Elle met le doigt dans les plaies de notre société, cette fois avec le sexe. La metteuse en scène Yana Ross propose d'assister à une scène de sexe non simulée sur les planches de la Schauspielhaus de Zurich dans la pièce «Short Interviews with Nasty Men - 22 Types of Loneliness» d'après David Foster Wallace. Deux acteurs pornos y copulent devant des spectateurs peu habitués à un tel réalisme.
Nous vous avions déjà présenté l'objet du trouble dans un précédant article. Voici maintenant l'interview de Yana Ross qui détaille son approche artistique.
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Le sexe sur scène, n'est-ce pas juste un bon coup de pub qui mise sur le scandale?
S'il s'agissait de cela, la pièce serait terminée en dix minutes. J'ai dû travailler très dur pour créer un contexte, des associations d'idées et chercher des significations, pour amener le public vers un certain état d'esprit, pour le confronter au sexe, pour recevoir la puissance de la provocation intellectuelle littéraire de Wallace. Le sexe est doux comparé aux paroles de Wallace! Et c'est en partie l'intérêt d'un tel spectacle. Je ne trouve pas intéressant de scandaliser par l'art, mais le thème du tabou est toujours très important et nécessaire dans mon travail actuel. Si le fait de remettre en question les peurs et les angoisses de la société peut être scandaleux, alors nous pouvons clairement voir où sont les tabous.
Si personnellement je ne regarde pas de pornographie, pourquoi devrais-je regarder la pièce?
Moi-même, je ne regarde délibérément pas de porno gratuit, car le travail professionnel doit être rémunéré en conséquence, et je considère la pornographie comme un genre pop qui propose au consommateur un monde de fantasmes. C'est un miroir de notre société, on peut l'étudier en tant que phénomène culturel, tout autant que son influence sur la musique pop, la mode, les émissions de télévision et vice versa.
Vous avez d'ailleurs choisi deux acteurs pornos pour interpréter les rôles sur scène. Qu'est-ce qui rend leur performance différente de ce que l'on voit dans les films X?
Il s'agit d'une différence fondamentale. Il y a la distance par rapport à l'écran, le fait que l'on montre quelque chose qui s'est déjà produit, par rapport à l'acte qui se produit en direct, auquel vous assistez ici et maintenant en faisant partie d'un public. C'est un outil de communication artistique. Un outil puissant et dérangeant, mais nous le faisons sans provocation, nous ne voulons pas choquer ou repousser le public, nous sommes tous des adultes. Les moins de 18 ans ne sont pas admis et tout le monde peut partir à tout moment.
Comment cela fonctionne lorsque des acteurs classiques jouent avec des acteurs pornographiques?
J'ai la chance de travailler avec Kasia Szustow, une pionnière dans le domaine de la coordination et du coaching de l'intimité au cinéma, à la télévision et maintenant au théâtre. En tant que professionnelle, elle est formée pour créer un environnement sûr où les défis artistiques peuvent être développés en collaboration sans franchir les limites personnelles.
Le sexe en direct est-il vraiment ce que le public veut voir dans les théâtres?
Je ne peux pas répondre pour le public, j'ai un mandat artistique pour mettre en scène l'écrivain le plus brillant du 20ème siècle. Le travail de Foster Wallace est très lié à un certain type de solitude humaine, d'une incapacité à former des relations, provenant de terribles relations avec ses parents et développant une vie entière de souffrance pour quelqu'un qui ne peut pas être intime avec un partenaire ou trouver l'amour.
Il s'agit d'hommes «méchants», de la dévalorisation et de la sexualisation des femmes. Les choses vont-elles vraiment si mal entre les sexes?
Je pense que les relations entre les gens sont souvent assez terribles, et cela ne fait pas de différence entre les sexes. Mais surtout, Wallace montre où se trouvent les racines des problèmes de mauvaise communication et comment la masculinité toxique peut être remise en question, guérie et transformée. Il s'adresse à un public féminin, et son argument courageux est qu'il n'ose pas parler au nom d'une femme, il n'écrit pas d'un point de vue féminin. Mais en tant que lecteur, j'ai l'occasion de lui parler, et c'est profondément satisfaisant.
Vous comparez le théâtre à une thérapie. Que voulez-vous que les gens retirent de votre pièce?
J'espère qu'ils commenceront à réfléchir à leurs propres erreurs dans leurs relations et qu'ils regarderont leurs semblables avec plus d'empathie et de respect, avec plus de légèreté et de gentillesse et, espérons-le, avec plus de plaisir !