La crise énergétique, le renchérissement et l’initiative sur l’élevage intensif – sur laquelle la Suisse votera le 25 septembre: ces dernières semaines, Fabrice Zumbrunnen est sollicité sur plusieurs fronts. Au siège principal à Zurich, le patron de Migros explique à Blick quels sont ses plans d’urgence et comment il compte s'y prendre pour aider le plus grand employeur privé de Suisse à passer l'hiver.
En tant que propriétaire, qu’est-ce qui vous inquiète le plus: le manque de gaz ou les coupures de courant?
Une panne d’électricité de plusieurs jours m’inquiète davantage que le renchérissement du gaz, voire sa disparition. Pour une raison simple: nous nous chauffons à la géothermie.
Vous habitez à La Chaux-de-Fonds…
… où il peut faire un froid glacial en hiver. C’est aussi parce que c’est plus durable que nous avons changé notre système de chauffage il y a deux ans, en passant du gaz à l’utilisation de la géothermie au moyen d’une pompe à chaleur.
Une pompe à chaleur a besoin d’électricité. Sans elle, on a froid. Avez-vous déjà préparé vos gros pulls?
La géothermie rend aujourd’hui mon ménage dépendant des augmentations du prix de l’électricité. Si l’électricité est coupée plus longtemps, il fera froid dans la maison. Dans ce cas, je mettrait un gros pull.
Est-ce que ça va être si grave?
Je ne pense pas. C’est pourquoi je n’ai pas fait de réserves supplémentaires de bougies, de piles ou de générateur diesel, pour anticiper votre question.
Si vous ne vous trompez pas!
D’après les experts, des coupures de courant de plusieurs jours sont peu probables. Nous devrions rester mesurés et avoir confiance dans le fait que toutes les parties concernées feront tout pour éviter ce scénario.
En tant que Président de la Direction générale de Migros, vous êtes également confronté à un défi de taille car le géant orange possède de nombreux sites industriels...
La pénurie de gaz et d’électricité m’occupe pratiquement tous les jours, ainsi que notre cellule de crise. Certaines de nos installations utilisent encore du gaz, comme notre grande boulangerie Jowa. À l'inverse, dans d’autres entreprises, nous avons investi pour réduire notre dépendance au gaz. Elsa, notre production laitière, est passée du gaz à un système de chauffage à pellets. Nous examinons désormais les cas où une conversion serait judicieuse et où nous pouvons l’accélérer.
Comment Migros contribue-t-elle à réduire la consommation d’électricité?
Bien entendu, nous réfléchissons aussi à la manière dont nous pouvons contribuer à la réduire. De manière pragmatique, nous avons déjà pris de nombreuses décisions, comme par exemple de renoncer aux illuminations de Noël.
Comment choisissez-vous l'ordre de priorité pour les industries Migros lorsque vous recevez moins de gaz ou d’électricité?
Migros est d’importance systémique parce que nous avons une responsabilité dans l’approvisionnement du pays. Même en cas de panne de courant, nous devons disposer de suffisamment de denrées alimentaires. S’il y a moins de gaz et d’électricité, nous devons réduire les temps de production et décider de ce qui doit être produit en priorité, et de ce qui doit être fabriqué en moindre quantité - voire plus du tout.
Pouvez-vous donner un exemple?
Prenons notre grande boulangerie Jowa. Au lieu de produire de nombreuses sortes de pain, nous n’en produirons peut-être que cinq. Comme les machines ont moins besoin d’être nettoyées et réglées, nous pourrions fournir suffisamment de pain en termes de quantité, comme si nous n’avions pas de restrictions. L’assortiment de pâtisseries pourrait par exemple être fortement limité, car il n’est pas vital. Ces considérations peuvent être appliquées à toutes les gammes de produits.
Alors les lumières ne s’éteindront pas cet hiver dans l’industrie, les magasins de bricolage et les parcs de fitness?
Il peut y avoir des coupures de courant de quelques heures. Des restrictions dans l’offre aussi. Une coupure de courant d’une semaine? Dans ce cas, toute la société cesserait tout simplement de fonctionner.
Quelles sont les conséquences d'une panne de courant pour vos magasins?
Si nous n’avons pas de courant pendant quelques minutes, nous pouvons pallier cette situation, de sorte que les clients ne le ressentent pas. Si la panne dure deux à trois heures, de nombreux produits peuvent encore être sauvés. Ce qui ne serait plus commercialisable, c’est par exemple le poisson du rayon frais. Si nous n’avons pas assez d’électricité pendant la journée, nous fermons des filiales.
Combien de magasins seraient concernés par ces fermetures?
Si, en raison d’un contingentement, nous ne recevons plus que 80% de l’électricité, nous devrons nous restreindre. En cas d’urgence, nous devrons adapter les heures d’ouverture, c’est-à-dire ouvrir moins longtemps ou même fermer certaines filiales. Cela permet de réduire la consommation d’électricité, car les caisses, les rayons réfrigérés, l’éclairage, les escaliers roulants et les ascenseurs sont arrêtés. Mais nous garderons toujours suffisamment de magasins ouverts pour assurer l’approvisionnement de la population. Il est certain que nous ne fermerons pas de magasins s’il n’y a qu’une seule Migros dans une commune donnée.
