Erreurs dans les tirs de loups
«La pression politique exercée sur les gardes-faune pour tirer un maximum de loups est absurde»

Alors que des loups et des lynx ont été tirés par erreur dans les cantons du Valais et des Grisons, on parle de «dommages collatéraux» de la régulation du loup. Les défenseurs des animaux rappellent la grande complexité, souvent sous-estimée, de la situation.
Publié: 28.11.2024 à 18:50 heures
«Je ne pense pas qu’il soit utile d’accuser une personne en particulier, tempère Anouck Strahm, coprésidente de l'association Middleway. En revanche, le nombre d’erreurs révèle aussi la complexité de ces tirs, ainsi qu’un manque de compétences.»
Photo: Keystone
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

La régulation du loup s'avère plus compliquée que prévu. Plus de 40% des spécimens abattus en Valais cet hiver n'appartenaient pas aux meutes ciblées par l'opération de régulation. Près d'un loup sur deux a donc été tiré par erreur, ainsi que le révélait Blick le 24 novembre. 

Sur le plateau de Forum, Nicolas Bourquin, chef du Service de chasse, de la pêche et de la faune en Valais, évoquait des «dommages collatéraux», des erreurs inhérentes au cadre légal: «C'est-à-dire qu'au moment du tir, il est impossible de déterminer précisément quel loup est abattu, quand bien même il se trouve dans le périmètre autorisé.» 

À peine quelques jours plus tard, un garde-chasse grison tirait accidentellement trois jeunes lynx, en pensant qu'il s'agissait de loups, avant de se dénoncer aux autorités. Une enquête pénale vient d'être ouverte, afin que les conditions des tirs soient analysées plus en détail. 

Une mission complexe qui demande des compétences

Comment réagissent les défenseurs des animaux à ces erreurs? Par un mélange de frustration et de tristesse, face à une situation dont la complexité leur semble avoir été largement sous-estimée et dont la biodiversité fait désormais les frais. 

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La pression politique exercée sur les gardes-faune pour abattre le plus grand nombre possible d’animaux est 'absurde' et peut expliquer la survenue de graves erreurs
Sophie Sandoz, porte-parole de WWF
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Anouck Strahm, coprésidente de l'association MiddleWay, qui lutte pour une coexistence paisible entre troupeaux, humains et loups, n'est pas réellement étonnée: «Je ne pense pas qu’il soit utile d’accuser une personne en particulier, tempère-t-elle. L’erreur est humaine et la politique du 'zéro tir' n’est pas imaginable. En revanche, le nombre d’erreurs révèle aussi la complexité de ces tirs, ainsi qu’un manque de compétences certain. Si l’on a un doute, on s'abstient. Cela ne suggère-t-il pas le besoin de réfléchir à d’autres conditions et obligations de compétences spécifiques, pour avoir l’autorisation de tirer un loup? Et surtout de trouver une autre politique de gestion et, le cas échéant, de régulation? Celle-ci n'est visiblement pas une grande réussite sur beaucoup de points.»

Une pression politique «absurde» pour les gardes-faune

Entre-temps, la pétition lancée par le WFF, exigeant un arrêt immédiat des tirs de loups dans le Parc national suisse, a déjà obtenu 37'927 voix et s'approche de son objectif des 50'000 signataires. Aux yeux de l'organisation, «la pression politique exercée sur les gardes-faune pour abattre le plus grand nombre possible d’animaux est absurde» et peut expliquer la survenue de graves erreurs. 

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On ne peut garantir les conséquences d’un tir de loup, il existe plein de variantes impossibles à maîtriser
Anouck Strahm, coprésidente de l'association MiddleWay
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«Il existe des tâches bien plus importantes que – comme dans le cas des Grisons – d’abattre les trois derniers jeunes loups restants sur les huit avec des moyens techniques durant la nuit, affirme Sophie Sandoz, porte-parole de l'organisation de défense de l'environnement. Le travail important et de grande qualité des gardes-faune ne doit pas être davantage mis sous pression par une situation provoquée par la politique. Si même les gardes-faune professionnels sont – de manière compréhensible – dépassés par cette pression, il est temps de retirer la tache d’abattage des loups aux chasseurs.» 

Pas une réelle solution pour les agriculteurs

Ces erreurs dénotent-elles également un manque de compréhension de l'espèce? Sans doute, estiment nos interlocutrices. Pour Anouck Strahm, il est surtout mensonger de présenter la régulation actuelle du loup comme une solution certaine contre les attaques de troupeaux: «On ne peut garantir les conséquences d’un tir de loup, il existe différentes variantes impossibles à maîtriser. En fait, on joue avec le vivant, alors qu’on ne peut le maîtriser.» 

Selon son analyse, la nature s'apparente à un grand échiquier dont on ne cesse de déplacer les pièces sans vraiment connaître les règles du jeu. En d'autres termes, les conséquences des tirs ne peuvent pas toujours être prédites, au risque de déstructurer un équilibre naturel très fragile: «Parfois, ces tirs résolvent des problèmes de manière temporaire pour les agriculteurs, mais ils peuvent aussi empirer la situation, et c'est plutôt cela qui s'observe», poursuit Anouck Strahm. 

«Il faut aller plus loin dans la compréhension du loup»

Dans le but d'éviter les bévues et voir la situation s'améliorer de façon concrète, notre intervenante souligne la nécessité de trouver des solutions plus efficaces, qui devront inévitablement s'inscrire sur le long terme:

«Il faut du temps pour connaître les loups sur un territoire donné, durant plusieurs années, pour mieux saisir les différents comportements de la meute et, plus spécifiquement, des individus, estime-t-elle. Avec les naissances, les morts et les dispersions naturelles, les cartes sont brassées régulièrement: si l'on y rajoute une mortalité importante par cause humaine, on ne pourra plus rien y comprendre, ce qui rend encore plus difficile d''utiliser' nos connaissances pour la protection des troupeaux.» 

Notre intervenante considère ainsi qu'il convient d'aller plus loin dans la compréhension du loup: «Cela permettrait non pas de contrôler, mais de guider certains comportements de l’espèce, comme on le ferait avec un cheval ou un chien. C’est ainsi qu’on pourra tendre vers une cohabitation paisible.»

«On ne peut se contenter d'éradiquer tout ce qui nuit au rendement»

Pour Virginia Markus, présidente de l'association Coexister, la situation actuelle révèle un point de rupture dans notre société: «On peut se demander s’il est utile de tirer des loups, mais le problème de fond réside surtout dans le fait que les humains se prennent pour les seuls régulateurs de l’écosystème. Si d’autres prédateurs se servent dans notre garde-manger, on ne le supporte pas et on les tire aléatoirement pour diminuer leur impact. On abat tout ce qui nuit à la productivité, qu’il s’agisse de loups, de corneilles, de sangliers...»

Sans prétendre connaître la solution parfaite, la militante et autrice ajoute que notre rapport au reste du vivant doit impérativement évoluer: «Il est de notre devoir de réfléchir à des solutions durables. Dans cette ère de notre civilisation, on ne peut se contenter d'éradiquer tout ce qui nuit au rendement.» 

Et que faut-il pour y parvenir, à ces solutions? «Une forme d’acceptation que ce prédateur est de retour et qu'il est fait pour rester, conclut Anouck Strahm. Mais surtout de réels moyens, financiers et volontaristes de la part de l’État, pour soutenir les agriculteurs et agricultrices, ainsi que la biodiversité suisse!»

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