En vue des votations du 13 février
Un cultivateur suisse de tabac nous ouvre les portes de sa ferme

Marc Binder est l'un des quelque 150 agriculteurs qui cultivent du tabac en Suisse. Sera-t-il directement touché par l'initiative sur le tabac qui sera votée ce 13 février? En janvier dernier, il nous ouvrait les portes de sa ferme pour répondre à cette question.
Publié: 24.01.2022 à 06:02 heures
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Dernière mise à jour: 13.02.2022 à 14:01 heures
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Marc Binder pose avec le tabac qu'il cultive.
Photo: STEFAN BOHRER
Gianna Blum

Cet article a initialement été publié en janvier dernier. En vue des votations de ce 13 février, nous vous proposons de (re)découvrir ce reportage. Bonne lecture!

En ce mois de janvier, la grange de Marc Binder est vide. Le tabac qu’il cultive dans sa ferme d’Illnau, dans le canton de Zurich, a séché depuis longtemps. «La saison est terminée», raconte le paysan. Le tabac sagement d’être transporté à Payerne, où il sera transformé.

Le tabac est prêt pour le transport.
Photo: STEFAN BOHRER

Certaines des longues feuilles ovales sont déjà emballées, d’autres sont encore enfilées sur les perches auxquelles elles ont été suspendues pour le séchage. Mais son tabac ne sent pas le tabac. Chose très étrange. «En réalité, c’est normal, explique Marc Binder. Il a une odeur neutre.» Les variétés les plus aromatiques ne poussent pas en Suisse, à cause du climat. Le tabac de notre pays est surtout utilisé comme tabac de remplissage, c’est-à-dire qu’il est ensuite mélangé à d’autres variétés pour la cigarette ou le cigare, poursuit le cultivateur.

Voici à quoi ressemblait le tabac avant qu'il ne sèche, au moment où la grande était encore pleine.
Photo: Zvg

Les revenus de Marc Binder partiront-ils en fumée?

Tous les regards sont actuellement tournés vers les cigarettes. En effet, l’initiative sur le tabac qui sera votée le 13 février prochain a pour but de protéger les enfants et les jeunes de la publicité sur les cigarettes. Les trois quarts des cigarettes produites en Suisse sont exportées. Marc Binder serait toutefois aussi directement touché par une baisse des ventes en Suisse, glisse-t-il. En effet, le prix que la coopérative d’achat du tabac indigène (Sota) paie aux cultivateurs de tabac est essentiellement alimenté par les taxes sur les cigarettes.

La Suisse exporte presque autant de tabac que de fromage

La Suisse est une plaque tournante pour l’industrie du tabac. Tous les grands groupes internationaux – Philip Morris, British American Tobacco et Japan Tobacco International – y ont des sièges sociaux pour la recherche, l’administration et la production. Le lobby du tabac est très influent, tandis que la législation suisse est passablement laxiste.

Il n’existe pas de chiffres officiels sur la contribution du secteur du tabac à la création de valeur en Suisse. Une étude des experts-comptables KPMG est arrivée en 2017 à une estimation de 2,1 milliards de francs pour la culture, la fabrication et la distribution. Or, la demande suisse pourrait très bien être satisfaite sans tabac suisse: le taux d’autoapprovisionnement est inférieur à 5%.

Par conséquent, peu de tabac suisse reste dans notre pays. Les trois quarts des cigarettes produites en Suisse, soit environ 25 milliards de pièces par an, partent à l’étranger. Chaque année, la Suisse exporte ainsi des produits du tabac pour une valeur d’un peu plus d’un demi-milliard de francs. C’est presque autant que l’exportation de fromage.

Des coûts de santé qui se chiffrent en milliards

Dans notre pays, plus de 60% du prix des cigarettes est constitué de taxes et d’impôts. La plus grande part va à l’impôt sur le tabac, dont 2,1 milliards de francs ont été versés à l’AVS en 2020. En outre, plus de 13 millions de francs de taxes sont versés chaque année à deux fonds totalement opposés: l’un sert à cofinancer la culture du tabac dans le pays (Sota), tandis que l’autre est consacré… à la prévention du tabagisme.

Il faut noter que les conséquences de la consommation de tabac sur la santé ont un impact économique considérable. Les traitements médicaux et les pertes de revenus engendrent des coûts annuels de 3,9 milliards de francs. Et selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), environ 26 personnes en moyenne meurent quotidiennement des suites du tabagisme. Ce qui représente 9500 morts par an.

La Suisse est une plaque tournante pour l’industrie du tabac. Tous les grands groupes internationaux – Philip Morris, British American Tobacco et Japan Tobacco International – y ont des sièges sociaux pour la recherche, l’administration et la production. Le lobby du tabac est très influent, tandis que la législation suisse est passablement laxiste.