Les ménages ne sont pas concernés par les restrictions. Les particuliers doivent-ils économiser l’énergie pour que l’économie puisse continuer à produire?
Tout le monde devrait apporter sa contribution. Si les ménages privés font des économies d'énergie, par exemple en réduisant la température ambiante, en remplaçant l’éclairage par des LED, en faisant fonctionner le lave-vaisselle en mode éco la nuit, nous éviterons certainement le pire. Un point important à garder à l'esprit: nous ne devons pas opposer les entreprises et les ménages privés.
Les coûts de l’électricité crèvent le plafond dans de nombreux secteurs de l'économie et dans un grand nombre de ménages. Chez Migros aussi?
Nous aussi, nous sommes aujourd’hui touchés par l’explosion des prix de l’électricité. Que ce soit du côté de l’achat sur le marché libre ou en tant que locataire d’immeubles. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des offres qui sont plusieurs fois plus élevées qu’il y a quelques années.
Répercutez-vous les coûts supplémentaires sur votre clientèle?
Pour l’instant, Migros supporte la hausse des coûts de l’énergie. Nous voulons épargner nos clients le plus longtemps possible. Nous n’avons d’ailleurs augmenté les prix que plusieurs mois plus tard, lorsque la flambée des coûts a commencé ce printemps.
En Suisse, l’inflation est de 3,4%. Où se situe le renchérissement chez Migros?
Chez nous, le renchérissement est actuellement d’un peu plus de 2% par rapport à l’année précédente. Rappelons qu’en avril, lorsque les prix ont explosé partout, nous avions encore un renchérissement négatif de 0,8%.
La hausse des prix est-elle actuellement visible dans les rayons des magasins?
Certaines catégories de produits comme les pâtes ont augmenté plus fortement, tandis que les prix des fruits et légumes n’ont augmenté que de 1% en moyenne. Pour les produits laitiers et la viande, on paie désormais en moyenne 3% de plus.
Vos clients vous font-ils savoir que le renchérissement les inquiète?
Depuis quelques semaines, nous recevons de plus en plus de réactions critiques de la part de nos clients concernant la hausse des prix. Mais ils demandent aussi si la situation peut encore empirer. Il est très difficile de faire des prévisions. Nous espérons que nous aurons bientôt atteint le pic et que les prix se stabiliseront avant de revenir à la normale.
Les consommateurs ont-ils changé leur comportement d'achat?
Pour la première fois, nous constatons que les clients modifient leur comportement d’achat et se tournent de plus en plus vers des articles moins chers plutôt que vers des produits haut de gamme ou de la viande bio. En outre, ils achètent davantage d’articles en promotion.
L’initiative contre l’élevage intensif va-t-elle changer nos habitudes d’achat et d’alimentation?
Nos habitudes alimentaires changent lentement et il y a des tendances. Je ne pense pas que la population veuille se laisser dicter d’en haut ce qu’elle doit consommer. Cela ne fonctionne pas en Suisse. Même Migros laisse toujours le choix aux clients de se tourner vers la viande bio, la viande M-Budget ou les substituts de viande.
Les porcs et les poulets doivent avoir plus d’espace, être élevés en plus petits groupes, pouvoir sortir en plein air. C’est une demande légitime.
Le bien-être des animaux est très important pour nous. Nous nous efforçons déjà aujourd’hui de produire nos produits carnés de la manière la plus durable possible. Au cours des dernières décennies, nous avons fait des progrès considérables dans ce domaine. En comparaison internationale, la Suisse est aujourd’hui pionnière en matière de bien-être animal: par exemple, nos exploitations sont nettement plus petites que dans les autres pays européens. Cette initiative est inutile et ne mène à rien.
Si l’initiative était acceptée, quelles seraient les conséquences pour Migros?
Selon une étude de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse, le degré d'auto-approvisionnement de la Suisse passerait de 58 à 5% pour le poulet en cas d’acceptation de l’initiative. De 56 à 20% pour les œufs. Tandis que pour la viande de porc, il passerait de 92 à 50%. Les conséquences seraient donc massives. La sécurité alimentaire, tant vantée lors de la crise Covid, ne serait plus garantie si nous n’avions plus que du bio, comme le demande l’initiative.
Migros a une énorme industrie de transformation de la viande et de la volaille…
… c’est pourquoi nous serions fortement impactés si le peuple déposait un «oui» dans l’urne. Cela ne vaut pas seulement pour nous, mais pour tout le commerce de détail, l’industrie de transformation, le commerce de gros, la gastronomie et l’économie agricole. Seule une entreprise sur dix est bio. Nombre de mes amis agriculteurs sont très frustrés par cette initiative.
Frustration que l'on retrouverait également chez les clients, car les prix dans les magasins augmenteraient alors massivement?
Nous voyons déjà que les gens économisent à cause du renchérissement et qu’ils se tournent vers une viande moins chère avec le standard IP-Suisse au lieu de la qualité bio. Il n’y aurait plus d’alternatives. Mais il est clair que nous pouvons faire de nouveaux progrès dans l’agriculture et que nous pouvons encore mieux expliquer ce que nous faisons déjà.
(Adaptation par Quentin Durig)