Groupe d'armement sous enquête
Viola Amherd était au courant des accusations de corruption chez Ruag depuis 2019

L'enquête de Blick est formelle: la cheffe du Département fédéral de la défense (DDPS) Viola Amherd a été informée il y a des années des dysfonctionnements au sein du groupe d'armement Ruag. L'enquête juridique en cours coûte des millions aux contribuables.
Publié: 22.09.2024 à 18:55 heures
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Un manager valaisan est au centre des accusations. Le parquet allemand chargé de la lutte contre la corruption enquête sur son implication.
Photo: DR
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Raphael Rauch
La cheffe du DDPS Viola Amherd et le président de Ruag de l'époque, Remo Lütolf, ont été informés de dysfonctionnements chez Ruag en 2019.
Photo: Keystone

En interview, les propos de la présidente de la Confédération Viola Amherd pourraient presque ressembler à ceux d'une femme de ménage. «En tant qu'avocate, je suis très attentive. Tout doit être propre et correct. Le reste n'est pas possible», déclarait-elle en 2023 au «Tages-Anzeiger». La cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) a commenté le chaos qui règne au sein du groupe d'armement public Ruag en ces termes: «Des problèmes sortent maintenant à la lumière du jour. Peut-être qu'il y en aura d'autres. Je ne l'espère pas, mais je ne peux pas mettre ma main au feu.»

En revanche, Viola Amherd se tait sur certaines choses. En effet, la politicienne est au courant depuis 2019 des accusations de corruption chez Ruag. Un lanceur d'alerte en a informé la conseillère fédérale en 2019. Dans une lettre que Blick s'est procurée, on peut y lire: «Je me vois contraint de vous signaler des dysfonctionnements chez Ruag, qui nuisent aussi bien à l'entreprise qu'à notre pays». La lettre a également été adressée au président du conseil d'administration de l'époque, Remo Lütolf, et à l'ensemble du conseil d'administration de Ruag.

Des bénéfices sur du matériel d'armée

Les reproches du lanceur d'alerte sont forts. Ils concernent dix boîtes de vitesses du char de combat Leopard 2, qui auraient été «vendues à un ferrailleur allemand douteux». «Et ce, à un prix nettement inférieur à ceux du marché, commente-t-il. Mais celui-ci ne les met pas à la ferraille. Il les revend dans le monde entier en réalisant des bénéfices.» N'importe qui se poserait la question suivante: «Pourquoi faire cela si ce n'est pas pour son propre avantage personnel?»

Autre reproche: la filiale de Ruag à Kassel, en Allemagne, vend des sous-ensembles Leopard 2 à un ferrailleur à des prix «nettement inférieurs à 50% d'un prix neuf». Destination de l'exportation: l'Asie du Sud-Est. Le lanceur d'alerte s'interroge: «Comment s'assurer que ces biens militaires ne sont pas destinés à des pays qui, du point de vue de la Suisse, n'auraient jamais dû être approvisionnés?»

Ruag n'enquête qu'à moitié

Les chars Leopard 1, qui rouillent depuis des années dans le nord de l'Italie, font également l'objet d'accusations. «Les pièces de rechange ne sont pas directement commercialisées. Elles sont vendues dans le monde entier via la filiale de Ruag en Allemagne», écrit le lanceur d'alerte. Sans passer officiellement par la Suisse, donc. «Quels risques politiques la Suisse prend-elle et comment cela s'inscrit-il dans la réorientation de Ruag?», questionne l'informateur.

Au lieu de prendre le lanceur d'alerte au sérieux, Ruag n'a visiblement enquêté qu'à moitié. Et la cheffe du DDPS Viola Amherd n'a pas investigué d'aussi près qu'elle le prétend lors de ses interviews. Le directeur général (CEO) de Ruag de l'époque, Andreas Berger, a exigé des explications rapides afin d'informer la conseillère fédérale en temps voulu. Mais au lieu d'ouvrir une enquête externe, Ruag a réglé le dossier à l'interne, par voie hiérarchique.

«La procédure de Ruag était totalement non professionnelle»

C'est le 3 septembre 2019 au plus tard que Hannes Hauri a été informé des reproches anonymes. Celui-ci était responsable des chars chez Ruag, mais était aussi supérieur hiérarchique du manager valaisan qui serait au cœur des dysfonctionnements. Dix minutes après avoir reçu l'e-mail, Hannes Hauri a informé le manager valaisan. «La procédure de Ruag était totalement non professionnelle», déclare un membre de l'armée à Blick. «L'auteur présumé a été averti, il a peut-être pu détruire des preuves. L'examen des cas de corruption doit être fait par des instances indépendantes, et non par les personnes concernées.»

On ne sait pas exactement comment Ruag et le DDPS ont éclairci les faits reprochés. Viola Amherd et Ruag gardent le silence et renvoient aux procédures en cours. Une chose est sûre: si Viola Amherd et Ruag avaient réagi plus sévèrement en 2019, ils auraient pu s'épargner des ennuis ultérieurs. Il est également clair que la conseillère fédérale centriste a hérité d'un cas difficile de la part de ses prédécesseurs au DDPS, Guy Parmelin et Ueli Maurer.

