Effets secondaires de la politique industrielle
Des millions de dividendes pour les barons de l'acier subventionnés par l'État

L'industrie sidérurgique en difficulté espère un soutien de la Confédération. La famille propriétaire de Stahl Gerlafingen reçoit déjà d'importantes subventions sans pour autant renoncer à la distribution de bénéfices. Ce scénario peut-il être évité en Suisse?
Publié: 10:16 heures
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Four de fusion dans l'aciérie de Steeltec AG, qui fait partie du Swiss Steel Group: la production d'acier est fascinante, mais en Suisse, elle ne couvre presque plus les coûts.
Photo: Keystone
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Thomas Schlittler

Dans le monde de l’industrie métallurgique, l'acier n’est peut-être pas le matériau le plus solide. Il faut un cœur de pierre pour rester insensible face aux ouvriers qui se battent pour sauver leurs emplois. «Nous voulons préserver nos postes et exigeons des politiciens qu'ils agissent enfin», s'est exclamé un employé de Stahl Gerlafingen sur la Place fédérale en octobre.

La famille Beltrame, propriétaire de l’aciérie située dans le canton de Soleure, réclame également un soutien de l’État. Dans une interview accordée à la «NZZ am Sonntag», Antonio Beltrame, président du conseil d’administration, a dénoncé les coûts élevés de l’électricité en Suisse tout en adressant de vives critiques au Conseil fédéral.

Comme le gouvernement refuse de mener une politique industrielle, le pays risque, selon lui, de se désindustrialiser: «La Suisse semble assister impuissante au déclin de l'industrie sidérurgique, qui apporte d'énormes contributions à l'économie circulaire et à la sécurité d'approvisionnement.»

En attendant, l'Italien ne tarit pas d'éloges sur nos voisins européens: «Contrairement à la Suisse, l'UE et ses pays membres comme la France ont reconnu la valeur stratégique d'une production indépendante et défendent leurs aciéries par des mesures de soutien massives.»

Dividendes et subventions s'équilibrent

Le plaisir de cette politique industrielle n'est pas surprenant lorsqu'on analyse les rapports d'activité du groupe Beltrame: le groupe sidérurgique, qui produit en Italie, en France, en Roumanie et en Suisse, a encaissé des subventions publiques à hauteur de 57,7 millions d'euros rien que pour les années 2022 et 2023, indemnités pour chômage partiel non comprises.

Interrogée par Blick, l'entreprise écrit: «Les fonds mentionnés proviennent de l'UE, de ses États membres, mais aussi des autorités régionales». Nombre de ces contributions sont liées à des conditions clairement définies et supposent par exemple des investissements ou d'autres mesures.

Une condition n'a toutefois pas été posée: l'interdiction de distribuer des bénéfices aux actionnaires. En effet, au cours des années où le Groupe Beltrame s'est fait subventionner par l'État, la famille propriétaire a distribué des dividendes à hauteur de 54,2 millions d'euros.

En d'autres termes, les contribuables d'Italie, de France et du reste de l'UE ont fait profiter les propriétaires d'une manne de plusieurs millions. Sans surprise, le groupe Beltrame juge les faits différemment: «Le lien entre les dividendes versés et les aides reçues est trompeur», constate l'entreprise dans une prise de position.

Les dividendes versés en 2022 et 2023 ne représentent que 12,2% du «bénéfice distribuable». De plus, la politique de dividendes menée par la famille Beltrame a «toujours été limitée» et «axée sur la capitalisation de l'entreprise».

Quelle est la qualité de la protection des dividendes en Suisse?

Le fait est que sans subventions de l'État, le groupe Beltrame aurait dû augmenter le prix de ses produits ou alors accepter une réduction de ses marges bénéficiaires.

Désormais, le groupe peut également espérer un soutien de l'État en Suisse. La commission de l'énergie du Conseil national a approuvé un projet qui devrait soulager sa filiale Stahl Gerlafingen ainsi que le Swiss Steel Group et le fabricant d'aluminium Novelis d'environ 50 millions de francs. Ces entreprises devraient bénéficier d'un rabais équivalent pour l'utilisation du réseau électrique dans les années à venir.

Cette aide n'a pas encore été décidée, mais les chances qu'elle soit acceptée sont importantes. C'est pourquoi la question se pose: la politique industrielle aura-t-elle aussi des effets secondaires indésirables en Suisse?

Le conseiller national UDC de Soleure Christian Imark et le conseiller national PS Roger Nordmann (VD), chefs de file de l'alliance interpartis de soutien à l'industrie sidérurgique, répondent par la négative: «Les conditions fixées par la Commission pour bénéficier de l'aide locale permettent d'éviter de tels effets indésirables pour le plan de sauvetage suisse», font-ils savoir dans une prise de position commune.

En effet, le projet parle d'une interdiction des dividendes. Celle-ci ne concerne toutefois que Stahl Gerlafingen, il n'est nulle part question d'une interdiction générale pour l'ensemble du groupe. Le groupe Beltrame écrit à ce sujet: «Nous n'avons pas connaissance de telles conditions.»

Les responsables de l'entreprise soulignent cependant que des dividendes n'ont jamais été distribués pour l'usine de Gerlafingen. Au contraire, le groupe aurait investi 450 millions de francs dans le site suisse depuis son rachat en 2006.

Les milliardaires derrière les groupes sidérurgiques

Malgré toutes ces affirmations, on ne peut pas exclure que d'éventuelles subventions pour l'industrie sidérurgique, financées par les contribuables suisses, aident au final à remplir le compte de riches entrepreneurs.

Cela ne vaut pas seulement pour la famille Beltrame: Novelis, fabricant d'aluminium avec une usine à Sierre en Valais, fait partie d'un groupe américain de plusieurs milliards de dollars, contrôlé par l'entreprise indienne Hindalco Industries. Ces dernières appartiennent à leur tour au conglomérat Aditya Birla Group, dirigé par le milliardaire Kumar Mangalam Birla.

Quant à Swiss Steel Group, il est détenu par l'héritier d'Amag Martin Haefner, la légende de l'entreprenariat Peter Spuhler et l'oligarque russe Viktor Vekselberg. Ces dernières années, leur groupe a également bénéficié d'un soutien étatique de bien plus de 100 millions d'euros dans l'espace européen. Mais contrairement au groupe Beltrame, l'entreprise n'a plus distribué de dividendes depuis longtemps.

Cela n'a que partiellement aidé Swiss Steel car au cours des cinq dernières années, l'entreprise a enregistré une perte nette cumulée de plus d'un milliard d'euros.

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