Évolution d'un concept
Tout est parti d’une trahison: comment la neutralité suisse est née

L'histoire de la neutralité suisse commence en 1674 par une trahison: la Confédération laisse tomber ses voisins. Depuis, le concept est en constante mutation. Et aujourd'hui plus que jamais, dans le contexte de l'invasion russe de l'Ukraine, il est très discuté.
Publié: 16.04.2022 à 06:01 heures
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La neutralité suisse est sans cesse soumise à des changements au gré des bouleversements politiques.
Photo: imago images/Andreas Haas
Rebecca Wyss

La neutralité suisse commence par une promesse non tenue. Il y a 350 ans, l'armée française envahit la Franche-Comté, territoire historique de la Bourgogne. Il ne reste rien de l'ancienne puissance des ducs de Dijon, et la Bourgogne est promise à une défaite certaine. D'autant plus que la Confédération, qui lui a promis assistance militaire en cas d'attaque, décide brusquement de ne pas respecter son engagement et de ne pas intervenir.

C'est en effet en 1674 que la Confédération déclare pour la première fois officiellement: «(...) dass wir uns als ein Neutral Standt halten und wohl versorgen wollen!». Pour ceux qui ne sont pas à l'aise avec la nomenclature juridique en allemand du XVIIe siècle, cela signifie: ne pas se mêler des affaires des autres et veiller à notre propre prospérité. L'origine de la neutralité suisse réside dans ces quelques lignes, et non dans la postérité de la bataille de Marignan (1515), comme on le pense souvent.

Depuis, la Suisse s'est tenue à l'écart des soubresauts géopolitiques du continent. Au Congrès de Vienne de 1815 qui réorganise l'Europe post-napoléonienne, les grandes puissances européennes accordent à la Suisse le statut de «neutralité perpétuelle et armée». En 1907, la Convention de La Haye y ajoute des obligations: les États neutres ne doivent pas participer à des conflits armés, traiter tous les belligérants sur un pied d'égalité en ce qui concerne l'exportation de biens d'armement et ne pas mettre leur territoire national à la disposition de belligérants.

La neutralité, une question de définition

Tout ce qui va au-delà – y compris ce dont nous discutons aujourd'hui dans le contexte des sanctions contre la Russie – relève de la volonté politique. Le professeur d'histoire Sacha Zala constate pour CH Media que «la Suisse a fait de la neutralité une question de politique identitaire qui a développé une vie propre».

En d'autres termes, la définition de la neutralité ne cesse de changer. En 1945, le président de la Confédération Eduard von Steiger (1881-1962) déclare dans son allocution radiodiffusée que la Suisse a poursuivi «sa politique de neutralité éprouvée et revendiquée depuis des siècles, même pendant cette guerre» et a été «épargnée par les horreurs de la guerre». Le fait est qu'elle doit aussi sa liberté aux affaires conclues avec l'Allemagne nazie et surtout à la victoire des Alliés.

Ces affaires remonteront à la surface dans les années 1990, avec l'affaire de l'or nazi. Le secrétaire d'État américain Stuart Eizenstat fustigera la neutralité suisse en 1997: «Trop souvent, la neutralité a constitué une excuse pour éviter les considérations morales.»

Changement de cap: vers une «neutralité active»

C'est la Genevoise Micheline Calmy-Rey qui définira un changement de cap et une nouvelle conception de la neutralité. La conseillère fédérale chargée des Affaires étrangères défend dans les années 2000 le principe de «neutralité active», qui signifie que le pays doit s'efforcer activement de prévenir ou d'arbitrer les conflits dans le monde entier. En 2003, elle est la première représentante officielle d'un gouvernement étranger à franchir la ligne de démarcation entre la Corée du Nord et la Corée du Sud et à discuter avec le régime nord-coréen à Pyongyang. L'adoption des sanctions actuelles contre la Russie s'inscrit dans cette tradition.

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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