C’est l’histoire d’un ex-mari qui feuillette «Femina» par hasard, un jour de l’automne dernier. Celle qui a par le passé été sa femme présente son récit de vie sur deux pages, au cœur du magazine. En pleine campagne pour le Conseil des États, cette élue socialiste (PS) à l’Exécutif de Monthey (VS) se confie sur son passé de jeune réfugiée, «arrivée seule en Suisse à 22 ans pour fuir la guerre au Kosovo». Nulle mention de la présence de son ex — qui l’a mauvaise — à ses côtés.
Ainsi, Aferdita Bogiqi est accusée par celui qu’elle a quitté en 1997, Fadil Sylaj, d’avoir maquillé la vérité au profit d’une histoire revisitée pour faire pleurer dans les chaumières. Jusqu’à quel point une personnalité politique peut-elle transformer la réalité sans faillir à son devoir de transparence envers ses électeurs? Pour sa part, la socialiste assure que l’homme, qui lui rappelle un passé qu’elle aurait visiblement préféré oublier, souhaite lui nuire. Enquête.
«Seule», mais… mariée
Au fur et à mesure du portrait publié le 8 octobre dernier par nos confrères, l’image d’une jeune femme venue se construire en Suisse au crépuscule du XXe siècle se dessine. «M’éloigner de mes proches fut une réelle déchirure», lâche l’élue. Les formules ambiguës autour du champ lexical de l’isolement s’enchaînent. À propos de la Suisse, Aferdita Bogiqi parle d’un pays qui lui «inspirait un grand sentiment de sécurité, surtout en tant que femme qui se retrouvait comme seule au monde».
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Mais voilà. Le 25 décembre 2023, jour de Noël, débarque à la rédaction de Blick un individu muni d’une clef USB — et d’une certaine amertume. Fadil Sylaj a été marié avec Aferdita Bogiqi du 29 octobre 1993 au 13 février 1997. Il amène avec lui des preuves minutieusement compilées.
Premier constat: Le 5 septembre 1995, le couple entre ensemble sur le territoire Suisse. Celle qui deviendra conseillère municipale n’est donc pas arrivée seule. «On s’est connu début de l’année 1993, par des amis en commun», se rappelle Fadil Sylaj, aujourd’hui remarié, installé à Sion, et qui n’a jamais revu sa première femme depuis leur divorce. Il est catégorique: «Elle a créé une histoire — presque un roman — très touchante pour les votes.»
Confrontée au bout du fil puis par e-mail, Aferdita Bogiqi explique pourquoi cet ancien partenaire a été gommé de son histoire. Elle ajoute que le père de son fils, un Montheysan rencontré après sa première union, ne figure pas non plus dans le papier de «Femina». Mais entre affirmer être arrivée seule, et ne pas thématiser un sujet, il y a une différence.
Un pansement post rupture?
La Municipale du parti à la rose admet qu’au moment de son arrivée en Suisse, une personne était en effet à ses côtés. «Je le considérais plutôt comme mon fiancé, car je le connaissais à peine. Un mariage avait été conclu après qu’il a beaucoup insisté. Un rendez-vous chez l’office de l’État civil avec pour témoins les deux employés qui se trouvaient là par hasard», allègue Aferdita Bogiqi. Son ex-mari conteste, arguant qu'elle avait fait le premier pas, accepté tout de suite la demande en mariage, et que les fiançailles avaient duré «quelques mois», avant l'union officielle.
L'élue enchaîne, racontant une rencontre un peu arrangée par des connaissances, après un «vrai et long chagrin d’amour [qu’elle] avait vécu avec un autre garçon». L’ex-candidate à la Chambre haute ne prend pas de gants: «Je n’avais jamais vécu avec lui avant d’arriver en Suisse et je ne suis jamais tombée amoureuse de lui. Mon souhait de séparation est donc arrivé très vite, mais cela a pris du temps en raison des démarches longues et coûteuses.»
Elle lance en outre que «ce Monsieur», comme elle l’appelle, «ne la connaît pas» et veut «lui nuire de façon gratuite, peut-être frustré par la séparation». Il serait plus juste de dire qu’il ne la connaît plus. Et c’est bien là le problème de l’image véhiculée par le portrait de la Municipale, ainsi que par d’autres aspects de sa bibliographie, contestés par Fadil Sylaj.
Monthey, un choix d'abord imposé
Ces éléments ne sont pas faux, mais pas complètement exacts non plus. Une sorte de jeu subtil avec les mots. Ainsi, on l'a vu, arriver seule dans un pays et se sentir seule dans une relation qu’on souhaite quitter ne traduisent pas la même réalité.
Autre exemple: une tournure de phrase équivoque résume l’amour de l’élue municipale pour sa ville. «En 1995, je me suis ainsi installée à Monthey, sans doute parce que les montagnes étaient mon paysage quotidien», lit-on, toujours dans «Femina». L’ex-mari corrige: «En 1995, l’Office fédéral des réfugiés nous a distribué en Valais.» D’abord en foyer, ils finissent par être placés dans un petit appartement à Monthey.
