Festivals en période de pandémie
La scène culturelle est-elle en train de se réinventer ?

Depuis le début de la pandémie, fini les grands festivals. Et les salles de concert pleines à ras bord ne sont plus qu'un lointain (et suintant) souvenir. Mais le monde de la culture n'a pas dit son dernier mot: bienvenue dans l'ère des petits festivals.
Publié: 24.08.2021 à 15:50 heures
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Lors du petit festival thurgovien, le chef d'orchestre Manuel Kellerhals du Kabuki Joe réchauffe le public.
Photo: Steve Hadorn
Martin Rupf, Daniella Gorbunova (adaptation)

De la boue jusqu'aux chevilles, des canettes de bière qui traînent et un groupe de rock qui chauffe le public: Manuel Kellerhals, chanteur de Kabuki Joe, hurle à tue-tête. «C'est trop cool de revenir sur scène après un an sans concerts. Vous êtes le meilleur public du monde!»

Ces phrases sonnent comme des réminiscences du monde d'avant. En effet, à Egnach (TG), dans le paisible hameau de Fetzisloh, l'Openair Beer&Bands a attiré une centaine de visiteurs en peine de bières renversées et de basses.

Et l'événement thurgovien n'est pas le seul de son genre dans nos contrées. Après des mois de restrictions, les gens ont envie de faire la fête. Il n'est donc pas surprenant que les petits événements culturels créatifs, le plus souvent en plein air, connaissent un véritable boom. S'agit-il d'un simple phénomène de mode, ou sommes-nous en train d'assister à une petite révolution culturelle? Délaisserons-nous durablement les grands événements commerciaux au profit du plus petit et plus privé?

«Nous avons besoin de ces petits événements»

Alex Flach, de Zurich, est bien versé dans le monde festivalier. «Je n'ai absolument rien contre les petits événements culturels. J'y étais moi-même hier, c'est pourquoi ma voix est si rauque», dit-il en riant. Ces événements ne sont pas une concurrence pour les grands festivals, selon lui; ils sont plutôt les bienvenus par les temps qui courent, et même nécessaires. Alex Flach n'a rien non plus contre les fêtes illégales, ou raves : «De tels événements sont également nécessaires, parce qu'ils forment un biotope riche en nutriments pour une culture diverse et, surtout, nouvelle».

Alexander Bücheli, porte-parole de la Commission des bars et clubs suisses (CBSC), voit également l'émergence de petits festivals et d'événement festifs privés d'un bon oeil: «Je ne crains pas qu'à l'avenir, les fêtards et les noctambules se retrouvent uniquement lors d'événements privés. Ce que je trouve presque plus intéressant, c'est que la pandémie ait montré de manière impressionnante à quel point le besoin de culture et de convivialité est grand». Il espère que cela sera également reconnu en politique et qu'une «politique d'habilitation» sera de plus en plus pratiquée. «Cela signifie autoriser plus de choses, des heures d'ouverture plus longues, moins de restrictions», espère Alexander Bücheli.

«Les gens s'adaptent simplement aux conditions»

«Je ne suis pas surpris que les manifestations culturelles privées et de moindre envergure soient en plein essor en ce moment», déclare Guy Schwegler, sociologue à l'Université de Lucerne. «Avec la crise, les gens s'adaptent simplement aux conditions». Dans le jargon technique, on appelle cela le «coping social», c'est-à-dire l'adaptation à une situation de vie difficile. Ainsi, selon le sociologue, la définition de ce qu'est le «privé» aurait évolué avec notre situation sanitaire: «Tout ce qui est de l'ordre du privé est vu d'un meilleur oeil aujourd'hui, pour ainsi dire. Ceux qui se sont repliés entre leurs quatre murs étaient qualifiés de solidaires».

Ces «liens faibles» qui nous manquent

Marta Kwiatkowski, de l'Institut Gottlieb Duttweiler, tient à nuancer le phénomène. «Le fait que beaucoup de choses se déroulent en plus petit et de manière plus privée en ce moment est, premièrement, un peu une prescription». Deuxièmement, selon elle, le fait que «la plupart des participants à ces petits événements entretiennent des relations presque familiales ou, du moins, évoluent dans le même milieu» irait à l'encontre du principe même d'une «tendance». Dans la théorie des réseaux, on parle de «liens forts», c'est-à-dire de relations étroites. Et ce qui manque aux gens depuis le début de la pandémie, selon Marta Kwiatkowski, c'est justement l'autre revers de la médaille sociale - ou les «liens faibles», ceux que l'on tisse en soirée avec des inconnus, par exemple. Ainsi, malgré le chaleureux prix de consolation que sont les petits événements, on manque d'espace «où l'on rencontre de nouvelles personnes, où l'on cultive des connaissances éphémères et où il y a beaucoup plus de place pour les coïncidences, les nouvelles idées et l'inspiration.»

Il n'y a en effet pas eu beaucoup de rencontres fortuites lors du petit festival en Thurgovie - la plupart des gens se connaissaient. Et comme le montre un sondage: si l'Openair St. Gallen, pas loin de là, a lieu à nouveau l'année prochaine, beaucoup s'y rendront de ce pas - mais beaucoup ont également l'intention de se réunir à nouveau sur le terrain de l'arboriculteur Pascal Stacher. Morale de l'histoire: plus on est de fous, plus on rit - il y a de la place pour tout le monde.

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