Le pompiste regarde par-dessus son épaule avec émotion. Le pont Morandi, l'un des plus importants ponts autoroutiers de Gênes trônait là il y a encore trois ans. Il s'effondre le 14 août 2018. Le pompiste hésite un instant, puis déclare amèrement: «Non, le pont ne s'est pas simplement effondré de lui-même. Ce sont les opérateurs qui ont provoqué sa chute». 43 personnes sont mortes, dont des amis de cet homme.
Il fait partie des nombreuses personnes qui ne pourront jamais oublier ce jour. L'effondrement du pont a frappé en plein cœur la ville portuaire du nord de l'Italie, comme une crise cardiaque. Des années auparavant, des avertissements avaient pourtant été émis pour signaler que le pont présentait de graves défauts. Mais rien n'a été fait.
Depuis une bonne année, un nouveau pont se dresse à Gênes, au même endroit. On dirait presque qu'il n'y a jamais eu de tragédie ici. Le soleil d'août tape fort, les cigales chantent dans les arbres, le linge sèche sur les balcons et la circulation est très bruyante dans le quartier des travailleurs.
«La perte fait toujours mal»
Mais de nombreux Génois sont toujours en colère. Surtout les parents des victimes. Ils ont fondé leur propre comité et se battent pour la justice et contre l'oubli. Nous rencontrons leur présidente Egle Possetti lors des cérémonies de commémoration à Gênes. Cette dernière, avocate, a perdu sa sœur, son beau-frère et leurs deux enfants dans cet accident.
«L'absence fait toujours mal», confie-t-elle. «Chaque jour, je pense à ma sœur et à sa famille. C'est une lutte constante. Qu'ils aient dû mourir comme ça est presque invraisemblable.»
Le nouveau pont est impressionnant. Elle affirme que sa construction a été rapide et sans problèmes bureaucratiques. Il est ouvert à la circulation depuis un peu plus d'un an. «En soi, le travail a été excellent. Mais ce n'est pas notre pont», ajoute l'avocate.
Les proches sont restés à l'écart de l'ouverture
Il est présomptueux de célébrer l'achèvement de ce pont comme une réussite, déclare-t-elle amèrement. Il y a un an, lors de l'inauguration, le premier ministre de l'époque, Giuseppe Conte, a qualifié le pont de «symbole d'une nouvelle Italie». Or, tous les proches des victimes sont restés à l'écart de cette cérémonie et ne veulent rien savoir de cette nouvelle Italie.
Egle Possetti souligne: «Un pont doit être sûr dès le départ. Si c'était le cas, ma soeur et sa famille seraient encore en vie». Si des ressources et de l'argent avaient été consacrés plus tôt à l'entretien de l'installation, l'avocate ne serait pas à Gênes pour ce triste anniversaire.
Elle est cependant là pour la commémoration. Beaucoup lui sont reconnaissants pour son travail. Le vendredi soir, elle guide avec dévotion plusieurs centaines de personnes à travers la ville dans une procession à la bougie. Certains pleurent, d'autres rient. Les gens se connaissent parce que la douleur les unit. Près du nouveau pont, le cortège s'arrête. 43 ballons sont lâchés dans le ciel nocturne. Les sirènes des ambulances retentissent jusqu'à ce que les ballons disparaissent dans l'obscurité.
Samedi, jour de l'anniversaire, Egle Possetti se tient à nouveau devant une foule. À l'ombre de la nouvelle construction, elle prononce quelques mots à propos des victimes et remercie toutes les personnes présentes d'avoir affronté le deuil ensemble et de continuer à se soutenir.