Il n’existe pas de chiffres officiels sur la contribution du secteur du tabac à la création de valeur en Suisse. Une étude des experts-comptables KPMG est arrivée en 2017 à une estimation de 2,1 milliards de francs pour la culture, la fabrication et la distribution. Or, la demande suisse pourrait très bien être satisfaite sans tabac suisse: le taux d’autoapprovisionnement est inférieur à 5%.

Par conséquent, peu de tabac suisse reste dans notre pays. Les trois quarts des cigarettes produites en Suisse, soit environ 25 milliards de pièces par an, partent à l’étranger. Chaque année, la Suisse exporte ainsi des produits du tabac pour une valeur d’un peu plus d’un demi-milliard de francs. C’est presque autant que l’exportation de fromage.

Des coûts de santé qui se chiffrent en milliards

Dans notre pays, plus de 60% du prix des cigarettes est constitué de taxes et d’impôts. La plus grande part va à l’impôt sur le tabac, dont 2,1 milliards de francs ont été versés à l’AVS en 2020. En outre, plus de 13 millions de francs de taxes sont versés chaque année à deux fonds totalement opposés: l’un sert à cofinancer la culture du tabac dans le pays (Sota), tandis que l’autre est consacré… à la prévention du tabagisme.

Il faut noter que les conséquences de la consommation de tabac sur la santé ont un impact économique considérable. Les traitements médicaux et les pertes de revenus engendrent des coûts annuels de 3,9 milliards de francs. Et selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), environ 26 personnes en moyenne meurent quotidiennement des suites du tabagisme. Ce qui représente 9500 morts par an.

La culture est loin d’être une économie de marché libre: la Sota achète aux agriculteurs, à des prix fixes, la totalité de leur récolte et la vend aux multinationales du tabac, qui ont toutes leur siège ou au moins un site de production important en Suisse. Alors que la Sota paie jusqu’à 17,20 francs par kilo selon la qualité, elle ne reçoit qu’une fraction de ce prix de la part des producteurs de cigarettes. Sans le financement des fumeurs, la culture du tabac en Suisse ne serait pas rentable.

Pour notre agriculteur, la culture du tabac est un pilier important, bien qu’il n’y consacre que 1,3 de ses 37 hectares. Si la qualité est très bonne, la Sota lui verse entre 30’000 et 40’000 francs par an. Mais il ne s’enrichit pas pour autant, affirme-t-il. La raison principale? La culture du tabac est très coûteuse: les revenus sont compensés par environ 1200 heures de travail. Alors que les vaches sont traites à la machine dans son étable, presque tout doit être fait à la main pour le tabac: de la récolte, au triage, à l’enfilage pour le séchage.

Les feuilles séchées doivent encore être triées.
Photo: STEFAN BOHRER

«Moi aussi, je suis irrité quand je vois des adolescents tirer sur leur cigarette à la gare»

Ce père de deux enfants avoue ne pas comprendre les discussions autour de l’initiative. «Celui qui choisit de fumer doit aussi en assumer les conséquences», estime-t-il. Avant d’admettre: «Mais moi aussi, je suis irrité quand je vois des adolescents tirer sur leur cigarette à la gare».

Toutefois, il estime que l’interdiction étendue de la publicité va trop loin. Après tout, les parents ont aussi une responsabilité, assène-t-il. Chez ses enfants, le tabagisme ne serait pas un problème. Sans doute parce qu’en l’aidant à cultiver, ils voient de très près qu’une culture de tabac comporte plus de risques qu’un plant de salades, suppute-t-il. Leur contact est hautement nocif et nécessite de se protéger. Si la substance rencontre directement la peau, il y a un risque de développer ce qu’on appelle la «maladie du tabac vert». Qui est en fait une intoxication à la nicotine.

Une substance toxique

Marc Binder connaît bien la toxicité de la substance. D’ailleurs, il n’a jamais fumé. «Sauf peut-être une fois à l’ER autour d’une bière», relativise-t-il. Il a grandi avec le tabac. Son père, qui n’est autre que l’ancien conseiller national UDC Max Binder, et sa mère ont commencé à cultiver du tabac dans les années 1970, principalement par nécessité économique. Leur fils a ensuite repris leur culture, en même temps que la ferme.

«Notre modèle actuel fonctionne», estime Marc Binder. Bien sûr, il pourrait laisser tomber son hectare de tabac et mettre quelques vaches de plus à l’étable, explique-t-il. Mais cela ne remplacerait pas le revenu du tabac. Et ce dernier permet tout simplement plus de flexibilité: «Le tabac se fiche de savoir si j’ai du temps pour lui le dimanche matin. Pas mes vaches!»

(Adaptation par Lauriane Pipoz)


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