L’élue se défend de tout double sens, en citant l'un de ses posts Facebook où elle parle de «mariage de raison». Cette ville, qu’elle aurait pu quitter assez rapidement, elle en est «tombée amoureuse» et l’a ainsi choisie «un beau jour, alors que j’y habitais déjà». Un non-choix devenu un choix, en somme.
Flou autour des diplômes
Deux diplômes obtenus par l’élue sont également pointés du doigt par l’ex-mari. Premièrement, un bachelor en science économique à Pristina, passé entre 1992 et 1995, mentionné sur le site du Parti socialiste valaisan. «À l’époque, les licences s’obtenaient en quatre ans, souligne le Sédunois d’adoption. Quand on est partis en 1995, elle n’avait pas fini.»
La Montheysanne réfute. «Mes examens réussis et études suivies (et pas sanctionné par un diplôme) sont l’équivalent d’un Bachelor actuel dans cette branche-là, étant donné que j’ai quitté l’Université en cours de route et je suis venue en Suisse.» Sauf que la Confédération, on le verra, ne considère pas ses études universitaires comme l’équivalent d’un bachelor.
Entre 1996 et 1998, elle indique par ailleurs sur la même page l’obtention d’un CFC à Montreux. «En 1996, on habitait le même logement et elle ne faisait pas ça, en plus on avait un permis N, donc on ne pouvait quasiment pas travailler», lance l’ex-mari.
Blick a pu consulter des pièces qui montrent, là encore, un petit pas de côté. Aferdita Bogiqil a obtenu un diplôme de commerce dans une école privée basée à Montreux, en 1998. En 2003, l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie lui adresse un courrier. Il stipule la chose suivante: «Le certificat délivré le 18 septembre 1995 par la Faculté d’économie de l’Université de Pristina, compte tenu de votre formation et pratique professionnelles, est équivalent au certificat fédéral de capacité d’employé de commerce.»
En 1998, c’est donc un diplôme que l’élue a obtenu, qui pouvait être considéré par les employeurs, à l'époque, comme équivalent à une formation duale. Puis la Suisse, cinq ans plus tard, considère les études entreprises au Kosovo comme un CFC. À noter que l’édile a, plus tard, entrepris de nouvelles formations, et obtenu notamment un master en travail social de la HES-SO.
«Que fera-t-elle au pouvoir?»
D’autres éléments sont contestés par Fadil Sylaj, comme la participation de sa première femme à une équipe de handball au Kosovo, qu’il nie, ou les motifs du licenciement de son ex-beau-père. Aferdita Bogiqil et lui ont brièvement échangé sur Facebook Messenger après la parution de l’article de «Femina», via le compte de l’épouse actuelle du Sédunois.
Sur la messagerie en ligne, ce dernier demande pourquoi l’élue nie le temps passé ensemble. «La vérité aurait dû être dite. Il n’y a pas de honte. Ou cette époque (ndlr: leur arrivée commune en Suisse) aurait dû être omise pour ne blesser personne.»
Heurté d’avoir été gommé de la vie de cette femme — «c'est aussi une partie de ma vie!» —, il interroge la compatibilité de son attitude avec ses fonctions politiques. «Si elle arrive à effacer une partie de sa vie, je me demande ce qu'elle est capable de faire au pouvoir?»
Quitter un homme était «rare et mal jugé»
Aferdita Bogiqi a une tout autre vision de son parcours. «Je constate que des personnes ne sont pas confortables avec le fait que d’autres s’engagent et réussissent», tance-t-elle au bout du fil. Sa vie, affirme-t-elle, elle l’a menée seule. Dans une communauté où les femmes n’étaient pas libres, quitter un homme était rare et mal jugé.
«J’ai été, comme à d’autres moments de ma vie, très courageuse de prendre cette décision», assène la conseillère municipale. À propos de «ce Monsieur», son analyse est claire. «Cet homme n’a jamais rien fait pour m’aider dans mes démarches d’intégration en Suisse. En revanche, j’ai dû me battre pour m’affranchir du contrôle qu’il voulait exercer sur ma liberté de mouvement et de vie de femme et citoyenne responsable et engagée.»
Deux fronts irréconciliables
Un contrôle qui s'explique par la relation que sa femme d'alors avait entamée, encore mariée, avec un Montheysan, assure Fadil Sylaj. «Je lui ai demandé deux ou trois fois où elle était allée, ainsi qu'à ses amis. Les gens qui nous connaissent savent bien ça. Je voulais être sûr des faits avant de la confronter», explique-t-il.
L'élue à l'Exécutif de Monthey conclut l'échange en affirmant son autonomie. «J'ai obtenu mes permis de séjour seule, ma naturalisation seule, j’ai cherché du travail seule, décidé et réussi mes études seule... Je me suis construite ni grâce, ni avec un homme quel qu’il soit!»