés d'extinction.» Si le supplément réseau est augmenté, les prix de l'électricité pourraient, eux aussi, prendre l'ascenseur.

Le temps est compté

Pour la conseillère nationale PS Martina Munz, cette augmentation n'est pas un souci. Si l'on doublait la contribution au supplément réseau, cela représenterait environ quatre francs par an pour un ménage ordinaire, calcule-t-elle. «Cela en vaut la peine pour la protection de l'environnement.» L'augmentation ne serait en plus pas perceptible pour les consommateurs finaux, car le prix de l'électricité est soumis à de plus grandes fluctuations en raison de nombreux facteurs sur le marché de l'énergie. Martina Munz demande en outre que le Conseil fédéral fasse pression, fixe des objectifs intermédiaires et sanctionne les tricheurs.

La conseillère nationale PLR Susanne Vincenz-Stauffacher est en revanche sceptique. «Avant de parler de plus d'argent, il faut examiner dans quelle mesure les projets peuvent être allégés.» Il faut maintenant établir des priorités et «éventuellement renoncer à des solutions totales».

L'OFEV a déjà élaboré différentes variantes de solutions, sur lesquelles le Parlement doit maintenant se pencher. Mais cela devrait prendre du temps. Plus personne ne croit que le délai de 2030 sera respecté. De nombreux poissons devront attendre longtemps leur ascenseur.

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