Honte, peur, manque de preuves
Il y a toujours plus de violeurs, mais pas de condamnés

Les spécialistes en Suisse sont unanimes: de nombreux violeurs échappent à toute sanction. Peu de victimes portent plainte et souvent, même en cas de plainte, il n'y a pas d'audience au tribunal. Comment expliquer ceci?
Publié: 15.09.2023 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 15.09.2023 à 08:31 heures
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En Suisse, la moitié des victimes de violences sexuelles gardent pour elles ce qu'elles ont vécu.
Photo: shutterstock
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Karen Schärer

Le viol est un délit grave avec un faible taux de condamnation: entre 2010 et 2021, sur 100 personnes accusées de viol, 22,8 ont été condamnées. «Pour d'autres délits graves, le taux de condamnation est plus de deux fois plus élevé», explique Dirk Baier, criminologue à la Haute école des sciences appliquées de Zurich.

Mais cela ne signifie pas que les 77,2 autres personnes ont été acquittées, ajoute-t-il. Une condamnation peut également être prononcée pour contrainte sexuelle par exemple, dit-il. Peu de statistiques sont disponibles en la matière.

Chaque année, davantage de plaintes

Les plaintes pour viol sont plus nombreuses chaque année en Suisse depuis 2016. Il y en a eu 867 en 2022, mais le nombre de condamnés reste stable. «Le fait que le nombre de personnes mises en cause augmente est en premier lieu le résultat d'une volonté croissante de porter plainte. Toutefois, les cas où les preuves sont claires ne semblent pas augmenter dans la même mesure, sinon nous aurions également un nombre croissant de condamnés», explique le criminologue.

Le viol est un délit pour lequel l'administration des preuves est plus difficile que pour de nombreux autres délits. Certes, les viols collectifs comme ceux qui ont eu lieu récemment à Palerme en Italie ou à Majorque font la une des journaux.

Mais dans la plupart des cas, seules deux personnes sont présentes lors de l'acte; leurs déclarations sur le déroulement des faits se contredisent souvent et il n'existe généralement pas non plus d'enregistrement vidéo comme à Palerme et à Majorque. Dirk Baier conseille aux victimes de viol de se faire examiner médicalement le plus rapidement possible et de prélever ainsi des traces – afin de disposer de preuves devant le tribunal.

Les plaintes s'enlisent

Toutefois, il est rare qu'un procès ait lieu. Comme l'écrivent Miriam Suter et Natalia Widla dans leur livre «As-tu dit non ?», paru au printemps 2023, de nombreux cas restent déjà bloqués au niveau du Ministère public. Cela peut s'expliquer par le fait que le procureur estime que les preuves ne sont pas assez solides et qu'il ne veut pas imposer à la victime les contraintes d'un procès si les chances de succès sont trop faibles.

Dans d'autres cas, la victime elle-même se retire. «Des femmes nous ont dit qu'elles n'avaient tout simplement pas l'énergie émotionnelle et les ressources financières nécessaires pour supporter l'ensemble du processus», explique Miriam Suter. Les menaces des agresseurs peuvent également jouer un rôle: «Un des accusés a menacé la victime, à tel point qu'elle a eu peur de lui et a retiré sa plainte», souligne Miriam Suter.

Le sentiment de honte dissuade de porter plainte

Mais la grande majorité des viols subis ne sont même pas dénoncés. C'est ce qu'a clairement montré une étude sur la violence sexuelle en Suisse réalisée en 2019 par l'institut de recherche GFS Berne. Environ la moitié des femmes victimes de violences sexuelles ne parlent à personne de ce qu'elles ont vécu. Les victimes qui se confient à quelqu'un le font généralement dans leur environnement immédiat et familier. 11% de celles qui parlent de l'acte de violence s'adressent à un centre de conseil. Seuls 8% portent plainte. Conséquence: il existe un nombre élevé de viols non déclarés.

Les principales raisons pour lesquelles les victimes ne s'adressent pas à la police sont le sentiment de honte, la peur qu'on ne les croie pas ou qu'elles n'aient aucune chance plus tard au tribunal. «Aujourd'hui, on donne plus facilement aux victimes le sentiment qu'elles mentent plutôt que de les croire. Cela doit changer», conclue l'auteure Miriam Suter.

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