Fabrice Midal, philosophe
«Le secret du bonheur, c’est de ne pas avoir peur de l’ombre»

Le philosophe Fabrice Midal a donné une conférence en novembre dernier au Lausanne Palace en lien avec son dernier livre, «Le jeu des 5 portes». Comment mieux se connaître? Qui suis-je? Quelles sont mes forces? Il répond dans «L'illustré».
Publié: 05.01.2025 à 14:30 heures
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Dernière mise à jour: 03.02.2025 à 09:44 heures
Indissociable de ses lunettes à monture jaune, le philosophe explique que cette couleur lui colle à la peau puisqu'elle symbolise son besoin de donner.
Photo: KEYSTONE
Isabelle Cerboneschi
L'Illustré

Fabrice Midal est l’un des philosophes contemporains les plus célèbres. Et pas seulement grâce à ses lunettes jaunes, qui sont bien plus qu’un gadget. Ce qui fait le succès de ses livres, de ses cours de méditation Reso et de son émission Dialogues sur YouTube et en podcast (15 millions de vues), c’est la clarté de son propos. Il a l’élégance de nous guider pour voir plus clair en nous et autour de nous avec des concepts compréhensibles qu’il explique dans ses ouvrages devenus des best-sellers: «La théorie du bourgeon», «Foutez-vous la paix!», «Les 5 portes», notamment. Ses préceptes n’ont pas pour but de nous vendre un bonheur en continu: il a l’honnêteté de rappeler que cet état est impermanent, comme il l'explique à «L'illustré».

Sa théorie des 5 portes est une méthode pour se connaître et apprendre à s’ancrer dans un présent qu’il qualifie de vivant. Chaque porte correspond au fond de notre caractère et aux atouts que nous possédons. Un matériau de base à faire évoluer. La porte rouge correspond au bonheur d’entrer en relation, la bleue au bonheur de la clarté, la blanche au bonheur d’être pleinement confiant, la jaune au bonheur de la plénitude et la verte au bonheur d’agir. Chaque porte a sa part lumineuse et sa part d’ombre: laquelle choisissons-nous?

Votre livre Le jeu des 5 portes commence par ce chapitre: «Qui es-tu?» Qui êtes-vous Fabrice Midal?
On se définit souvent par sa fonction sociale et deux ou trois autres caractéristiques. L’enjeu de mon travail et de ce livre, c’est de se connaître comme on découvre un paysage: on n’en a jamais fait le tour. Qui nous sommes est une énigme et il faut se connaître non pas pour que l’énigme disparaisse, mais pour qu’elle prenne plus de densité. Les gens ont l’impression que se comprendre, c’est ouvrir un tiroir et décrire ce qu’il y a dedans, or nous ne sommes pas figés. Pour répondre à votre question, ce qui m’anime, c’est tout ce qui peut aider les gens à trouver comment faire pour que leur vie soit plus belle.

Comment avez-vous pris connaissance de la théorie des 5 portes?
L’un des fils qui m’y a mené, c’est cette devise de Socrate: «Connais-toi toi-même.» Qu’est-ce que veut dire «se connaître»? Pour les philosophes, c’est connaître ses limites et apprendre à être libre. Le modèle que j’ai développé m’a été inspiré par les enseignements du monde tibétain. Quand on regarde un mandala, on voit quatre portes et un centre. Savoir qui l’on est, c’est découvrir son centre et la périphérie à partir de laquelle on trouve son harmonie et sa structure. J’ai été initié à ce modèle, qui intègre les différentes facettes de l’humain, il y a une trentaine d’années et je l’enseigne depuis.

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C’est parce que j’aime la complétude que le manque me frappe aussi fortement
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Quand vous avez pris conscience que votre porte était la jaune, comment avez-vous transformé cette connaissance en force?
Quand on m’a dit que j’étais porte jaune, je ne l’ai pas cru. On m’expliquait qu’au fond de moi il y avait un sens de richesse, de splendeur et que j’aimais donner, or ce que j’expérimentais à ce moment-là – j’avais 20 ans – c’était le contraire. J’avais un sentiment de manque et de pauvreté abyssale. Je ne voyais que l’aspect fermé de la porte et pas du tout le monde magique sur lequel elle ouvrait. Découvrir que c’est parce que je n’avais pas confiance dans cette richesse première, dans cette manière de donner, de créer, que je vivais ce sentiment de pauvreté fut l’un des moments les plus forts de mon existence. Ma vie a changé à partir de là, parce que j’ai surmonté une forme de malédiction. J’ai découvert à la fois que je me trompais et qu’il y avait un mode d’emploi. Désormais, quand j’éprouve un sentiment de pauvreté, je vois tout de suite ce qui manque et ce que l’on pourrait faire pour que la situation soit plus comblée. C’est parce que j’aime la complétude que le manque me frappe aussi fortement. En découvrant ma porte, j’ai découvert aussi la logique des autres portes.