Le Ministère public enquête sur un manager valaisan

En 2022, une perquisition a eu lieu chez Ruag en Allemagne. Le parquet anti-corruption reprochait au manager valaisan d'avoir vendu des biens d'armement à son propre profit via l'entreprise de son épouse. L'année dernière, les médias ont signalé des opérations douteuses concernant des chars Leopard 1 dans le nord de l'Italie. Mais comme l'a appris Blick, le Ministère public s'intéresse aussi à d'autres affaires douteuses.

Ainsi, le manager valaisan aurait eu des échanges étroits avec le ministère néerlandais de la Défense. En 2020, les Pays-Bas auraient vendu des pièces de rechange pour des chars Leopard 2 à Ruag dans le but de les revendre à une entreprise allemande. Les pièces de rechange ont été envoyées directement à l'entreprise allemande depuis un entrepôt de l'armée néerlandaise à Almelo, aux Pays-Bas. Elles n'apparaissaient dans aucun entrepôt de Ruag. Apparemment, Ruag a servi d'intermédiaire pour une affaire dont devaient surtout profiter le manager valaisan et ses partenaires commerciaux.

Pas de chars Ruag pour l'Ukraine

En mai 2021, le ministère néerlandais de la Défense a de nouveau contacté le manager valaisan. Les Pays-Bas avaient un besoin urgent de pièces de rechange pour l'armée finlandaise, dont une partie est entretenue par les Hollandais. En 2021, la Finlande n'était pas encore un pays de l'OTAN. L'idée que des pièces Ruag protègent la frontière extérieure de l'OTAN avec la Russie ne devrait pas plaire à certains partisans de la ligne dure de l'UDC.

Après la guerre d'agression de Poutine contre l'Ukraine, les Néerlandais voulaient conclure un accord sur les chars: les Leopard 1 de Ruag se trouvant dans une casse en Italie du Nord devaient être remis en état par le groupe d'armement allemand Rheinmetall, payé par les Pays-Bas, pour finalement être exportés vers l'Ukraine. Après ce parcours en zigzag, le Conseil fédéral a interdit leur exportation, ce qui a durablement endommagé la confiance envers la Suisse en tant que lieu d'armement.

L'organe de contrôle interne a échoué

Rien n'indique que le manager valaisan et son supérieur Hannes Hauri aient été freinés ou contrôlés entre 2019 et 2022. Au contraire, le manager valaisan occupait des postes pour lesquels un organe de contrôle interne tire généralement la sonnette d'alarme: il aurait été responsable des achats, des ventes et de la formation des prix. «C'est la suppression de la séparation des pouvoirs. Il n'y a pas de mécanismes de contrôle», critique un membre de l'armée.

Des documents internes, dont Blick a eu connaissance, critiquent également Hannes Hauri, le supérieur du responsable valaisan: «Nous n'avons pas trouvé de procès-verbal ou de mail de confirmation», peut-on lire dans une note. Il est reproché à Hannes Hauri un manque de direction et de documentation.

Le Contrôle fédéral des finances critique Hannes Hauri

Le Contrôle fédéral des finances (CDF) est encore plus explicite: dans un rapport publié au printemps, il critique le fait que Hannes Hauri ait signé avec le manager valaisan une «convention de résiliation inutile». Et l'on peut lire ailleurs que Ruag a dû payer du jour au lendemain un loyer trois fois plus élevé dans le nord de l'Italie.

Lorsque le Ministère public allemand chargé de la lutte contre la corruption est intervenu, Ruag a fini par licencier le manager valaisan au printemps 2022. Malgré cette décision, Ruag ne l'a pas placé sur une liste noire et voulait continuer à faire affaire avec lui — par le biais d'une entreprise externe. 

Hannes Hauri a en revanche été «promu latéralement», comme le déclare un membre de l'armée: «On lui a retiré ses responsabilités sans perdre la face». Sa carrière n'a pas été affectée: la semaine prochaine, le 1er octobre, il prendra son nouveau poste de CEO de SwissP Defence AG. Soit la fabrique fournisseuse de munitions à la division Ruag Ammotec, vendue en Italie depuis.

Une mine d'or pour les juristes

Le DDPS ne souhaite pas s'exprimer sur ces accusations et renvoie aux procédures en cours. En plus de la procédure pénale allemande contre le manager valaisan, son épouse et d'autres partenaires commerciaux, il existe quatre enquêtes qui coûtent des millions de francs aux contribuables suisses. La première enquête du CDF a déjà mis en évidence des dysfonctionnements massifs. Trois autres enquêtes sont encore en cours. L'une concerne l'étude zurichoise Niederer Kraft Frey, qui a encaissé plusieurs millions de francs pour son mandat. Une autre examine la gestion et le pilotage de Ruag. Enfin, la Délégation des finances se penche sur d'éventuels aspects de fraude.

La cheffe du DDPS Viola Amherd présentera bientôt un successeur au président sortant du conseil d'administration de Ruag, Nicolas Perrin. Ce dernier est le beau-frère de la conseillère personnelle de Viola Amherd, Brigitte Hauser-Süess. On ne sait pas combien de temps Remo Lütolf pourra se maintenir à la tête de Ruag International, étant donné que lui aussi, comme Viola Amherd, était au courant des accusations depuis 2019.

Blick a demandé à toutes les personnes concernées de prendre position. Personne n'a voulu s'exprimer. La présomption d'innocence s'applique à tous.

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