Est-ce pour vous souvenir que vous êtes porte jaune que vous portez des lunettes jaunes?
Oui. Il y a une dizaine d’années, je sentais que malgré tout j’avais une réticence face à la dimension d’abondance de la porte jaune. J’ai mis des lunettes jaunes pour m’autoriser à être ce que je suis et sentir que c’est à partir de là que l’on commence à être plus heureux et plus libre. A un moment, il est bon d’arrêter de s’en vouloir d’être qui nous sommes!

En faisant le test proposé dans votre ouvrage et en identifiant sa porte, on se sent déculpabilisé, car on découvre que ce qu’on a pu nous reprocher fait partie de notre être. Votre livre a-t-il été écrit dans le but de se libérer?
Déculpabilisant, c’est le mot-clé de tout mon travail. La psychologie, la religion, le management sont trop souvent culpabilisants. Mon travail consiste à montrer que l’on peut avancer en changeant notre regard, en se synchronisant avec soi-même et en découvrant l’ampleur qui nous habite et que l’on a méconnue. Quand on est porte blanche, on nous reproche d’être dans la lune alors qu’au fond, ce qu’on aime, c’est la paix. Quand on est porte bleue, on nous reproche d’être trop tranchants, alors que l’on a juste un désir ardent de comprendre… On parle de qualités et de défauts, comme si l’accomplissement humain était d’arriver à gommer les défauts. En réalité, nos défauts ne sont que l’autre face de nos qualités. Ils sont peut-être des aspects non reconnus, pas assez aimés de nous-mêmes. Le chemin ne consiste pas à les effacer mais à les comprendre, les transformer et les réintégrer.

«
On a l’impression que c’est mal d’être dans le passé et qu’il ne faut pas être dans le futur
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Quelle est la différence entre le moment présent et le présent vivant?
J’essaie d’interroger ces phrases apparemment spirituelles que tout le monde dit: «il faut lâcher prise», «il faut être dans le moment présent». Au lieu de lâcher prise, je propose de se foutre la paix, de consentir à ce qui est, pour un moment: il pleut, cela ne me plaît pas mais c’est comme ça. Et c’est pareil avec l’injonction d’être dans le moment présent. On a l’impression que c’est mal d’être dans le passé et qu’il ne faut pas être dans le futur. Or Proust montrait bien que le présent est présent grâce à toute la mémoire qui le nourrit et qui l’habite. Et heureusement qu’on anticipe le futur parce que sinon on serait désespéré, or l’espérance nourrit la vie. Je préfère parler du présent vivant parce que ce n’est pas statique. C’est un présent avec tout ce qu’il comporte de possibles, de ressources, d’ampleur. Tout ce qu’il contient du passé et comment il ouvre sur le futur.

La théorie des 5 portes est une pensée philosophique, mais c’est aussi une forme de spiritualité. Comment pourriez-vous la définir?
Je défends une spiritualité qui propose d’habiter concrètement nos existences, qui soit une réconciliation avec nos limites, avec notre finitude. La spiritualité, c’est entrer dans l’ampleur du présent, ouvrir notre cœur, assumer notre vulnérabilité et faire la paix avec notre finitude. C’est une spiritualité pleine de joie, parce que l’on est en accord avec la vie et que l’on se sent vivant. Je crois que la spiritualité, c’est accepter d’être vivant pour rien.

Ce que vous dites m’évoque une phrase d’Angelus Silesius: «La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit; sans souci d’elle-même, ni désir d’être vue.»
C’est étonnant que vous le citiez parce que je viens d’écrire un paragraphe sur lui dans mon prochain livre. La phrase de ce médecin et mystique allemand dit quelque chose de très important: la spiritualité apparaît au moment où l’on sort de la volonté de tout mettre dans des cases et qu’on entre dans cet émerveillement du vivant qui est vivant parce qu’il est vivant. La botanique va nous apprendre plein de choses sur la floraison de la rose, mais elle n’épuise pas le mystère de la rose. L’homme aussi devrait être sans pourquoi. C’est ça la magie de la vie.

Notre époque va à rebours de ce que vous prônez. Comment lutter contre une certaine forme de déshumanisation?
Aucune époque n’a été parfaite. Je suis convaincu que si le monde tient, c’est parce qu’il y a des gens qui font bien ce qu’ils font. Récemment, dans le métro, j’étais assis face à une dame qui m’a dit: «Je vous connais, j’écoute votre podcast!» Elle ne parlait pas parfaitement le français et l’on sentait qu’elle n’avait pas eu une vie facile. Elle m’a aussi dit que mes émissions l’aidaient beaucoup. Je lui ai demandé en quoi et elle m’a répondu: «Vous m’avez appris que, moi qui pensais que je ne comptais pour rien, eh bien, en réalité, ce que je suis compte.» J’aimerais que mon travail aide notre monde à aller mieux et que chacun compte là où il est.

Quel est le secret du bonheur selon vous?
Pour moi, le secret du bonheur, c’est de comprendre ce que dit le poète Rainer Maria Rilke: «Les dragons ne sont peut-être que des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux.» Le secret du bonheur, c’est de ne pas avoir peur de l’ombre, de rencontrer ce qui nous semble difficile et de pouvoir l’embrasser pour le transformer et pour trouver la lumière là où l’on croyait qu’elle n’était pas.

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.

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